Journal de notre bordLettre n°41 (le 26 janvier 2004)Bonne année à toutes et à tous ! Nous vous souhaitons à vous comme à nous-mêmes d'avoir la santé et le courage de lutter vaillamment et de garder le cap de la plus grande joie de vivre possible, aujourd'hui et encore plus demain. Nous allons continuer à jouer notre rôle de passeurs vers des idées et des formes de culture qui à notre avis embellissent la vie. Tâche difficile mais nécessaire dans un monde qui est toujours en état de guerre dans de nombreux pays, notamment l'Irak, la Palestine, l'Afghanistan, la Tchétchénie, la Côte d'Ivoire, la Colombie, Haïti... Quant à l'état de guerre sociale, il s'intensifie sur l'ensemble de la planète. Nous en percevons bien les conséquences désastreuses pour l'humanité mais les formes de résistances et de protestations sont bien souvent cachées ou ignorées par les grands médias. Nous n'en prendrons pour preuve l'exemple de la situation en Irak où de nombreux soldats américains expriment dans leurs lettres leur écoeurement et leur ressentiment contre Bush et sa bande (consulter dans nos liens le site de Michaël Moore fin décembre - http://www.michaelmoore.com/). Toujours à propos de l'Irak, un ami vient de nous faire parvenir une information faisant état de la lutte des travailleurs du cuir qui ont affronté la police et des gangsters au service des patrons hostiles à l'existence de leur nouveau syndicat. Ils ont réussi à chasser leur directeur général. Affaire à suivre. ________________________ Abus de langage Écrivain-militant Créations langagières Homère et Ulysse Transmission En poche Cinéma Fado In situ _______________________ ABUS DE LANGAGE Un des ressorts grossiers de la domination des puissants sur les opprimés consiste à détourner le sens d'un mot à connotation positive pour lui instiller un sens parfaitement réactionnaire. Face au droit de grève, le patronat a de longue date prôné et réclamé la " liberté " du travail, en d'autres termes, avoir les coudées franches pour battre en brèche le droit de grève. Comme " rendre service " est éminemment nécessaire en société, les gouvernants actuels prétendent instaurer " un service minimum ", en cas de grève ! Ce à quoi des cheminots et des hospitaliers ont répondu de façon imparable que le délabrement des services publics par les attaques gouvernementales et patronales, contraignaient ces secteurs, par manque de personnel et de moyens matériels, à fonctionner tous les jours en " service minimum ". La notion de droit subit aussi parfois des déformations ou des inversions de sens tout à fait surprenantes. Ainsi " le droit " de porter le voile islamique à l'école n'est-il pas tout simplement la revendication d'avoir le droit d'être réactionnaire, le droit d'être aliénée et le droit d'aliéner les autres ? Or le " droit " de soumettre les femmes se heurtent inévitablement au droit des femmes à s'émanciper et à être considérées comme les égales des hommes dans toutes les circonstances de la vie. L'extrême droite islamiste pousse ses pions tranquillement en mettant en avant le " droit à porter le voile " (pas pour eux, pour les femmes !). D'autres " revendications " suivront car ces gens-là ont pour projet d'exercer leur dictature morale et politique sur toute une partie de la population. L'autre extrême droite, celle du FN et du MNR, ne dédaigne pas non plus de mettre en avant " la liberté d'expression " dont elle serait privée dans les médias. Les gens des deux extrême droites se renforcent mutuellement. Ils se posent en victimes et en défenseurs de principes sacrés. Les uns comme les autres s'autoproclament défenseurs d'une pseudo- communauté (" les Français ", " les Musulmans "). Leur but commun est de diviser les travailleurs et de les opprimer tous. ÉCRIVAIN-MILITANT Dans le supplément n°1 du week-end du " Monde ", nous avons lu un portrait vivant et intéressant d'Arundhati Roy qui a écrit le roman " Le Dieu des petits riens " (voir le point de vue sur notre site). Cette romancière originaire du sud de l'Inde a fait le choix d'être avant tout un écrivain- militant impliqué dans les combats contre la mondialisation capitaliste et ses profiteurs. Cet engagement lui vaut la haine des hindouistes intégristes au pouvoir en Inde. D'autant plus qu'elle a manifesté contre les projets de barrages qui enrichissent ces gens-là et anéantissent les conditions d'existence de centaines de milliers de paysans pauvres. Plusieurs de ses textes écrits entre 1999 et 2003 viennent d'être publiés en collection de poche (folio- documents). Ses études et articles sont étayés par une masse de faits et de citations implacables. Arundhati Roy a le sens de la formule percutante, provocatrice au meilleur sens du terme, celle qui fait mouche contre les puissants de ce monde. En dénonçant les nationalismes qui sont responsables de la plupart des génocides du XXe siècle, elle écrit : " Les drapeaux ne sont que des bouts de tissu utilisés d'abord pour bâillonner les esprits, ensuite comme linceuls pour enterrer les morts. " (page 323) Dans un texte, elle rend hommage au linguiste américain Noam Chomsky qui " a su changer radicalement la compréhension que nous avons de la société dans laquelle nous vivons. Ou bien devrais-je dire, la compréhension que nous avons du règlement compliqué de cet asile de fous où nous sommes tous internés volontaires ? " (page 300) La lecture de ce livre plein d'espoir dans les luttes nous aidera à en finir avec cet asile de fous. http://culture.revolution.free.fr/critiques/Arundhati_Roy-Le_Dieu_des_Petits_Riens.html CRÉATIONS LANGAGIÈRES Des esprits grincheux se plaignent de longue date de la dégradation de la langue française et de son envahissement par des termes anglo-saxons. En fait ce sont parfois les anglophones qui sauvent certains mots ou expressions " typically french ". Ils s'obstinent et ils ont raison de parler d'un " rendez-vous " alors que depuis belle lurette, il n'est plus guère question en France que d'un " rencard " ou d'un " rv ". Mais là où les francophones de l'hexagone reprennent actuellement une revanche impitoyable sur tous ceux pour qui le français n'est pas leur langue maternelle, c'est en introduisant de plus en plus de mots se terminant par le son " u " ; un cauchemar à prononcer notamment par les anglophones, au même titre que les diphtongues " in ", " an " ou " on ". Un exemple ? Dans l'actu cultu (l'actualité culturelle), il y a la sortie d'un DVD " pêchu " : l'intégrule des Nuls. Pas d'argus contre ? (arguments) Parfait. Vous avez capté le principe. Dans l'avenir pas de tradu (traduction) et conversion générale des échanges écrits ou oraux en langage SMS. HOMÈRE ET ULYSSE Le Magazine littéraire nous gratifie à nouveau d'un dossier de grande qualité sur le poète Homère et plus particulière- ment sur Ulysse et ses métamorphoses littéraires, théâtrales ou cinématographiques. Ont été convoqués des historiens, des philosophes, des écrivains notamment Jacques Lacarrière et le poète Philippe Jaccottet qui a donné une très belle traduction de l'Odyssée. Vous y découvrirez " Nausicaa, dont la grâce est chose divine " et ce début du chant VIII : " Lorsque parut la fille du matin, l'aube aux doigts roses ". L'article de Robert Louit sur " Ulysse " de l'irlandais James Joyce fournit des clés très intéressantes pour se plonger dans cet immense roman parodique. Dans cette même livraison de janvier du Magazine littéraire, ne manquez pas l'entretien avec George Steiner sur " le bonheur d'enseigner la littérature ". La transition est faite avec la rubrique suivante... TRANSMISSION George Steiner est connu pour ses ouvrages de critiques littéraires et philosophiques très denses, controversés mais toujours passionnants. Il a été professeur de poétique à l'université de Cambridge en Angleterre. Cécile Ladjadi est professeur de lettres dans un lycée de Drancy et elle a entrepris avec ses élèves un travail incroyable à notre époque : les amener à écrire de la poésie avec un haut degré d'exigence et ensuite à écrire ensemble une pièce de théâtre préfacé par Daniel Mesguich. Inutile de préciser que les élèves s'étaient d'abord insurgés. A priori ce n'est pas en composant qu'on décroche le bac ! Et pourtant... La jeune enseignante avait envoyé au début de cette aventure une lettre à George Steiner qu'elle ne connaissait que par ses écrits. Steiner a reçu cette bouteille à la mer, il en a été enchanté. Une collaboration intellectuelle très poussée s'en est suivie avec Cécile Ladjali et ses élèves. " Éloge de la transmission Le maître et l'élève " (Albin Michel/France Culture) relate cette rencontre, présente les difficultés, les enjeux et l'allégresse qu'il y a à transmettre sa passion pour les grands classiques de la littérature. Toute cette expérience est à contre courant de tous les discours démagogiques ou démoralisants qui aboutissent à la dévalorisation aussi bien des élèves que des professeurs. Il semble que le bonheur d'enseigner et de recevoir existe encore, ce qui est une bonne nouvelle pour lutter contre diverses formes d'abêtissement voire de barbarie. EN POCHE Le roman poignant de Hans Fallada " Seul dans Berlin " sur la vie de travailleurs allemands sous la dictature nazi vient d'être réédité en collection folio (voir notre présentation de ce roman sur notre site). Les amateurs de polars qui veulent en même temps s'instruire sur la Chine contemporaine doivent lire " Mort d'une héroïne rouge " de Qiu Xialong (Points Seuil). Cet auteur vit aujourd'hui aux États-Unis. On y suit au début des années 1990, celles ouvrant les vannes à l'économie de profit, un jeune inspecteur de police intègre (!) doublé d'un poète (!) et d'un amateur de bons petits plats. Pour élucider le meurtre d'une employée modèle, membre du Parti, cet inspecteur improbable doit se plonger dans l'univers impitoyable et sordide de Shanghaï et de Canton, qui se situe pour une bonne part dans les hautes sphères du pouvoir. http://culture.revolution.free.fr/critiques/Hans_Fallada-Seul_dans_Berlin.html CINÉMA Les dernières semaines nous ont gâtés sur le plan cinématographique. Le film norvégien Kitchen Stories nous a séduit par sa critique satirique du marketing " scientifique " dans les années cinquante, par son humour délicieusement décalé et par son traitement original du thème de la solitude. Vous trouverez sur notre site un point de vue sur Uzak (lointain), le troisième film du cinéaste turc Ceylan. Malgré une fin mélodramatique et sirupeuse, le film chinois de Cheng Kaige, " L'enfant au violon ", est d'un grand intérêt pour comprendre certains aspects de la vie actuelle à Pékin. Enfin nous espérons avoir l'occasion de revenir sur " Violence des échanges en milieu tempéré " et sur " Lost in translation " qui nous est très vivement recommandé. FADO À l'instar du blues noir américain, le fado est un genre musical portugais qui réconforte l'auditeur. Il y a là un paradoxe car comme dans de nombreux blues, les fados expriment souvent de la nostalgie, de la tristesse ou de la rage à cause des séparations et autres épreuves de l'existence. Comme le blues, le fado peut être aussi joyeux, canaille ou poétique. Le fado a émergé au milieu du 19e siècle et le blues au début du 20e siècle. Blues et fados sont des musiques d'origine populaire qui peuvent toucher un public universel. Pour connaître l'histoire du fado, son évolution, les thèmes abordés et ses liens avec la société, le livre d'Agnès Pellerin intitulé simplement Le Fado (éditions Chandeigne/France-Culture) s'avère incontournable par son intelligence du sujet et la qualité des informations. Ce livre est accompagné d'un CD-audio de fados enregistrés à Lisbonne en 2003 dans des tavernes et dans une école de fados attirant des jeunes. Ces témoignages montrent que le fado est un genre bien vivant. Parmi les grandes chanteuses de fados actuelles, signalons Christina Branco, Misia, Mafalda Arnauth et la toute dernière, Mariza, qui vient de sortir un deuxième opus très convainquant, " Fado Curvo " (CD EMI, http://www.mariza.com/). IN SITU Depuis la lettre précédente, nous avons mis en ligne sur notre site un article intitulé " Problèmes de la lutte contre les licenciements et la précarité ", un point de vue sur le film Uzak et un autre sur un film sorti en DVD " Ghost in the shell ". Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_041_26-01-2004.html |