Journal de notre bordLettre n°36 (le 27 août 2003)Bonjour à toutes et à tous, Deux faits récents sont hautement symboliques et révélateurs de la décadence du régime actuel de domination. Les bourgeoisies les plus riches se sont montrées incapables d'assurer la maintenance de services élémentaires dans leur propre métropole. Dans le pays drainant le plus de richesses et en consommant le plus, les États-Unis, une panne d'électricité vient de toucher plus de cinquante millions de personnes pendant plus de 24 heures. Et il aura fallu bien davantage de temps pour connaître la cause de cette panne qui a touché aussi le Canada. Par contre Wall Street a digéré l'incident en un clin d'oeil. Dans un des pays les plus riches d'Europe et se glorifiant stupidement d'être une puissance nucléaire, la France, l'État ne parvient pas à comptabiliser les personnes décédées en raison de la canicule et de l'insuffisance du dispositif sanitaire. Raffarin a été très en colère... de ne pas obtenir les chiffres ! Cet État et cette société ne sont pas non plus en mesure d'organiser leurs inhumations dans des conditions décentes. Soit dit en passant, les hommes du paléolithique savaient maîtriser cette tâche-là. De leur point de vue, les capitalistes et leurs porte-parole ont bien des raisons de dire que le progrès n'existe pas. Tant qu'ils seront au pouvoir, c'est la régression sociale et la barbarie sous toutes ses formes que l'humanité subira. ________________________________ Sinistres ministres Stupeur et Espérance Mai-juin 2003 La lutte des places Panaït Istrati " Je brûle Paris " Wanda Lost in la Mancha Blacks, Blues and Dreams In situ ________________________________ SINISTRES MINISTRES Les ministres sont très attachés à leurs villégiatures. Ils étaient partis en vacances en ayant totalement bonne conscience à l'égard des personnes âgées, en particulier les plus pauvres. N'avaient-ils point supprimé le remboursement d'un certain nombre de médicaments pour leur faire honte d'oser se soigner correctement sur le dos de la Sécurité sociale ? N'avaient-ils pas réduit fortement le nombre de personnes âgées ayant le droit à une allocation pour aide à domicile et ratatiné brutalement le budget prévu pour moderniser les maisons de retraite ? Ne les avaient-ils pas " soulagées " d'une partie de leurs économies en réduisant à 2,25% le taux du livret A ? Il fallait bien aider les grandes banques nécessiteuses et les pauvres groupes dans le besoin comme Alstom. Bref ils avaient tout fait pour écourter les tourments de ces gens-là tout en améliorant les finances de l'État. Et voyez comment les personnes du 3e ou du 4e âge les ont remerciés ! En décédant en masse, comme ça, sans préavis, en plein milieu de vacances gouvernementales bien méritées. Après tous les tracas causés par les grévistes en mai et juin, par les intermittents en juillet, il fallait encore que les personnes âgées déstabilisent le gouvernement en faisant la une de l'actualité. La tranquillité présidentielle au fin fond des grandes espaces canadiens n'a pas été troublée par les effets de la canicule. Quelle santé ce Chirac ! Par contre Raffarin et Mattéi qui avaient eu la sottise de rester dans l'hexagone ont dû, après avoir renâclé pendant plusieurs jours, se traîner en costumes cravates dans quelques hôpitaux et maisons de retraite surchauffés. Cela relevait de l'exploit inutile car leur présence ne changeait rien à la situation. Les milliers d'infirmières et d'aides-soignantes qui n'ont pas été formées et recrutées depuis dix ans ne pouvaient intervenir en urgence. Il était trop tard pour proposer des maisons de retraite confortables, avec un personnel suffisant, et accessibles quel que soit le revenu des personnes âgées. Les ministres ne sont pas mandatés par le Medef. pour faire cela. Ils le sont à présent pour tenter de supprimer un jour férié aux salariés ! En tout cas, le gouvernement a de nouveau brillamment démontré qu'il n'était pas seulement inutile mais socialement nuisible. STUPEUR ET ESPÉRANCE Un spectre hante les gouvernants de droite et les ex- gouvernants de gauche, le spectre de l'extrême gauche. Des représentants de l'UMP ont stigmatisé cette satanée extrême gauche qui veut déstabiliser " notre société " et qui est partout, dans le mouvement de grève de mai-juin, dans le mouvement des intermittents et dans le rassemblement du Larzac. Tous les salariés qui se défendent, organisés ou non, toutes celles et ceux qui combattent les injustices et pensent que l'humanité a un avenir au-delà du capitalisme, allez hop, tous d'extrême gauche ! Toutes ces inquiétudes à droite ou dans la gauche plurielle sont fort divertissantes. Le rassemblement du Larzac qui a rempli de stupeur la droite a aussi fait enrager le Parti Socialiste qui avait eu l'impudeur de venir y installer son campement. Sa tente a été prestement démontée, à l'instar d'un quelconque fast food. Le plus vexant pour le PS, c'est que personne n'a protesté. En se lançant dans des diatribes contre l'extrême gauche ou en traitant José Bové de poujadiste, certains ténors de la droite et du PS ne vont pas améliorer leur côte. Le succès de ce rassemblement est très positif. Il a permis la soudure entre le mouvement des intermittents et la rentrée sociale. Il a redonné le moral et une légitimité aux grévistes qui ont fait le voyage et qui avaient été déçus de ne pas avoir fait reculer le gouvernement. Il a réalisé tout naturellement la soudure entre la mobilisation contre le gouvernement au service du Medef et la contestation des instances internationales du capitalisme comme l'OMC. Le mouvement n'est pas homogène et uniforme. Il faudrait être fâché avec la démocratie en mouvement et la diversité des points de vue que cela suppose pour s'en plaindre. Une espérance collective prend corps de plus en plus depuis les manifestations contre la guerre en Irak. Celle d'un vaste mouvement international de salariés et de jeunes voulant rompre avec l'individualisme et la résignation, pour changer le monde, radicalement. MAI-JUIN 2003 Certaines revues ont réagi très vite pour présenter des analyses substantielles du mouvement de grèves de mai-juin dernier. C'est le cas de " Carré rouge " dans son n°26 de fin juin, qui comporte également un dossier sur le Brésil d'un très grand intérêt. Dans son numéro de juillet-août, la revue " Convergences révolutionnaires " de la Fraction de Lutte Ouvrière, apporte de nombreuses informations sur les différents aspects du mouvement du printemps, selon les régions et les différents secteurs de salariés impliqués dans la mobilisation. Un article traite également de la protestation ouvrière massive en Autriche en mai dernier, face aux attaques du gouvernement contre les retraites. LA LUTTE DES PLACES Depuis la publication en 1993 de " La misère du monde " sous la direction de Pierre Bourdieu, de nombreux travaux de sociologie se sont attachés à analyser et à comprendre la vie de " ceux d'en bas ", les ouvriers, les chômeurs, les " exclus "... Un de ces ouvrages paru en 1994 vient d'être réédité chez Desclée De Brouwer : " la lutte des places, Insertion et désinsertion " de Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada Léonetti (avec la collaboration de Frédéric Blondel et de Dominique-Marie Boullier). En plus d'un très riche contenu sociologique, ce livre a maintenant un certain caractère historique car depuis sa parution des mouvements collectifs de salariés ont un peu changé la donne. La lutte des classes qui semblait avoir totalement disparu, selon les auteurs, au profit de " la lutte des places ", a repris du poil de la bête depuis 1995. Bernard Tapie dont il est question à un moment a eu le temps depuis de chuter en prison, puis de se réinséré à TF1... Il n'en reste pas moins que nombre de processus décrits qui conduisent à ne pas avoir de place dans la société, à la perdre ou à en regagner une, n'ont rien de périmé. Dans un monde instable régit par la loi de la concurrence à tout va, les chemins qui conduisent à la désinsertion sont nombreux et souvent rapides. L'un des grand mérite de l'ouvrage qui appartient au courant de la sociologie clinique est de porter une attention particulière à la façon dont les individus vivent les phénomènes sociaux, psychologiquement, en tant que sujets de leur propre histoire. Tout le monde ne se retrouve pas au RMI ou sans-abri de la même façon. Les différents récits de vie présentés ici permettent de comprendre comment les différents héritages affectifs et les différents enchaînements de difficultés produisent des réactions, des adaptions et des inadaptations diverses. On peut avoir parfois quelques critiques sur les analyses et de grandes réserves sur la façon dont les auteurs envisagent les changements sociaux à partir des phénomènes d'exclusion. Leur pessimisme les empêchent d'imaginer une société sans lutte des places et a fortiori sans lutte des classes. Mais le contenu de ce livre qui se lit facilement est passionnant. Il aide le lecteur à envisager la possibilité d'une telle société. PANAÏT ISTRATI " Les chardons du Baragan " est un livre qui a été publié pour la première fois en 1928. Il vient d'être réédité dans la collection de poche Les Cahiers rouges chez Grasset. Ce récit de l'écrivain roumain Panaït Istrati est un des plus beaux de la littérature du 20e siècle. Le lecteur est emporté par la poésie fougueuse d'une histoire que l'auteur avait dédiée " Au peuple de Roumanie, à ses onze mille assassinés par le Gouvernement roumain aux trois villages : Stanilesti, Baïlesti, Hodivoaïa, rasés à coups de canon. Crimes perpétrés en mars 1907 et restés impunis. " " JE BRÛLE PARIS " Une amie nous signale une réédition importante sur laquelle nous reviendrons : " Je brûle Paris " de B. Jasienski aux éditions du Félin. Jasienski était un jeune écrivain révolutionnaire polonais qui a fini fusillé à Boutyrki sur ordre de Staline en 1938. Son livre paru en feuilleton en 1928 dans L'Humanité était une riposte au livre " Je brûle Moscou " de l'écrivain réactionnaire Paul Morand. WANDA Si vous n'allez au cinéma qu'une fois par an, nous vous conseillons d'aller voir Wanda. Il a été joué et réalisé par Barbara Loden en 1970 et c'est grâce à Isabelle Huppert qu'il ressort actuellement sur les écrans. C'est un film américain d'une grande originalité. Le rythme est lent puis s'accélère de façon haletante dans la dernière partie. L'image est un peu brouillée, les couleurs sont contrastées. Le style est parfaitement en adéquation avec ce portrait d'une jeune femme blonde, fragile, déconnectée, perdue dans un espace industriel et urbain où elle ne trouve pas sa place. Ouvrière, elle perd son emploi. Mère de famille, on lui enlève ses enfants dont elle ne s'occupait pas. Wanda semble habitée par un vide, une solitude effrayante qui a les apparences de l'indifférence. Un malfrat qu'elle a rencontré par hasard et qui la malmène sans arrêt, lui jette à la figure qu'elle est " une mauvaise Américaine, qui ne fait rien pour réussir ". Lui, il a bien assimilé les codes de fonctionnement d'une société fondée sur la concurrence. De façon inavouée, Wanda est en quête d'un amour et d'un respect que personne ne veut lui donner. Un film qui nous bouleverse, en douceur. LOST IN LA MANCHA Lost in la Mancha est un film particulier. C'est le " making of " palpitant qui relate le tournage chaotique jusqu'au burlesque du " Don Quichotte " du réalisateur Terry Gilliam. Il rêve depuis des années d'adapter à sa façon le Don Quichotte de Cervantès. Le plaisir du spectateur est double. D'abord on voit de larges extraits du film fantôme : Jean Rochefort émouvant mais malade sur une rossinante amaigrie à souhait (et mourante), un casting formidable de " géants " filmés en contre plongée, un Johnny Depp d'une autre époque, plus étrange que jamais, des costumes et des marionnettes magnifiques... Mais peu avant le premier jour de tournage, Terry Gilliam avait fait cette remarque : " Je vois ici un immense potentiel de chaos ". Il a été servi mais pas dans le sens qu'il espérait : bande son sabotée par le passage de F16, orage détruisant le matériel, maladie du principal acteur, promesse d'un studio qui n'est qu'un hangar ouvert à tous les vents, dialogues de sourds au sein d'une équipe multilingue et un budget de départ qui se plombe dangereusement jour après jour. En assistant à ce désastre sur le tournage, le spectateur est témoin de la double nature du cinéma, à la fois art et industrie. Orson Welles s'était également cassé les dents sur le tournage de son Don Quichotte pour des raisons financières. Comme Welles n'est plus de ce monde, on a terriblement envie à la fin que Terry Gilliam puisse réaliser son film un jour. Pour l'instant les " droits " sont dans les griffes de compagnies d'assurances. Les financiers sont de redoutables moulins pour les chevaliers errants du 7e art. BLACKS, BLUES AND DREAMS La revue Jazz Magazine a commis une bonne action en offrant à ses lecteurs dans sa livraison de septembre un CD de 32'15 où se trouvent rassemblés dix interprétations majeures de blues ou de gospels entre 1928 et 1951. André Clergeat a réalisé cette sélection et rédigé des notes très éclairantes. Les paroles de ces chants évoquent de façon directe ou allusive, révoltée ou ironique, les injustices vécues par les Noirs d'Amérique. Ce CD vous permettra en particulier de découvrir le pathétique " Strange Fruit " interprété par Billie Holiday et le sarcastique " Black, Brown And White " chanté par Big Bill Broonzy. [Sur " Strange Fruit ", voir notre compte-rendu du livre de David Margolick en 10/18, dans la lettre de notre bord n°22, 31 mai 2002] http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_022_31-05-2002.html#7 IN SITU Depuis notre dernière lettre, nous avons mis en ligne sur notre site un point de vue sur le film de Peter Greenaway, " Le Ventre de l'architecte ", un article intitulé " Le capitalisme dévaste l'Afrique sub-saharienne " et un point de vue sur " Bienvenue à Ramallah " de Théodora Oikonomides. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_036_27-08-2003.html |