La Saison des adieux

de Karel Schoeman

Éditions Phébus, septembre 2004
Roman traduit de l'afrikaans par Pierre-Marie Finkelstein
291 pages, ISBN : 2859409297

Karel Schoeman est un des grands romanciers d'Afrique du Sud. Il écrit en langue afrikaans, celle des anciens colons d'origine néerlandaise, comme André Brink et Breyten Breytenbach. Ce roman publié en 1990 en Afrique du Sud doit être replacé dans le contexte de ce que certains ont appelé « la violente décennie » de 1978 à 1988. L'acte inaugural des mouvements de mobilisations massives et ininterrompues contre le régime de l'apartheid se situe en fait en 1976 avec le soulèvement de Soweto. Quelques années plus tard des attentats à la bombe se produiront dans plusieurs grandes villes telles que Pretoria, Johannesburg ou Durban. Avec l'état d'urgence décrété en juin 1986 sur l'ensemble du territoire, la répression policière et militaire va être portée à un niveau inouï et envelopper l'ensemble de la société sud-africaine dans un climat de terreur. Les barbelés se déroulent partout. Des blindés sillonnent les villes et les routes. Les prisons se remplissent. La torture est une pratique d'une extrême banalité. Des populations sont déplacées et de nombreux laissés pour compte envahissent quartiers et immeubles délabrés.

Ce roman traduit de façon lancinante ce climat lourd et omniprésent, sans chercher à en donner une expression réaliste et détaillée. Paradoxalement, il n'est pas sans évoquer d'autres désastres urbains qui se sont produits après son écriture, dans bien d'autres pays.

L'angoisse que provoque l'état de guerre et l'effondrement des structures sociales suinte partout dans la ville du Cap comme dans toute l'Afrique du Sud. Elle finit par atteindre un milieu restreint qui se croyait particulièrement protégé et au-dessus de cette mêlée infernale, celle d'un groupe d'artistes, écrivains et journalistes. Ironie amère : « Nous nous sommes habitués aux contrôles et fouilles, à la douleur et à la mort ; nous aussi, même nous. Personne n'était épargné » Ceux qui ne supportent plus ce pays qui leur est devenu étranger cherchent à fuir en Europe ou se replient vaille que vaille sur quelques amis et sur leurs activités professionnelles ou créatives. Tentatives assez vaines. Il leur faut faire face à leurs propres fragilités mises à nu. La conscience de leur impuissance et de leur vacuité érode leurs liens et leur aplomb. Sauf chez les plus superficiels et vaniteux que rien ne semble pouvoir déstabiliser tant qu'ils peuvent parader et gagner de l'argent. Ces nantis tiennent à afficher une apparente insouciance. L'exemple d'une de leurs connaissances, une galeriste qui est partie pour les Pays-Bas, « leur rappelait qu'il était toujours possible – fût-ce en théorie – de partir vers le vaste monde, là où le pouvoir de l'argent était intact et où les privilèges n'étaient pas menacés » (page 119).

La réalité politique et sociale, sinistre et démoralisante, est montrée au travers de la perception exigeante et subtile d'Adrian, un poète dont personne ne conteste la valeur. Il gagne sa vie en s'occupant, mollement, des archives d'un musée dont les autorités de Pretoria envisage la fermeture. A mesure que le pays part à la dérive et que toutes les formes de violence se déchaînent, il est « recru de fatigue et de solitude. » Dans un même mouvement, la lucidité et l'authenticité d'Adrian et de certaines de ses connaissances et rencontres se décantent et s'affirment.

Les éléments fondamentaux qui constituent la matière de ce roman n'ont de prime abord rien de particulièrement attractifs ! Et pourtant nous sommes en présence d'une oeuvre attachante, de belle facture, qui porte à la réflexion sur le destin d'une société, sur l'amour, l'amitié et le sens de la création dans un contexte de barbarie.

Le 23 septembre 2005

Samuel Holder

Quelques phrases de ce roman :

Page 117 : « Le bleu de la mer brillait comme une pierre précieuse, scintillant dans la lumière avec une telle intensité qu'il était impossible de croire que l'éclat, un jour, puisse en être terni, que cette journée passerait, que les enfants seraient arrêtés dans leur course ou les mouettes dans leur vol. La journée s'étirait dans cette luminosité, dans cette couleur, se lovait dans le bruit de la mer et du vent et gisait, immobile, inaccessible dans son silence. »

Page 184 : « Ils n'avaient plus ni pouvoir, ni autorité, ni droits ; ils n'étaient plus que des documents portant des numéros et des tampons, que l'on se repassait de main en main et que l'on abandonnait quelque part sur un bureau. »

Page 219 : « Le choix même de vos mots est déjà une prise de position, un jugement, indépendamment de ce que vous tentez de dire dans tel ou tel poème en particulier. »

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