La jeune Sénégalaise, Salie, a franchi le pas. Elle a quitté son
île natale de Niodior pour immigrer en France. Son jeune frère, passionné de football, la
harcèle au téléphone pour qu'elle l'aide à atteindre lui aussi
l'Eldorado français.
Pourquoi y est-elle parvenue, elle, une femme à la naissance peu honorable, qui de ce fait porte un
nom la plaçant au bas de hiérarchie sociale ? Dès son enfance, elle avait soif de
liberté et pour cela elle voulait apprendre à lire et à écrire, à
découvrir le monde et ses cultures. Il a fallu l'énergie d'une grand-mère
intraitable avec son entourage, « une guerrière, avec des yeux en amende ». Il a fallu la
bienveillance d'un instituteur marxiste, un syndicaliste contestataire que les autorités ont
relégué dans cette île. L'instituteur Ndétare est un
« Sénégalais de l'extérieur » qui, en dépit de son
dévouement pour les enfants et les jeunes de l'île, est plus où moins
méprisé par la population locale. Salie est une rebelle qui a eu la chance de croiser sur son
chemin des personnes hors normes lui permettant de concrétiser son émancipation.
Mais s'émanciper de quoi précisément ? La romancière a des paroles
très dures pour tout ce qu'ont d'étouffant et d'inhumain certaines traditions de
son pays d'origine, la polygamie, le poids des anciens, l'emprise intéressée et
hypocrite des marabouts. « La communauté traditionnelle est sans doute rassurante mais elle
vous happe et vous asphyxie. C'est un rouleau compresseur qui vous écrase pour mieux vous
digérer. » (page 197) Elle dénonce aussi, ceux qui sont revenus riches au pays et
mentent aux jeunes sur la réalité sociale de la France.
Car l'autre versant de l'oppression et du mépris se trouve bien en France, le pays des Droits
de l'homme (!), avec ses flics racistes, ses patrons esclavagistes, ses « bonnes
âmes » avec leurs clichés condescendants sur l'Afrique et les Africains.
Le constat est amer : le football se présente comme « l'issue de secours idéale pour
les enfants du tiers-monde ». « Mieux que le globe terrestre, le ballon rond permet
d'arrêter un instant le regard fuyant de l'Occident, qui, d'ordinaire,
préfère gloser sur les guerres, les famines et les ravages du sida en Afrique, contre lesquels
il ne serait pas prêt à verser l'équivalent d'un budget de
championnat. » (page 278)
Pour fuir la misère et le poids étouffant de la tradition, l'espoir d'immigrer et de
s'enrichir fonctionne comme un miroir aux alouettes que Falou Diome pourfend avec force, dans des
registres variés qui vont du tragique au cocasse. Pour elle, « l'orgueil identitaire est la
dopamine des exilés », il mène à une impasse. Rejeter, d'où qu'ils
viennent, les jougs, les mensonges et les injustices, conduit vers une autre voie.
« Enracinée partout, exilée tout le temps, je suis chez moi là où
l'Afrique et l'Europe perdent leur orgueil et se contentent de s'additionner : sur une page,
pleine de l'alliage qu'elles m'ont légué. » (page 210)
La romancière s'écrit dans les dernières pages : « Je cherche mon pays
là où s'estompe la fragmentation identitaire. » Ce pays-là, nous
voudrions être nombreux à le chercher et à le construire, aux dimensions du monde
entier.
Le 20 juin 2004
Samuel Holder
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