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Journal de notre bord

Lettre n°73 (15 octobre 2006)

Bonjour à toutes et à tous,

Il n'est peut-être pas inutile d'informer nos lectrices et
lecteurs qui vivent à l'extérieur d'un petit pays
approximativement hexagonal et ayant des dépendances outre-
mer, qu'un évènement d'une extrême importance médiatico-
politicienne est en train de se dérouler en France : la
campagne pour les élections présidentielles. L'espace-temps
médiatique est déjà tellement saturé par cette échéance
qu'on imagine mal comment la grande presse et les chaînes
télé et radio qui ont pris en mains la campagne depuis six
mois et choisi les deux candidats du deuxième tour, vont
réussir à monter en puissance. On en frémit un peu ou on est
un peu accablé car nous n'en sommes encore qu'au stade des
" primaires ".

D'ici peu de temps tout le monde va être mis en demeure de
faire des pronostics et de dire pour qui il va voter. Sauf
les immigrés qui, même pour ceux qui ont des papiers,
travaillent, cotisent, paient des impôts et n'ont toujours
pas le droit de vote même aux municipales (hormis les
ressortissants de l'EU). Quant aux immigrés sans papiers et
leurs enfants, l'échéance la plus fondamentale et la plus
incertaine n'est pas l'élection présidentielle mais le
moment où brutalement la police les embarquera pour une
destination qui peut être dangereuse voire mortelle. Ce qui
se produit chaque semaine de par la volonté et avec le
silence complice de politiciens liés corps et âme aux
intérêts des riches et de l'appareil d'État.

Jeunes ou moins jeunes, salariés ou chômeurs, nous aurions
intérêt à être tous candidats. Pas à une compétition
manifestement truquée et manipulée. Non, candidats à la
démocratie par en bas, candidats à la lutte collective pour
balayer toutes les injustices.
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Repères
L'arbre enfant et l'enfant-roi
Melville
Histoire d'images
Orson Welles au Brésil
Cinéma et histoire
Nina Simone
Dinu Lipatti
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REPÈRES
Au petit jeu des pronostics politiques, nous pouvons nous
aventurer à en formuler un avec la plus grande certitude :
dans un an, en octobre 2007, la pré-campagne pour les
élections de 2012 battra son plein. Les grands éconduits des
urnes pourront reprendre espoir et du service sur les
plateaux télévisés.

Dans un an, comme en ce moment, beaucoup de gens se
demanderont, déjà, avec anxiété, comment préparer les fêtes
de fin d'année pour répondre aux exigences matérielles et
affectives de tous les membres de sa famille et de tous ses
amis (ces derniers pouvant être éventuellement sous-traités
au cours du mois de janvier, ce qui est exclu en ce qui
concerne les grands-parents). Fin 2006 comme fin 2007, il
faudra donc affronter des trains bondés, des routes
surchargées, des repas trop copieux et trop arrosés dans un
contexte réfrigéré où les virus et les bactéries se feront
un plaisir de nous frapper avant ou pendant les festivités.

Il faut donc s'inscrire en faux contre les discours des
grincheux qui prétendent qu'il y a " une perte des repères "
dans cette société. Ont-ils oublié les campagnes
électorales, les journées du patrimoine, les fêtes de fin
d'année et de la musique, les pendaisons de crémaillère, la
Saint Valentin, le carnaval de la Maternelle, les fêtes des
mères et des pères, les soldes d'hiver et d'été et les
braderies quand arrivent les beaux jours ? Les repères sont
surabondants. En cas de besoin on en importe pour faire bon
poids (par exemple Halloween).

Pour nous aider à ne pas trop réfléchir à notre avenir
personnel et collectif, les rituels politiques et sociaux
nous occupent, nous préoccupent et rythment notre vie. C'est
souvent bien agréable, parfois amusant, mais ce n'est pas
encore la vraie vie, qu'il nous reste à conquérir.


L'ARBRE ENFANT ET L'ENFANT-ROI
Depuis plus de trente ans, le professeur Hubert Montagner
mène des recherches approfondies sur l'enfant depuis son
développement prénatal jusqu'à l'âge de trois ans et plus.
Une amie nous recommande très fortement la lecture de son
dernier livre " L'Arbre Enfant " (éd. Odile Jacob, 353
pages). Loin d'être un ouvrage pour spécialiste déconnecté
des réalités sociales, il commence par une charge polémique
contre les " mécanos " de la génétique qui sont lancés dans
une fuite en avant inquiétante pour parvenir au clonage des
embryons humains.

Hubert Montagner s'appuie sur des observations nombreuses au
sein de familles, de crèches ou d'écoles. Il nous aide
puissamment à comprendre les rythmes biologiques, les
compétences et les besoins propres à l'enfant, l'importance
des échanges avec son environnement et le rôle des émotions
et de l'affectivité dans la construction de sa personnalité.

De son côté la psychanalyste Simone Korff Sausse qui a une
grande pratique des entretiens avec des enfants vient de
publier " Plaidoyer pour l'enfant-roi " (éd. Hachette
Littératures, 239 pages). Tout le monde a tendance à
vilipender ces enfants capricieux, agités, désobéissants et
insupportables, ces enfants-rois bien déconcertants. En même
temps on se fait un devoir de les adorer et de céder à leurs
demandes, surtout lorsqu'elles relèvent de la consommation
plutôt que des questions existentielles dérangeantes qu'ils
nous posent. Simone Korff Sausse se demande si ces enfants
d'aujourd'hui sont si rois que cela et souligne aussi que
bien des enfants sont maltraités et aussi affamés et
surexploités de par le monde. Un des aspects essentiels de
son livre consiste à mettre la figure de l'enfant-roi des
pays occidentaux au coeur des transformations familiales et
sociales. " L'enfant-roi n'échappe pas à cette dichotomie :
d'une part signe du malaise social, mais d'autre part,
anticipation de temps nouveaux. " Elle avance avec justesse
: " Il n'y a pas d'adulte en soi ou d'enfant en soi, comme
des entités séparées et distinctes, car penser l'enfant
c'est anticiper sur l'adulte qu'il sera, et penser l'adulte
c'est inclure l'enfant qu'il a été. Observer les enfants
actuels, c'est donc aussi observer les adultes contemporains
et les mettre l'un en face de l'autre. "


MELVILLE
À l'occasion de la nouvelle traduction du roman " Moby Dick "
dans la Pléiade, Le Magazine littéraire de septembre a
consacré à l'écrivain américain Herman Melville un excellent
dossier intitulé judicieusement " l'art du naufrage ". Parmi
les contributions, on y trouve celles des romanciers
américains Russell Banks, Rick Moody et John Updike et celle
de l'écrivain barcelonais Enrique Vila-Matas. Avant même de
lire ou de relire " Moby Dick ", ces articles donnent envie
de lire " Billy Budd ", l'histoire tragique d'un jeune
marin, et " Bartleby ", l'employé de bureau muré dans sa
solitude et sa résistance passive qui répète tranquillement
à toute demande de travail : " j'aimerais mieux pas. "


HISTOIRES D'IMAGES
Les éditions Zoé ont eu une jolie idée en regroupant des
textes brefs de l'écrivain suisse allemand Robert Walser
(1878-1956) accompagnés de reproductions en couleur de
peintures dont il était censé rendre compte pour divers
journaux dans les années 1920 à 1933. Joli est un terme qui
va comme un gant à Walser, sans aucune connotation de
mièvrerie mais plutôt de légèreté et de gracieuse
désinvolture. Il parle à un moment de sa conduite qui était
" fragonardesque " lorsqu'il était jeune et amoureux.

Dans ce recueil intitulé " Histoires d'images ", il se livre
à bien des commentaires personnels étranges, moqueurs ou
touchants. Il adopte parfois la forme poétique pour faire
rebondir son inspiration sur des dessins de Daumier, une
Vénus du Titien, le Fils prodigue de Rembrandt, Lise à
l'ombrelle de Renoir ou La ronde des prisonniers de Van
Gogh. Ce tableau qu'il transforme de façon symptomatique en
cercle de fous le terrifie. Son texte date de 1933, l'année
où Hitler accéda au pouvoir en Allemagne. À une date
inconnue, Walser avait écrit en conclusion d'un texte sur un
tableau de son frère Karl : " Tout ce qui vit et tout ce qui
existe au monde devrait être heureux. Personne ne devrait
être malheureux. "
[Sur notre site, voir notre point de vue sur le roman de
Walser, " L'institut Benjamenta "]
http://culture.revolution.free.fr/critiques/Robert_Walser-Institut_Benjamenta.html


ORSON WELLES AU BRÉSIL
En 1942 le cinéaste Orson Welles a 27 ans et l'année
précédente, il a réalisé son premier chef-d'oeuvre " Citizen
Kane ". Sa maison de production, la RKO, dont Nelson
Rockfeller était un des principaux actionnaires, décida de
l'envoyer au Brésil pour tourner un film de propagande. Le
but de la manoeuvre de l'Administration Roosevelt était de
gagner des sympathies en Amérique Latine où les régimes en
place étaient du côté de l'Allemagne nazie. Sur place Orson
Welles fut enthousiasmé par la population pauvre de Rio.
Lorsque les grosses huiles de la RKO reçurent des séquences
tournées pendant le Carnaval de Rio, ils furent effarés "
par tous ces Noirs qui se trémoussaient " (sic) et exigèrent
que Welles rentrent illico aux États-Unis. Il refusa et
continua à tourner avec l'argent et la pellicule qui lui
restaient et avec la participation de la population
brésilienne. Il tourna un film engagé et superbe intitulé
" Quatre hommes sur un radeau ". Il était basé sur un épisode
réel de la lutte sociale des pêcheurs pauvres, les
" jangadeiros ". Quatre pêcheurs avaient parcouru 2 500 km
en radeau à voile pour aller à Rio faire connaître leurs
revendications. Les bandes ne furent retrouvées que
plusieurs années après la mort de Welles.

Toute cette épopée et les bandes montées et restaurées de ce
projet de film se retrouvent sur un DVD OF2B intitulée "
It's All True ". Jeanne Moreau qui tourna plusieurs fois
avec Welles est la narratrice du documentaire introductif.


CINÉMA ET HISTOIRE
" Le vent se lève " de Ken Loach et " Indigènes " de Rachid
Bouchareb sont deux films importants et nécessaires. Les
deux récits sont très bien portés par leurs metteurs en
scène et par leurs acteurs. Leur vision rapprochée permet de
focaliser notre attention sur un des traits essentiels du
XXe siècle, à savoir le dévouement inouï des masses
populaires dans de multiples pays et circonstances et la
trahison qui s'en suivit.

En 1920 en Irlande les ouvriers et paysans pauvres luttent
pour briser le joug anglais et pour une république
égalitaire et socialiste. Ils seront brisés dans leurs
aspirations et subiront le joug d'une république
réactionnaire et obscurantiste des classes supérieures
irlandaises tandis que les comtés de l'Ulster resteront sous
la botte britannique. Ken Loach a braqué impitoyablement son
objectif sur une plaie dans l'histoire coloniale de son pays
et sur le revirement des nationalistes irlandais contre leur
peuple.

En 1943 de jeunes Magrébins et Africains s'engagent dans
l'armée française pour libérer la France du joug nazi. Ils
espèrent au travers de leurs sacrifices obtenir de l'État
français une pleine reconnaissance de leur dignité et être
traités en égaux avec les autres soldats français. Ils
n'obtiendront que mépris et humiliations. " Indigènes "
débusque l'ignorance et la bonne conscience qui règnent en
France à haute dose depuis longtemps. Mais les fils et
filles des milliers de tirailleurs des anciennes colonies
savaient, eux, de longue date que la République française,
tous gouvernements confondus, a toujours traité leurs
parents en parias et leurs enfants et petits enfants guère
mieux.

En 1945, année de la " Libération ", ce sera en Algérie le
massacre de Sétif et en Indochine le début de la guerre
coloniale. Il faudra encore bien des films pour rendre
compte de tous les épisodes majeurs où les masses se sont
battues avec détermination et générosité pour finalement
être flouées et réprimées. Il y a eu tellement de grèves, de
soulèvements et de révolutions trahies ou dévoyées au XXe
siècle qu'on ne peut pas s'étonner qu'au XXIe siècle les
travailleurs dans de nombreux pays soient réticents à
reprendre le chemin de grandes luttes dont le contrôle et
les conséquences leur échapperaient. Un travail considérable
de compréhension de ces expériences terribles doit être
accompli pour les dépasser et ouvrir de nouvelles voies
émancipatrices.


NINA SIMONE À MONTREUX
On se faisait une fête de voir le DVD publié par naïve
consacré à la grande chanteuse et pianiste noire américaine,
" Live at Montreux 1976 ". Hélas, que ce soit en 1976 ou en
bonus en 1987 et en 1990, ces prestations sont prenantes
mais ne rendent pas pleinement justice à son talent si on
excepte quelques morceaux dont l'impressionnant Backlash
Blues sur des paroles de l'écrivain noir Langston Hughes. En
1976 on sent une colère et un mal-être terribles chez elle
qui paralysent le public. En 1987 et 1990 elle semble
" jouer le jeu " du concert de façon morne et parfois
standardisé.

La qualité des bandes et du tournage laisse beaucoup à
désirer et aggrave ces impressions négatives. Le boss du
festival de Montreux, Claude Nobs, monnaie sous forme de DVD
le stock de bandes vidéo qu'il a accumulé dans son luxueux
chalet. Rien n'indique qu'un travail de restauration de ces
bandes ait été accompli. Le pire est la façon déplorable de
filmer Nina Simone avec un abus de gros plans sur son
visage, et des plans trop courts, dans un mauvais angle, sur
ses mains sur le clavier. Or y compris dans ces trois
prestations, elle reste une remarquable pianiste qui a
intégré de façon originale sa formation classique au langage
du blues, du jazz ou de la variété.


DINU LIPATTI
Les amoureux de la musique classique et ceux qui souhaitent
le devenir ne peuvent ignorer plus longtemps les
interprétations du pianiste d'origine roumaine Dinu Lipatti,
né à Bucarest en 1917 et mort à Genève d'une leucémie en
1950. Il reçut l'enseignement des compositeurs Georges
Enesco et Nadia Boulanger. Il fut admiré avec ferveur par
Clara Haskil, Menuhin, Bartok et Poulenc entre autres.

Toute sa discographie est belle. A un prix très raisonnable,
Membran Music a édité un coffret de quatre CD de cet
interprète incomparable de Chopin, Mozart, Schumann, Liszt,
Brahms ou Grieg. Le concerto de Schumann est un enchantement
sous ses doigts de même que les valses de Chopin dont il
rend en poète toute la diversité des rythmes, des coloris et
des émotions.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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