Journaliste et écrivain polonais Mariusz Wilk aime à se situer dans
la catégorie des écrivains-voyageurs ou plus exactement des écrivains-nomades.
Il a vécu l'expérience Solidarność, connu la prison lors de l'état
de siège décrété par Jaruzelski mais se refuse à toute forme de
caricature qui tenterait « d'idéaliser » cette période, il en a vu les
limites. Correspondant au quotidien de Gdansk à Moscou, chroniqueur à la revue
polonaise Kultur installée à Paris, il a beaucoup voyagé, en particulier en
Russie. C'est dans le grand nord qu'il a passé ces dernières années d'abord
dans les îles Solovki sur la mer blanche, puis sur les bords du lac Oniégo et
dès l'automne 2005 dans la presqu'île de Kola. Ce sont toutes ses expériences
et observations, ses propres recherches et réflexions personnelles qu'il nous livre dans les
trois livres qu'il a publiés (un quatrième est à venir en 2010).
Très cultivé, il aime fouiller dans les bibliothèques à la recherche de
livres rares, cite Tacite comme Joseph de Maistre, les auteurs russes comme le poète chinois
du 8ème siècle, Li Bo, l'écrivain japonais Tanizaki Junikiro ou le
cinéaste américain Jim Jarmusch. Mais ce n'est pas de l'érudition pour
l'érudition. Au travers de ces auteurs lointains dans l'espace ou le temps, c'est sa propre
route (sa tropa) qu'il cherche, convaincu que « ce n'est pas le but qui compte, mais la
route ». Convaincu aussi que toutes les réponses ne sont pas dans les livres, il
veut voir et comprendre par lui-même et suit ses propres chemins au figuré comme au
propre : il navigue sur la mer blanche et affronte ses redoutables tempêtes, atteint
l'océan arctique, parcourt la toundra, patauge dans les marécages, gravit des
montagnes et met plusieurs fois sa vie en danger. Le grand Nord n'est pas un monde
particulièrement hospitalier ! C'est un observateur hors pair qui sait nous
émerveiller avec le spectacle des aurores boréales, des lichens et des fleurs de
l'été, des lacs ou de la mer pris par les glaces mais qui nous montre aussi les
horribles immeubles de béton construits à l'époque soviétique et les
dépotoirs qui défigurent la toundra, plastiques, ferrailles, bidons et débris
de fusées. Observateur de la nature mais aussi des hommes : pêcheurs, moines,
scientifiques, braconniers, ex-détenus des camps, artistes, ex-athlètes, fuyards en
tous genres. Parmi eux un nombre impressionnant d'alcooliques. Et des suicides...
Avec « Dans les pas du renne » nous le suivons sur la piste des Saamis, autre nom des
Lapons. Comment ces nomades, peut-être le plus vieux peuple d'Europe, « ont
supporté les malheurs du XXe siècle, l'industrialisation, les camps et les kolkhozes
et comment ils vivent aujourd'hui dans cette époque postsoviétique de consommation
effrénée, d'invasion par les nouveaux Russes et les touristes étrangers
». Comment ils ont été évincés, expulsés de leurs
territoires pour cause de sous-marins nucléaires, d'exploitation de minerais rares, de
constructions de villes « fermées ». Certains tentent de faire revivre leurs
traditions, d'autres surfent sur Internet à la recherche d'agences de voyages qui leur
enverraient des touristes. Mais les Saamis forment-ils vraiment un peuple ? Cette question fait
rire l'un d'eux : les sangs se sont mélangés depuis belle lurette ! Wilk ne savait
pas qu'en France serait lancé cet absurde débat sur l'identité nationale
lorsque, face aux nomades du nord, il s'interroge « sur son identité tribale,
polonaise, russe ». Il nous amène à cette belle réflexion : Ne
sommes-nous pas tous, à l'instar des Saamis, descendants de peuplades qui pendant des
millénaires ont parcouru l'Asie et l'Europe, des Pyrénées à l'Oural
jusqu'au grand nord, ne sommes-nous pas tous, quelque part, des descendants des chasseurs de rennes
du paléolithique ?
26 janvier 2010
Nadine Floury
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