Certaines n'avaient jamais vu la mer

de Julie Otsuka

Roman. Éditions Phébus, décembre 2012
142 pages, ISBN 978-2-7529-0670-0
Traduit de l'anglais par Carine Chichereau
Prix Fémina Étranger 2012

Le roman de Julie Otsuka, « Certaines n’avaient jamais vu la mer » (éd Phébus, décembre 2012, 142 pages) comble une lacune et tire de l’oubli, avec une certaine rage, un épisode peu glorieux dans l’histoire des États-Unis. Au début du XXe siècle, de jeunes Japonaises sont promises (ou plutôt vendues) par leur famille à de futurs maris Japonais déjà installés aux États-Unis et dont elles n’ont qu’une photo ancienne et des promesses sans rapport avec la réalité qui les attend. Le lecteur est embarqué dans leur vie, leurs rêves au cours de la traversée et leurs déceptions terribles par la suite. Leur destin qu’elles n’ont pas choisi va s’avérer dans la plupart des cas particulièrement sinistre.

La plupart sont issues de la campagne et celles qui viennent de la ville vont d’autant plus souffrir dans les exploitations agricoles de la Californie. Le sort de celles qui se retrouvent en ville n’est pas plus réjouissant entre le travail servile dans une famille blanche ou la prostitution.

Le style de Julie Otsuka est original, vivant et efficace. Le « Nous » employé donne une voix à toutes ces femmes. Chaque courte phrase chargée d’un vécu particulier, et parfois d’un fait drôle ou d’une remarque poétique, pousse aussitôt une autre phrase du même genre à une cadence qui ne se relâche pas. Elle tisse ainsi en peu de pages un vaste portrait, implacable et nuancé, de toutes ces femmes arrachées à leur pays et qui cherchent vaillamment à éviter les coups de maris violents et d’une société américaine qui nie leur culture et les méprise en bloc à quelques rares exceptions touchantes.

Au moment où certaines, leurs maris et leurs enfants semblent en mesure d’envisager une vie un peu meilleure sur le sol américain, de « s’intégrer » comme disent les bons apôtres idéologiques des puissances occidentales, la Deuxième guerre mondiale éclate. Tous les ressortissants d’origine japonaise qui n’en peuvent mais, sont traités en ennemis par la démocratie pilotée par Roosevelt.

Alors le « Nous » employé par la romancière se réfère à d’autres gens. Ce « nous » donne une voix plutôt consternante aux Blancs, avec qui finalement la cohabitation s’était rodée, et qui se demandent désormais si ces Japonais ne sont pas des espions, d’autant plus fourbes et redoutables qu’ils semblaient tout à fait respectables. Dans le doute, mieux vaut les dénoncer et les dépouiller. D’autres se demandent naïvement ou hypocritement, pourquoi diable les Japonais qu’ils croisaient, hommes puis femmes et enfants, sont partis un jour vers l’intérieur des États-Unis sans prévenir, ont été regroupés quelque part, on ne sait où. « Ah, si on avait su... ».

Le 16 mai 2013

Samuel Holder

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