Karel Schoeman est un des grands romanciers d'Afrique du Sud. Il écrit en langue
afrikaans, celle des anciens colons d'origine néerlandaise, comme André Brink et Breyten
Breytenbach. Ce roman publié en 1990 en Afrique du Sud doit être replacé dans le contexte
de ce que certains ont appelé « la violente décennie » de 1978 à 1988.
L'acte inaugural des mouvements de mobilisations massives et ininterrompues contre le régime de
l'apartheid se situe en fait en 1976 avec le soulèvement de Soweto. Quelques années plus
tard des attentats à la bombe se produiront dans plusieurs grandes villes telles que Pretoria,
Johannesburg ou Durban. Avec l'état d'urgence décrété en juin 1986 sur
l'ensemble du territoire, la répression policière et militaire va être portée
à un niveau inouï et envelopper l'ensemble de la société sud-africaine dans un
climat de terreur. Les barbelés se déroulent partout. Des blindés sillonnent les villes
et les routes. Les prisons se remplissent. La torture est une pratique d'une extrême
banalité. Des populations sont déplacées et de nombreux laissés pour compte
envahissent quartiers et immeubles délabrés.
Ce roman traduit de façon lancinante ce climat lourd et omniprésent, sans chercher à en
donner une expression réaliste et détaillée. Paradoxalement, il n'est pas sans
évoquer d'autres désastres urbains qui se sont produits après son écriture,
dans bien d'autres pays.
L'angoisse que provoque l'état de guerre et l'effondrement des structures sociales suinte
partout dans la ville du Cap comme dans toute l'Afrique du Sud. Elle finit par atteindre un milieu
restreint qui se croyait particulièrement protégé et au-dessus de cette
mêlée infernale, celle d'un groupe d'artistes, écrivains et journalistes. Ironie
amère : « Nous nous sommes habitués aux contrôles et fouilles, à la
douleur et à la mort ; nous aussi, même nous. Personne n'était
épargné » Ceux qui ne supportent plus ce pays qui leur est devenu étranger
cherchent à fuir en Europe ou se replient vaille que vaille sur quelques amis et sur leurs
activités professionnelles ou créatives. Tentatives assez vaines. Il leur faut faire face
à leurs propres fragilités mises à nu. La conscience de leur impuissance et de leur
vacuité érode leurs liens et leur aplomb. Sauf chez les plus superficiels et vaniteux que rien
ne semble pouvoir déstabiliser tant qu'ils peuvent parader et gagner de l'argent. Ces nantis
tiennent à afficher une apparente insouciance. L'exemple d'une de leurs connaissances, une
galeriste qui est partie pour les Pays-Bas, « leur rappelait qu'il était toujours
possible – fût-ce en théorie – de partir vers le vaste monde, là où le
pouvoir de l'argent était intact et où les privilèges n'étaient pas
menacés » (page 119).
La réalité politique et sociale, sinistre et démoralisante, est montrée au
travers de la perception exigeante et subtile d'Adrian, un poète dont personne ne conteste la
valeur. Il gagne sa vie en s'occupant, mollement, des archives d'un musée dont les
autorités de Pretoria envisage la fermeture. A mesure que le pays part à la dérive et
que toutes les formes de violence se déchaînent, il est « recru de fatigue et de
solitude. » Dans un même mouvement, la lucidité et l'authenticité
d'Adrian et de certaines de ses connaissances et rencontres se décantent et s'affirment.
Les éléments fondamentaux qui constituent la matière de ce roman n'ont de prime
abord rien de particulièrement attractifs ! Et pourtant nous sommes en présence d'une
oeuvre attachante, de belle facture, qui porte à la réflexion sur le destin d'une
société, sur l'amour, l'amitié et le sens de la création dans un contexte
de barbarie.
Le 23 septembre 2005
Samuel Holder
Quelques phrases de ce roman :URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/critiques/Karel_Schoeman-La_Saison_des_adieux.html