Ngo Van nous à quittés

Avec la disparition à 91 ans de Ngo Van en ce début janvier, nous quitte un témoin passionné et intransigeant quand il s'agissait de défendre la mémoire de ses anciens camarades de lutte, trotskystes vietnamiens, qu'il rejoignit dès le début des années 30, mais aussi celle de tous ces intellectuels et lettrés, les Cinq Dragons qui dès le début des années 20, défièrent au prix de leur vie le pouvoir colonial. Nguyen an Ninh qui créa le journal anticolonialiste, La Cloche fêlée ou Phan Van Truong dont Van venait de faire rééditer en 2003 son pamphlet paru en 1926, « Une histoire de conspirateurs annamites à Paris ou la vérité sur l'Indochine ». Pour ceux des lecteurs qui n'ont pas lu les deux ouvrages de Van consacrés au Vietnam, nous leur signalons la critique parue dans Rouge en février 2001 et mise en ligne sur le site Culture et Révolution (Au pays de la Cloche fêlée de Ngo Van).

Comment ne pas évoquer Van sans parler aussi de tous ceux qui l'ont côtoyé ou avec lesquels il a tissé des liens d'amitié et d'affection dès son arrivée à Paris en 1948 après avoir échappé de justesse aux tueurs staliniens aux ordres de Ho Chi Minh. Durant près de 70 ans d'une vie politique et intellectuelle, Van n'a pas oublié ceux qui l'ont accueilli comme Sophie Moen, Benjamin Péret ou d'autres comme Munis, réfugié espagnol. Avec eux et d'autres, il milite dans un petit groupe né en 1948 d'une scission avec le PCI. Puis, ce fut la rencontre avec son ami Maximilien Rubel en 1954 dont la lecture de Marx portait en exergue une  déclaration de Marx bien trop souvent oubliée «  Tout ce que je sais, c'est que moi, je ne suis pas marxiste ». Van dit alors que cela l'a « aidé à sortir de son désarroi après les événements tragiques de 1945 à Saigon ».

Aux fils des années sans renier son passé trotskyste, Van fit la démarche de relire bien des aspects oubliés de Marx, encouragé en cela par Rubel. En 1958, Van collabore étroitement au groupe ICO, Informations et Correspondante ouvrières, autour d'Henri Simon, Pierre Blachier, Guy Perrard, Christian Lagant de Noir et Rouge ou Daniel et Rina St-James. Chacun dit Van « y expose librement son point de vue et reste entièrement libre de l'action qu'il mène dans son entreprise ». Van travaille alors comme ouvrier électricien aux usines Jeumont-Schneider jusqu'en 1978.

Dans ces réunions avec Maximilien Rubel et Jean Malaquais, on y débat largement de Marx mais aussi de toute l'actualité internationale, du Congo, de la Chine de Mao  avec  le camarade hongrois, Etienne Balàsz. Le groupe entretient une correspondance suivie avec Anton Pannekoek, Cajo, Canne Meijer et Paul Mattick, tous proches des conseillistes hollandais et allemands.

Lectures et re-lectures autour des révolutions russes de 1905 et 1917, de la révolution allemande de 1918-1922, des textes et écrits d'Otto Ruhle, Karl Korsch, Franz Pfemfert ou Hermann Gorter, communistes allemands de gauche du KPAD, en opposition avec la III Internationale et qui avaient proclamé «  Ni parlement ni syndicats : les Conseils ouvriers ». Durant ces années, Van s'éloigne alors définitivement des conceptions léninistes du parti élite. Il rejette tout forme de domination du Parti-État. Quand il évoque Marx, Van préfère le terme de marxien que marxiste et rappelle que lorsque Marx déclare dans sa rédaction des statuts de l'AIT, la 1ère Internationale en 1864 que « L'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes », c'est aussi en écho à « L'existence de l'État et l'existence de l'esclavage sont indissociables. » (Karl Marx, Vorwärts n°60, 7 et 10 août 1844. La Pléiade, III, p 409.) Van invitait d'ailleurs tous ceux qui en discutaient avec lui de lire le livre de Rubel, Marx critique du marxisme....

Jusqu'à ces dernières semaines, Van continuait à collaborer à la revue animée par Henri Simon, Échanges et Mouvements qui suivit ICO. Il travaillait aussi à une suite autobiographique à la Cloche fêlée sur son parcours politique depuis son arrivée à Paris en 1948. Van a publié en 2001 «Utopie libertaire antique et guerre des paysans en Chine» aux éditions du Chat qui pêche et en 2003 avec Hélène Fleury,  « Contes d'autrefois du Viêt-Nam » aux éditions You Feng. Il collaborait aussi à la revue L'Oiseau Tempête.

À la fin de son livre « Viêt-Nam 1920-1945 Révolution et contre–révolution sous la domination coloniale  », Van revient sur le régime vietnamien actuel et y écrit : « Certes, le parti de Hô Chi Minh a gagné la guerre mais la population vietnamienne y-a-t-elle gagné autre chose que sa servitude, selon l'expression de La Boétie. ». Van cite aussi un  passage d'un texte de Ret Marut alias Bernard Traven :

Entendez, vous avez des oreilles pour entendre !
Pensez, vous avez des cerveaux pour penser !
Mais ne croyez pas !
Ne croyez rien !
Ne faites pas confiance !
Ne faites confiance qu'à votre propre force !
Adieu Van

Le 12 janvier 2004

Jean Narédo

Voici en complément une image de la couverture du livre La Cloche fêlée avec les portraits de révolutionnaires dont les biographies ont été déformées ou absentes de l'histoire officielle :
De gauche à droite en commençant par le haut

Tran van Si    Phan van Hum             Ngo Van
(1907-1945)   (1902-1945)            (1913-2005)



Ho Huu Tuong                                Lu sanh Hanh 
(1910-1980)                                   (1912-1982)



Ta Thu Thau                                  Tran van Thach
(1906-1945)                                    (1903-1945)



      Edgar        Nguyen          Dao            Phan
   Ganofsky     van Linh     Hung Long   van Chanh
(1880-1943) (1906-1951)  (1905-...)   (1906-1945)
Lisbonne
1945 ou 1951, ce sont les dates des assassinats par le Viet minh.

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URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/en_question/2005-01-17-Ngo_Van-nous_a_quittes.html

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