Les employés

d’Honoré de Balzac

Roman, 1838
Éd. Folio, 2009
Texte intégral également disponible sur http://fr.wikisource.org/wiki/Les_Employés


Le qualificatif d’écrivain réaliste pour définir Balzac est gênant en ce qu’il peut vouloir dire que ce romancier se contenterait de rendre compte de la réalité ou se soumettrait à elle. Or il n’en est rien. En tant qu’artiste, Balzac a un tempérament de rebelle, comme Beethoven en musique ou Courbet en peinture. Il prend la réalité sociale à bras le corps pour lui faire rendre gorge ses simulacres, ses mensonges, ses manipulations tortueuses et mettre au jour les motivations différentes de chacun des personnages qui la constituent.

Dans son roman « Les employés » (1838), il débarque dans le monde poussiéreux et renfermé des bureaux d’un ministère agité par des luttes internes. Cela nous vaut une confrontation d’une prodigieuse vitalité de l’écrivain avec ce milieu étouffant qui, au passage, met en lumière des tendances historiquement constituées par l’empire napoléonien et qui continuent à s’épanouir sous la Restauration et jusqu’à aujourd’hui sous la Ve République. Nous assistons à la croissance inexorable de la bureaucratie d’État en synergie avec le développement de grandes fortunes monétaires et du crédit. En utopiste nostalgique de la royauté dépourvue de bureaucratie, Balzac plaide à l’occasion pour une administration plus rationnelle, moins dépensière, moins nombreuse mais avec des employés plus jeunes et mieux payés !

Même si le style, le mode d’investigation et l’époque sont bien différents, Balzac est aussi captivant à lire que Kracauer car il ne noie pas le poisson dans des généralités. Il propulse en avant des personnalités fort différentes dans leur façon de se mouvoir au sein de l’institution bureaucratique. Rabourdin est un chef de bureau sérieux et compétent qui a conçu discrètement tout un plan de réforme de l’administration de l’État, plus efficace et moins coûteuse. En toute logique, la place de chef de division dans le ministère où il officie depuis longtemps devrait lui revenir. Baudoyer est un chef de bureau incapable et arriviste. Il vise à terme la députation. De proche en proche, la rivalité de fait entre Rabourdin et Baudoyer implique leurs épouses respectives qui cherchent à abattre leurs meilleures cartes pour faire gagner leur mari.

Dans les coulisses, bien des gens finissent par s’en mêler, des usuriers, des dignitaires de l’Église, des journalistes soutenant le pouvoir ou dans l’opposition, et bien sûr le personnel des employés qui ont aussi leurs intérêts à défendre. Balzac nous régale d’une série de portraits d’employés, l’un honnête, l’autre faux-jeton, l’un besogneux, l’autre mauvais coucheur, l’un dilettante et prolixe en bons mots et l’autre fier et à l’écart de toute cette agitation. Les répliques fusent aux quatre coins du bureau faisant monter la tension et le suspense.

Le 29 janvier 2013

Samuel Holder

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