Mémoire argentine

de Tununa Mercado

Éditions Sabine Wespieser, mars 2004
Récits traduits de l'espagnol (Argentine), 224 pages

Tununa Mercado est née et a vécu à Cordoba, au nord de l'Argentine. Elle n'avait que 27 ans lorsqu'elle a du quitter son pays comme bien d'autres à la suite du coup d'État militaire de 1966. Après deux périodes d'exil, en tout seize ans, elle n'est revenue définitivement à Buenos Aires qu'en 1986 où une nouvelle forme d'exil dans son propre pays a commencé.

L'exil est une expérience qui met à l'épreuve l'intégrité d'une personne. Comme toutes les grandes ruptures, (deuils, divorces, exclusions...), l'exil peut conduire à avoir du mal à se reconnaître soi-même. La perception du monde extérieur et intérieur est ébranlée et parfois profondément modifiée. Les seize textes de Tununa Mercado sont des confrontations douloureuses avec elle-même, avec son histoire personnelle d'exilée, avec celle de ses amis et avec l'histoire du vingtième siècle. Ils sont comme les éclats d'une bombe psychologique dont tous les éléments sont repérés avec une lucidité impitoyable mais dont il serait impossible de se défaire.

Le titre original est En estado de memoria, un état de mémoire, celui qui bloque l'imagination ou se détache excessivement de la réalité. Quand la mémoire est chargée de trop de pertes, de morts, de trahisons, d'échecs et d'incompréhensions, elle conduit aux portes de la folie. Le défi est de rendre compte de cet état limite avec l'acuité nécessaire, tout en essayant d'échapper à l'angoisse qui s'est installée dans les plus anodines circonstances de l'existence comme l'achat d'un vêtement ou la préparation d'un cours pour des étudiants.

Si l'écriture de son livre agit partiellement comme une forme d'autoanalyse, c'est parce que l'auteur n'a pas pu suivre un traitement clinique individuel, faute de moyens financiers. Pour l'exilée politique, la douleur des autres exilés, celle de ceux restés au pays dont on n'apprend souvent qu'une fraction du sort qu'ils ont subit, devient une douleur personnelle qui s'agglutine aux autres.

Le chapitre intitulé « visite guidée » nous conduit dans la maison où fut assassiné Trotsky, « le modèle le plus marquant de la tragédie du vingtième siècle et de l'exil le plus dramatiquement interrompu ».(page 127). « On sait combien tout Argentin de gauche et, pourrait-on dire, tout citoyen du monde doté d'une certaine sensibilité socialiste, ne peut s'empêcher d'aller visiter la maison de Léon Trotsky dans la rue Viena, à Coyoacan. » C'est en ce lieu « que la destinée personnelle acquiert une signification historique et collective ». Ce livre est aussi, incidemment, une réflexion sensible sur ce que fut le combat militant pour certains, avec ses passions, ses dérisions et ses magnifiques complicités ; comme lorsque Tununa Mercado entreprend avec des amis mexicains de lire et d'interpréter, chacun à leur façon, la Phénoménologie de l'Esprit du philosophe Hegel.

La lecture de ce livre est éprouvante mais à sa façon, nécessaire pour parvenir à une connaissance intime de certaines tragédies personnelles et collectives du siècle passé.

Le 25 juin 2004

Samuel Holder

< < O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/critiques/Tununa_Mercado-Memoire_argentine.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page