Journal de notre bordLettre n°22 (le 31 mai 2002)Bonsoir à toutes et à tous, Rapports marchands ou rapports humains ? Il ne s'agit ni d'un sondage ni d'une consultation électorale. Mais la question de notre avenir se pose dans ces termes. Elle concerne d'abord toutes celles et tous ceux qui tentent de vendre leur force de travail (n'ayant rien d'autre à vendre). Peur de perdre son job, angoisse de ne pas en trouver, santé ruinée au fil des années par l'intensification de la charge de travail, impossibilité de faire des projets à partir d'une situation personnelle de plus en plus incertaine. Les rapports marchands sont des rapports de force, destructifs, inégalitaires. Ils s'insinuent dans toutes les relations sociales, détériorant la confiance dans les autres comme la confiance en soi. Ils condamnent chacun à une course éperdue pour survivre, pour " gagner sa vie ", pour " s'éclater " ou " se lâcher ", pour tenter d'atteindre une identité stable et reconnue. Course éperdue, et course perdue d'avance dans le système actuel de domination. La concurrence accomplit ses ravages à tous les niveaux. Elle provoque l'extension des comportements agressifs. Les " faits divers " exhibés par les médias sont autant de points de rupture indiquant l'ampleur de la crise humaine actuelle. Les dominants de grand ou de petit calibre traitent d'autres personnes comme des objets à exploiter, à écraser, comme de simples prétextes pour obtenir un profit, un plaisir ou un avantage. Ainsi s'organisent actuellement la plupart des formes de hiérarchie sociale. Nous n'allons pas nous en sortir en nous contentant d'avancer une série de revendications, aussi fondamentales, aussi nécessaires soient-elles. Nous ne pouvons pas nous contenter de dénoncer, de protester, d'être contre le capitalisme, sans dire ce que nous voulons mettre à la place. Il nous faut un but global pour que nos luttes et nos revendications prennent pleinement leur sens et leur efficacité. Il nous faut avancer un projet de civilisation où les rapports soient humains et non marchands. Au-delà du capitalisme brisant les vies et compromettant les conditions même de la vie sur terre, le socialisme à l'échelle mondiale devra s'imposer. Qu'on nous traite d'utopistes. La belle affaire ! Nous affirmerons avec une énergie redoublée qu'une fédération socialiste et démocratique du monde doit remplacer la dictature mondiale du Capital. __________________________________ Ubu Ben Ali et ses amis La jeune garde Football À l'encontre De nulle part La vie est belle Strange fruit Précision In situ __________________________________ UBU BEN ALI ET SES AMIS La bourgeoisie française n'aura pas seulement laissé les pays du Maghreb dans un état déplorable après des décennies de colonialisme. Elle continue à les piller allègrement avec la complicité des gouvernants corrompus qui exercent leur dictature au Maroc, en Algérie et en Tunisie. Un opposant tunisien au régime de Ben Ali a téléphoné aux gens du Quai d'Orsay pour leur demander ce qu'ils pensaient des 99,6 % de voix en faveur de son référendum de despote : " Pas de commentaires. C'est une affaire intérieure à la Tunisie. " Belle continuité avec le ministre socialiste Védrine qui avait rendu une visite très cordiale au dictateur Ben Ali. L'ex-candidat aux présidentielles Chevènement avait également apporté un soutien appuyé à Ubu-Ben Ali, de même que Chirac. Sacrés " démocrates " de gauche et de droite ! Ils soutiennent sans complexe un régime qui emprisonne et torture des milliers d'opposants (ou réputés tel) à seule fin de terroriser toute la population. Grâce à ces méthodes, les enclaves touristiques et les bonnes affaires des entreprises françaises peuvent mener leur vie en toute tranquillité. LA JEUNE GARDE Au cours des manifestations anti-Le Pen, certains manifestants, dont des jeunes, sont venus avec un drapeau tricolore et ont chanté la Marseillaise. La mémoire sociale a de sacrés trous. Les Communards massacrés par les Versaillais en 1871 ont dû se retourner dans leur fosse. Même sous une forme symbolique, " l'union nationale " ne prépare rien de bon. Laissons à la République des milliardaires ses vieux symboles d'oppression. Faisons en sorte qu'au cours des prochaines manifestations, l'Internationale et La Jeune Garde se fassent entendre avec force. FOOTBALL Pour coller à l'actualité, parlons football. Henri Verneuil, cinéaste d'origine arménienne, a raconté ses souvenirs d'enfance et d'adolescence à Marseille dans " Mayrig " (Pocket, 1999). Il évoque à un moment ses pitoyables prestations de footballeur en herbe qui lui valaient les reproches de ses petits camarades. Son origine " étrangère " n'arrangeait pas les choses. Avec une ironie sereine, Verneuil nous décoche ensuite cette petite digression : " Pourvu qu'il frappe fort du pied ou de ses poings, l'homme de couleur, enrubanné dans le drapeau national du plus offrant, devient soudain notre frère humain...pour un but de plus. " Apprécions ce tir bien ajusté dans la lucarne de gauche. À L'ENCONTRE Nous recommandons chaleureusement la lecture de la revue suisse intitulée " A l'encontre ". Cette revue politique mensuelle en est à son numéro 7. Elle présente des analyses de qualité que ce soit sur l'Argentine, la Palestine, la Russie, l'Allemagne, l'Italie, la France ou la Suisse. L'adresse de son site est : http://www.alencontre.org/ DE NULLE PART Connaissez-vous Edward W. Said ? Diverses revues, dont " À l'encontre " ou " Carré rouge ", ont publié des articles politiques de cet intellectuel palestinien, au nom arabe et au prénom britannique qui vit à New York. Edward Said est un rebelle, un esprit complexe trop libre pour être catalogué, un intellectuel au meilleur sens du mot. Il est spécialiste de littératures comparées et musicologue. Il raconte son enfance et sa jeunesse dans " A contre-voie " (éditions Le Serpent à Plumes, 430 pages, avril 2002). Le titre original est " Out of Place " car Said est de nulle part et de partout, entre Palestine où il est né, Égypte et Liban où il a passé son enfance et États-Unis où il mena sa carrière universitaire. LA VIE EST BELLE Les escargots des Bermudes viennent de perdre leur historien. Le paléontologue américain Stephen Jay Gould vient d'être vaincu par un cancer qui s'était déclaré il y a tout juste vingt ans (ndlr : les médecins lui donnaient un an, à l'époque). Ses ouvrages étaient pour la plupart des recueils d'articles de vulgarisation sur de multiples aspects concernant les espèces et leur évolution. Il s'était impliqué avec ardeur depuis les années soixante dans les débats concernant la théorie du néodarwinisme. Pour Gould, l'évolution des espèces n'avait rien de graduelle et était soumise à des ruptures et à des sauts pour des raisons climatiques ou génétiques. Il fut aussi un redoutable polémiste contre les " créationnistes ", ces intégristes chrétiens exigeant que l'interprétation de la Bible soit enseignée au même titre que la théorie de l'évolution de Darwin ! La plupart des livres de Stephen Jay Gould ont été édités au éditions du Seuil (" Le Pouce du panda ", Quand les poule auront des dents ", " La vie est belle ", etc.). Ils sont plein d'humour et de passion et stimulent la curiosité du lecteur pour le monde du vivant. STRANGE FRUIT Il est rare que tout un livre soit consacré à l'histoire d'une chanson mais " Strange fruit " le méritait amplement. Le thème de " Strange fruit " est dépouillé. Les paroles évoquent de façon implacable les lynchage de Noirs dans le Sud des États-Unis. Cette chanson a été interprétée pour la première fois par la chanteuse noire Billie Holiday en 1939. Après avoir été réticente, elle l'a chantée très fréquemment à la fin de ses prestations. "Strange fruit " est devenue une chanson constitutive de son existence dramatique. David Margolick a mené une enquête captivante à partir de nombreux témoignages sur les circonstances de création et d'accueil de cette chanson. L'auteur en était Abel Meeropol, un professeur blanc et juif de New York ayant des idées progressistes. Il l'avait proposée à la célèbre chanteuse de jazz. L'interprétation de Billie Holiday était tellement poignante et dérangeante que la plupart des radios se refusaient à la diffuser. Le livre " Strange fruit " de David Margolick est édité en collection 10/18 (112 pages, 2001) et toutes les précisions discographiques se trouvent en annexe. Pour en savoir plus sur les disques de Billie Holiday, consultez le site : http://www.varelasite.com.ar/billieholiday.htm PRÉCISION Un ami nous a signalé que le livre " La Philosophie cognitive " d'Angèle Kremer-Marietti (éditions L'Harmattan) dont nous avons signalé la parution dans notre dernière lettre est la réédition d'un texte paru dans la collection " Que-sais-je ? ". IN SITU Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne en page d'accueil une citation du philosophe Gilles Deleuze et un point de vue sur le roman de Michel Quint, " Effroyables jardins ". Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mèl: Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_022_31-05-2002.html |