L'Histoire inachevée et sa fin

de Volker Braun

Éditions L'Inventaire (mars 2001)
Récit, 133 pages

Cette histoire est fondée sur un témoignage authentique. Elle se passe en RDA au début des années soixante-dix. Le Parti et l'État de l'Allemagne de l'Est ne font qu'un. Ils modèlent et déforment la vie personnelle de chacun.

La jeune Karin, fille d'un homme de l'appareil à la carrière sans anicroche, tombe amoureuse du jeune Frank. Il est de famille ouvrière et le pire est qu'il a reçu des lettres « de l'Ouest ». Double mésalliance en perspective, sociale et idéologique. Karin est sommé par ses parents de rompre avec Frank, le plus vite possible. Le pouvoir en place inspire la peur et sait faire connaître sa volonté par de simples allusions.

Karin ne parvient pas à casser sa relation avec Frank, d'emblée et définitivement. Elle est rapidement coupable vis-à-vis de ses parents comme du parti, d'avoir « brisé la confiance ». Elle obéit quand même, se rétracte, se renie : « Quelle était cette force en elle qui la faisait s'oublier elle-même ? » (page 72) C'est la force de tout pouvoir qui, intériorisée, conduit à l'oubli de soi et des autres.

Frank est acculé au désespoir. Karin plonge dans un désarroi sans issue. Elle est licenciée de son poste de journaliste. Mais le pouvoir est indisposé par l'expression de la souffrance de ses victimes. Il veut les contraindre à une complicité abjecte avec lui. Il veut faire croire n'importe quoi à n'importe qui, jusqu'à « l'abdication de toute pensée ». Il veut mettre quelqu'un comme Karin « en congé du monde. Comme une cure de sommeil, un sommeil de la conscience. » (page 93)

Il n'est pas étonnant que ce récit publié en 1975 dans une revue de RDA soit tombé aussitôt sous le coup de la censure et n'ait pu revoir le jour qu'en 1988, un an avant la chute du mur de Berlin. L'auteur a fait suivre son récit de deux textes brefs mais complexes, datant de 1996 et de 1997. En consultant son dossier dans les archives de la police politique, la Stasi, Volker Braun avait fait entre temps des découvertes troublantes sur ses héros et sur lui-même. Il y avait là de quoi alimenter des conclusions pessimistes sur « tous les protagonistes, auteur et lecteurs », « mutilés par les événements de l'Histoire ». L'auteur va plus loin dans sa réflexion en 1997. Il me semble qu'il suggère ceci : la vitalité des êtres qui s'affirment face à l'ordre établi donne un sens immédiat à leur vie et ouvre d'autres voies à la société.

Les caricatures répugnantes de « socialisme » se sont effondrées. Le socialisme réel et authentique appartient au futur.

Le 19 avril 2001

Samuel Holder

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