Ce livre mettra de bonne humeur toutes celles et toutes ceux qui se
battent contre leur patron en particulier, les capitalistes en général et
tous les politiciens à leurs bottes. Au passage ils y apprendront pas mal de
choses sur la vie sociale et politique aux Etats-Unis.
Dans sa préface à l'édition française, l'auteur se
présente lui-même : « Mon père était ouvrier de
l'industrie automobile. Je n'ai pas de diplômes universitaires. Vous
n'aurez pas souvent l'occasion d'entendre l'opinion d'un
Américain dans mon genre. » Profitons-en car cela décoiffe dans le
bon sens, celui de la lutte des travailleurs contre ceux qui les exploitent et les
licencient. Il est réjouissant de constater que la tournée de promotion aux
Etats-Unis de son livre a été un grand succès relayé ensuite
par celui de son film « The Big One ». Son film précédent
« Roger et Moi » était une dénonciation au vitriol de la
façon dont General Motors à fait basculer toute la population travailleuse
de Flint dans la misère.
Ce livre ne fait pas double emploi avec le film « The Big One » mais
procède du même humour féroce. Puisque ce système basé
sur la recherche du profit maximum est absurde et délirant, pourquoi ne pas
pousser sa logique à fond les manettes pour le clouer au pilori ? C'est ce qui
amène Michael Moore à suggérer que General Motors vende du crack, ce
qui serait plus rentable que de vendre des voitures. Détournant le langage des
réactionnaires, il s'en prend à ces « assistés »,
ces « feignants » et ces « parasites », les capitalistes bien
sûr, qui empochent chaque année 170 milliards de dollars, rien que de la
part de l'Etat fédéral américain, au titre de « l'aide
aux entreprises ».
Personne n'est obligé d'apprécier toutes les plaisanteries de Mike
mais tout le monde a le droit d'en rire de bon cur. Dans le contexte politique
et médiatique des Etats-Unis où les politiciens et lobbys
réactionnaires sont omniprésents, certaines de ses facéties sont
moins anodines qu'il n'y paraît pour un lecteur non-américain.
Son point de vue politique est celui d'un radical progressiste. Il n'est pas
révolutionnaire. Personne n'est parfait. Mais un homme qui propose « dix
façons de dégraisser les patrons » et écrit :
« C'est au tour des patrons de trembler pour leur emploi » ne peut
être entièrement mauvais. D'autant plus qu'il ne se contente pas de
dénoncer mais encourage tous les salariés à s'organiser
syndicalement et à agir sans relâche contre les patrons. Mais il est vrai
que sur la question des délocalisations, Mickael Moore n'est pas très
convaincant, aussi bien dans son livre que dans « The Big One ». Il faudrait
être de mauvaise foi pour l'accuser de nationalisme, d'autant plus
qu'en matière d'immigration, il est pour laisser entrer tout le monde aux
USA, « sauf les fachos ». Cependant il n'échappe pas à un
point de vue plus ou moins protectionniste à l'égard des travailleurs
de son pays ou de sa région. Pour dépasser cette position étroite,
il faut concevoir la lutte des travailleurs à l'échelle mondiale, comme
celle d'une seule et même classe sociale. C'est d'ailleurs une question
qui se pose à tous les syndicalistes, en France, aux Etats-Unis comme partout :
protectionnisme ou internationalisme, il faut choisir.
Au fait, les révolutionnaires non plus ne sont pas parfaits. Même si nos
idées sont vraiment les meilleures pour changer le monde, nous ne sommes pas
très à l'aise dans l'emploi de cette arme qu'utilise Michael
Moore contre les exploiteurs-licencieurs : l'humour corrosif qui contribue à
ne pas se laisser dominer par ces gens-là.
Pour aller un tantinet dans cette direction, il faut lire et faire lire
« Dégraissez-moi ça ! ».
Le 13 septembre 2000
Samuel Holder