Teacher Man

Un jeune prof à New York

de Frank Mc Court

Autobiographie traduite de l’américain par Laurence Viallet
Éditions Belfond (septembre 2006)
377 pages, ISBN : 978-2714442420

Voici le troisième volet roboratif d’une autobiographie passionnante qui peut se lire indépendamment des deux précédentes parties, « Les cendres d’Angela » et « C’est comment l’Amérique ? » (Pocket).

Frank Mc Court a connu la misère en Irlande, des boulots durs à Manhattan et l’armée américaine. En 1959 il a réussi à devenir prof de collège technique puis prof de lycée à New York. Il a attendu d’être à la retraite avant de pouvoir raconter sa vie par écrit. Quand on doit affronter cinq classes par jour, soit environ 175 adolescents d’origines nationales et ethniques diverses et revenir avec autant de copies chez soi, sans parler des réunions orageuses ou déprimantes avec les parents et l’administration, cela pousse plutôt à se descendre une bière ou deux qu’à se mettre à écrire ses mémoires.

Mc Court ne cache rien des problèmes qu’il a eu à affronter. Première difficulté : son accent irlandais à couper à la hache. Deuxième difficulté : une absence totale de formation pédagogique. Le jeune prof est également miné par des trous béants dans sa culture dont il est parfaitement conscient. En tentant d’enseigner l’anglais à une bande d’adolescents qui n’en ont cure, il a fortement l’impression d’usurper une place qui au demeurant est presque plus dévalorisée que l’emploi de docker qu’il a eu l’occasion d’occuper. Il se croit desservi par son manque d’ambition, faute impardonnable dans le contexte des États-Unis. Il n’a évidemment aucune aide à attendre de la part de sa hiérarchie. 

Le jeune prof n’a plus qu’à essayer de s’en sortir avec la matière même de sa vie chahutée, avec son non conformisme, son imagination et son sens de l’improvisation.

Comme Frank Mc Court a eu l’occasion de le dire lors d’une interview sur la chaîne 8 de la TNT avec François Busnel, tout le monde ment aux adolescents, les politiciens, leurs parents, leurs profs, et c’est ce qui leur est insupportable et explique une bonne part de leur agressivité. Il a été un enseignant jouant cartes sur tables avec eux. Il a été très réceptif à ce qui les ennuyait et les souciait. Cette attitude n’a pas aplani, loin de là, toutes les difficultés mais elle a permis d’établir des relations plus authentiques. Elle a suscité chez ses élèves une curiosité et une créativité inattendues et parfois extraordinaires.

Ce livre est aussi, chemin faisant, une belle confrontation d’un immigré irlandais avec la culture et la société américaines. Souvent dur et douloureux, il nous empoigne  par sa drôlerie et sa finesse. Quand on a envie que tous ses proches et ami(e)s dévorent au plus vite un livre, c’est bon signe. « Teacher Man » est un de ces livres qu’on ne veut surtout pas garder pour soi.

Le 20 février 2007

Samuel Holder

Voici des extraits de ce livre :

Page 297 : « Tu ne peux pas tricher, avec eux. Si tu te contredis ils crient, Hé ! c’est pas ce que vous avez dit la semaine dernière. Tu as devant toi leurs années d’expérience, leur vérité collective, et si tu persistes à te cacher derrière ton masque de prof tu les perds. Même s’ils se mentent à eux-mêmes et mentent aux autres, ils réclament de l’honnêteté chez leur professeur. »

Page 309 où l’auteur se parle rudement à lui-même : « Regarde un peu ta vie, en dehors du lycée. Tu n’es jamais à ta place. Toujours à côté de la plaque. Tu n’as pas de femme et ne vois  presque jamais ton enfant. Pas de vision, pas de projet, pas de but. Continue de marcher vers la crypte, mec. Disparais sans laisser de trace, si ce n’est le souvenir d’un homme qui avait transformé sa salle de classe en cour de récréation, atelier de rap, et cabinet pour thérapie de groupe.

Pourquoi pas ? Et puis merde. De toute façon, à quoi ça sert, l’école ? Je te pose la question, est-ce le rôle d’un prof de fournir de la main d’œuvre au complexe militaro-industriel ? Est-ce qu’il doit préparer les colis pour la chaîne de montage de l’entreprise ?

Ben dis donc, si c’est pas solennel, tout ça, mais qu’est-ce que j’ai foutu de mon porte-voix ? »

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