Rudolf vit seul dans une grande maison cossue de la campagne autrichienne. Il a largement
dépassé la quarantaine et il est toujours harcelé par une maladie rare et grave qui
provoque parfois des étouffements et de façon générale une grande fatigue. Cette
maladie, le morbus boeck, n'est pas la seule cause de la solitude du narrateur et de son
extrême malaise. Depuis des années il écrit des articles sur de grands compositeurs
qu'il affectionne particulièrement. Il tente à présent d'écrire une
étude sur Mendelssohn-Bartholdy sur lequel il a amassé une documentation surabondante. Mais la
foule des obstacles psychologiques qu'il a intériorisés bloque son projet. Il ressasse de
sombres pensées qui alimentent en permanence son dégoût, sa colère et son
découragement.
Il est évidemment impossible pour lui de travailler en présence de sa sœur
aînée, une femme d'affaires mondaine et sarcastique qui le domine et le dévalorise
avec entrain. Mais lorsqu'elle vide les lieux pour regagner Vienne, comment ne pas craindre son retour
inopiné ? Comment se débarrasser de sa présence écrasante, envahissante ? Comment
ne plus penser à elle et à tous ces acteurs hypocrites de la comédie sociale où
se retrouvent pêle-mêle les représentants de l'Église catholique, les
politiciens du Parti socialiste autrichien, les journalistes, les spéculateurs et tous ces gens qui
prétendent se sacrifier pour les pauvres « uniquement à cause de leur désir de
gloire personnelle. » Il abhorre « ce monde qui croule sous les milliards et où
le Secours catholique feint d'être charitable » en ramassant les dons des riches, comme
sa sœur. Ce sont des gens qui font ainsi un placement pour se faire passer avec ostentation pour
généreux et aimant leur prochain. Quant au gens du peuple, « les gens simples », il
a eu l'occasion de découvrir que ce sont « les gens les plus compliqués qui
soient ».
Les vitupérations permanentes de Rudolf contre toutes les impostures et contre sa propre faiblesse se
développent en boucles et en spirales, avec une verve ahurissante et une lucidité
implacable.
Pour engager enfin son travail et endiguer sa maladie, il envisage d'entreprendre un nouveau voyage
à Palma. Le climat des Baléares lui sera-t-il salutaire ? A ce moment du récit vient
s'enchâsser une autre histoire qu'il n'est pas question ici de révéler, une
histoire qui intervient en contrepoint, comme un thème musical, simple, dramatique et profond.
Le 23 mars 2004
Samuel Holder
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