Est-t-il raisonnable de conseiller la lecture de ces histoires affreuses
et loufoques ? Non. Faut-il en déconseiller la lecture ? En aucune manière.
Mais vous êtes prévenus. Ce cocktail est plutôt relevé et peut
vous secouer...de rire. Le ton est enjoué et dynamique. Avec George Saunders,
c'est l'Amérique et tout baigne...dans le vitriol.
Aux États-Unis il existe des parcs d'attractions à vocation
thématique. On y recrée par exemple l'ambiance de la Guerre de
Sécession ou celle d'un village de pionniers fraîchement
débarqués du Mayflower. Les clients payent pour avoir des sensations
fortes. Ils doivent être comblés et ne jamais être tentés de
porter plainte contre le parc. Problemo, comme dirait Bart Simpson, car la
sécurité ne doit pas peser dans le budget des « libres
entrepreneurs ». Pour que tout se passe bien pour le business, les employés
sont flexibilisés tous terrains. Ils doivent être prêts à se
déguiser en n'importe quoi, encaisser les humiliations du patron sans broncher
et affronter les gangs qui rodent autour du parc.
Pour créer une « ambiance authentique », il faut beaucoup
d'artifices : simulations, hologrammes, vache vivante avec hublot en plexiglas pour
suivre en direct sa digestion, etc. Mention spéciale pour le casque qui permet de
scanner les souvenirs des vieillards pour faire revivre des époques du
passé, du genre Deuxième guerre mondiale aux jeunes
générations. L'employé est prié de scanner et non de
télécharger car sinon la mémoire des anciens s'amenuise.
L'auteur anticipe et pousse le bouchon assez loin à partir de tendances
actuelles au cur des relations sociales entre capitalistes, salariés et
consommateurs. Dans la dernière histoire « Bountyland », on voit
à quel monde abominable cela peut conduire : les êtres humains qui ont
absorbé des substances mutagènes dans l'eau ou ailleurs sont
transformés en monstres et ensuite en esclaves. Mais les sentences du genre
« Ce pays est votre pays » ou « Grand rêve, gros
gains. Concrétise. » continuent à être
proférées en toute candeur.
Plutôt que « Concrétise » ce qui est à l'uvre
est en fait « Crétinise les clients » et « Exploite à
fond tes salariés. » Le tout dans une ambiance saturée de moralisme,
de religion et de psychologisme tordu. Pour que les dominés le restent, il faut
que leur esprit soit lubrifié par de fortes doses de peur, de culpabilité
et d'auto dévalorisation.
A sa façon, un livre méchant et hilare contre une société
sans avenir.
Le 22 avril 2001
Samuel Holder