Le ventre de l'Atlantique

de Fatou Diome

Éditions Anne Carrière (août 2003)
Roman, 296 pages

La jeune Sénégalaise, Salie, a franchi le pas. Elle a quitté son île natale de Niodior pour immigrer en France. Son jeune frère, passionné de football, la harcèle au téléphone pour qu'elle l'aide à atteindre lui aussi l'Eldorado français.

Pourquoi y est-elle parvenue, elle, une femme à la naissance peu honorable, qui de ce fait porte un nom la plaçant au bas de hiérarchie sociale ? Dès son enfance, elle avait soif de liberté et pour cela elle voulait apprendre à lire et à écrire, à découvrir le monde et ses cultures. Il a fallu l'énergie d'une grand-mère intraitable avec son entourage, « une guerrière, avec des yeux en amende ». Il a fallu la bienveillance d'un instituteur marxiste, un syndicaliste contestataire que les autorités ont relégué dans cette île. L'instituteur Ndétare est un « Sénégalais de l'extérieur » qui, en dépit de son dévouement pour les enfants et les jeunes de l'île, est plus où moins méprisé par la population locale. Salie est une rebelle qui a eu la chance de croiser sur son chemin des personnes hors normes lui permettant de concrétiser son émancipation.

Mais s'émanciper de quoi précisément ? La romancière a des paroles très dures pour tout ce qu'ont d'étouffant et d'inhumain certaines traditions de son pays d'origine, la polygamie, le poids des anciens, l'emprise intéressée et hypocrite des marabouts. « La communauté traditionnelle est sans doute rassurante mais elle vous happe et vous asphyxie. C'est un rouleau compresseur qui vous écrase pour mieux vous digérer. » (page 197) Elle dénonce aussi, ceux qui sont revenus riches au pays et mentent aux jeunes sur la réalité sociale de la France.

Car l'autre versant de l'oppression et du mépris se trouve bien en France, le pays des Droits de l'homme (!), avec ses flics racistes, ses patrons esclavagistes, ses « bonnes âmes » avec leurs clichés condescendants sur l'Afrique et les Africains.

Le constat est amer : le football se présente comme « l'issue de secours idéale pour les enfants du tiers-monde ». « Mieux que le globe terrestre, le ballon rond permet d'arrêter un instant le regard fuyant de l'Occident, qui, d'ordinaire, préfère gloser sur les guerres, les famines et les ravages du sida en Afrique, contre lesquels il ne serait pas prêt à verser l'équivalent d'un budget de championnat. » (page 278)

Pour fuir la misère et le poids étouffant de la tradition, l'espoir d'immigrer et de s'enrichir fonctionne comme un miroir aux alouettes que Falou Diome pourfend avec force, dans des registres variés qui vont du tragique au cocasse. Pour elle, « l'orgueil identitaire est la dopamine des exilés », il mène à une impasse. Rejeter, d'où qu'ils viennent, les jougs, les mensonges et les injustices, conduit vers une autre voie. « Enracinée partout, exilée tout le temps, je suis chez moi là où l'Afrique et l'Europe perdent leur orgueil et se contentent de s'additionner : sur une page, pleine de l'alliage qu'elles m'ont légué. » (page 210)

La romancière s'écrit dans les dernières pages : « Je cherche mon pays là où s'estompe la fragmentation identitaire. » Ce pays-là, nous voudrions être nombreux à le chercher et à le construire, aux dimensions du monde entier.

Le 20 juin 2004

Samuel Holder

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