Dix petits Indiens

de Sherman Alexie

Nouvelles traduites de l'américain par Michel Lederer
Éditions Albin Michel (novembre 2004)
279 pages, ISBN : 2226154965

Selon la terminologie administrative des États-Unis, Sherman Alexie est un « Américain d'origine ». Né dans une réserve de l'État de Washington, il est un Indien de la tribu Spokane. Cet écrivain de 39 ans raconte la vie de quelques Indiens et Indiennes Spokane, plus ou moins en perdition dans la ville ou la région de Seattle. Il rejoint par son talent le groupe des écrivains américains non-conformistes comme Russell Banks, Paul Auster, Jim Harrisson, Philip Roth ou feu Raymond Carver.

L'inspiration de Sherman Alexie tourne le dos au folklore, au misérabilisme, au communautarisme et à toute forme de célébration d'une problématique identité indienne. Il s'amuse beaucoup des stéréotypes en la matière. Ses personnages en jouent et pratiquent fréquemment l'autodérision qu'ils ou elles soient mères de famille, cadres, étudiants, ranger ou clochard. Chacun est unique et terriblement attachant dans son genre.

L'humour, la tristesse et la déchirure intime confinant parfois au désespoir sont leur lot commun. « En fait, la majorité des Indiens ne sont que de pauvres gens qui ne savent pas comment ils vont payer leur loyer et leur facture d'électricité, et qui bien souvent, prient pour gagner à cette foutue loterie. » (page 165)

Plusieurs passages dans la première nouvelle intitulée « Moteur de recherche » sondent un des drames de l'histoire des États-Unis. Corliss est une étudiante indienne passionnée de poésie et éprise de solitude. Elle s'interroge sur la fragilité de nombre d'Indiens :

« Au cours de ces deux derniers siècles, les Indiens avaient appris à faire la queue pour obtenir nourriture, amour, espoir, sexe et rêves, et ils ne savaient pas s'en dispenser. Ils étaient bons à faire la queue et ignoraient s'ils seraient bons à autre chose. Bien sûr, toutes sortes de gens se chargeaient de les confirmer dans leurs peurs et leurs insécurités. » (page 22) Il y a une douleur et une aliénation propre aux Indiens et qui a une origine historique :

« Corliss n'ignorait pas combien les Indiens sont obsédés par l'authenticité. Colonisés, exterminés, exilés, les Indiens avaient forgé leur identité en interrogeant l'identité des autres Indiens. Remplis de haine de soi et de doute, ils avaient fait de leurs tribus des sectes nationalistes. Mais peut-on nous reprocher notre folie ? se demandait Corliss. Nous sommes des gens exilés par d'autres exilés, par des puritains, des pèlerins, des protestants et tous ces autres cinglés de Blancs jetés hors de cette Europe plus cinglée encore. Nous qui étions jadis indigènes en ce pays, nous devons immigrer dans sa culture. »

L'angoisse et le racisme à l'encontre de tous les gens basanés ont été particulièrement avivés avec l'attentat du 11 septembre 2001. Dans la nouvelle « Plans de vol », un cadre indien de Seattle allant prendre un avion pour se rendre à son travail confie avec humour à un chauffeur de taxi éthiopien qu'un gros Blanc à bord de son gros pick-up lui a jeté à la figure : « Retourne dans ton pays ! ». La nouvelle « Partie de juristes » met en évidence comment le racisme dans les catégories privilégiées, comme ici le monde des juristes, peut éclater bassement au cours d'une partie de basket « amicale ».

Sherman Alexie se plaît à mettre en scène des histoires de famille drôles ou dramatiques où le lien affectif entre parents et enfants est très fort. Il semble bien que, sans parler de matriarcat, la place de la mère Spokane soit souvent prépondérante, qu'elle soit tendre et intelligente, protectrice ou permissive, un peu ou beaucoup déjantée. En même temps, de belles histoires d'amour entre hommes et femmes s'entrelacent dans ce recueil d'une tonalité originale.

Le 9 juin 2005

Samuel Holder

< < O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/critiques/Sherman_Alexie-Dix_petits_Indiens.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page