Grandeur et décadence d'un parc d'attractions

de George Saunders

Éditions Gallimard-La Noire (décembre 2000)
223 pages

Est-t-il raisonnable de conseiller la lecture de ces histoires affreuses et loufoques ? Non. Faut-il en déconseiller la lecture ? En aucune manière. Mais vous êtes prévenus. Ce cocktail est plutôt relevé et peut vous secouer...de rire. Le ton est enjoué et dynamique. Avec George Saunders, c'est l'Amérique et tout baigne...dans le vitriol.

Aux États-Unis il existe des parcs d'attractions à vocation thématique. On y recrée par exemple l'ambiance de la Guerre de Sécession ou celle d'un village de pionniers fraîchement débarqués du Mayflower. Les clients payent pour avoir des sensations fortes. Ils doivent être comblés et ne jamais être tentés de porter plainte contre le parc. Problemo, comme dirait Bart Simpson, car la sécurité ne doit pas peser dans le budget des « libres entrepreneurs ». Pour que tout se passe bien pour le business, les employés sont flexibilisés tous terrains. Ils doivent être prêts à se déguiser en n'importe quoi, encaisser les humiliations du patron sans broncher et affronter les gangs qui rodent autour du parc.

Pour créer une « ambiance authentique », il faut beaucoup d'artifices : simulations, hologrammes, vache vivante avec hublot en plexiglas pour suivre en direct sa digestion, etc. Mention spéciale pour le casque qui permet de scanner les souvenirs des vieillards pour faire revivre des époques du passé, du genre Deuxième guerre mondiale aux jeunes générations. L'employé est prié de scanner et non de télécharger car sinon la mémoire des anciens s'amenuise.

L'auteur anticipe et pousse le bouchon assez loin à partir de tendances actuelles au cœur des relations sociales entre capitalistes, salariés et consommateurs. Dans la dernière histoire « Bountyland », on voit à quel monde abominable cela peut conduire : les êtres humains qui ont absorbé des substances mutagènes dans l'eau ou ailleurs sont transformés en monstres et ensuite en esclaves. Mais les sentences du genre « Ce pays est votre pays » ou « Grand rêve, gros gains. Concrétise. » continuent à être proférées en toute candeur.

Plutôt que « Concrétise » ce qui est à l'œuvre est en fait « Crétinise les clients » et « Exploite à fond tes salariés. » Le tout dans une ambiance saturée de moralisme, de religion et de psychologisme tordu. Pour que les dominés le restent, il faut que leur esprit soit lubrifié par de fortes doses de peur, de culpabilité et d'auto dévalorisation.

A sa façon, un livre méchant et hilare contre une société sans avenir.

Le 22 avril 2001

Samuel Holder

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