Bien loin des images et icônes tiers-mondistes qui ont encensé l'actuel
régime vietnamien, la lecture de l'ouvrage de Van nous montre tous les rouages du système
mis en place dès les premières années de son activité politique par celui qui se
fit nommer Hô chi Minh alias Nguyên ô Phap (Nguyên qui déteste les
Français), alias Nguyên ai Quöc (Nguyên le Patriote), des surnoms aux
accents chauvins et haineux ou celui plus significatif de Vuong – caractère chinois qui signifie
roi – adopté par celui qui deviendra l'Oncle Hô lors de son premier séjour en
Chine en 1924.
Les principales périodes de l'histoire du Vietnam sont ainsi détaillées en
commençant dès 1945 par le massacre des trotskystes dans les zones contrôlées par
le PCI. Dans la zone nord du pays où Hô chi Minh parvient à y prendre le pouvoir, la
répression est alors féroce contre les mineurs coupables de s'être appropriés
les mines de charbon sous contrôle ouvrier ou à l'encontre des paysans qui décident
de mettre en application le slogan du PCI en 1930 « la terre à ceux qui la
travaillent », terres qui finiront par être rendues à leurs propriétaires
fonciers. Plus tard, lors de la réforme agraire dans le Nord en 1954-56, Hô chi Minh se livrera
à un bain de sang dans les campagnes en exigeant dans chaque village un quota de paysans à
fusiller lors de procès manipulés. On ne peut que penser aux similitudes dans les
méthodes qui furent employées en leur temps par Staline ou Mao.
Van souligne ici une caractéristique du régime où « l'infini servage des
paysans – comme toujours taillables et corvéables à merci -, combiné avec
l'exploitation renforcée d'un prolétariat en voie de développement, constitue le
fond de l'accumulation primitive du capitalisme d'État bureaucratique »...
« Le Parti-État détient le monopole de la terre dont les nouveaux maîtres
disposent au détriment de ceux qui la travaillent »
Chacun pourra ainsi se reporter aux chapitres consacrés à la répression contre les
intellectuels calquée sur celle de Mao en 1956 ou les purges au sommet de l'appareil
d'État entre rivaux à la succession avec une série de suicides par empoisonnement ou
d'accidents routiers en tous genres. Cela reste une donnée constante du régime avec les
bagnes et mouroirs hérités de la période coloniale et remis en activité
permanente depuis 1945.
La corruption du régime, les liens claniques et népotiques de la nomenklatura au pouvoir,
apparaissent ainsi au grand jour. Van les illustre avec des exemples puisés dans
l'après-entrée des troupes vietminh dans Saigon en 1975 et l'actuel régime
confronté aux grèves et manifestations dans les zones franches concédées aux
affairistes et capitalistes de la région...
Il y a aussi ces pages extraordinaires qui dont donné le titre à ce livre, hommage au
vénéré Vo thành Minh, vieux lettré de la ville de Hué qui refuse en
1968 de répondre aux injonctions à la soldatesque du Vietminh.
Toutes aussi émouvantes sont les pages qui relatent la guerre américaine et de ces adolescentes
enrôlées dans les brigades du Vietminh ; jetées en pâture et sacrifiées sur
le front de la guerre et qui se retrouvent rejetées et bannies de la société parce que
plus en age de se marier... ces témoignages ont été recueillis lors d'un
séjour en 1997 sur place par l'auteur.
Toujours lors de son séjour, Ngô van nous fait découvrir des poèmes inédits
qui ont valu à leurs auteurs d'être impitoyablement pourchassés et emprisonnés
dans la belle patrie socialiste...
Au dos du Joueur de flûte et de l'Oncle Hô, figure un texte que nous reproduisons et qui
résume bien le livre :
Ngô Van nous livre ici une histoire non orthodoxe du Vietnam contemporain. De l'entrée
en scène de Hô chi Minh jusqu'à nos jours, l'auteur expose les vrais visages,
loin de la version officielle, du criminel leader charismatique et de ses successeurs qui, avec le sang de
leur peuple, édifièrent un État autoritaire où le mensonge constitue le noyau
idéologique de l'héroïsme anti-impérialiste.
Lire ce minutieux travail de mémoire, c'est rendre justice au « petit peuple
héroïque » vietnamien sacrifié par la Nomenklatura.
Octobre 2005
Jean Narédo
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