La violence et la dérision

d'Albert Cossery

Éditions Joëlle Losfeld, collection Arcanes (février 2000)
Roman, 178 pages

Albert Cossery est un écrivain égyptien de langue française. Il a écrit huit romans, du début des années quarante jusqu'au milieu des années soixante-dix.

Celui-ci, publié en 1964, pourrait se situer au Caire où il est né en 1913, à Alexandrie ou dans n'importe quelle autre ville du Proche-Orient. A condition que cette ville soit dominée par un tyran grotesque : « Le gouverneur appartenait à cette catégorie de personnages publics qui laissent pantois les caricaturistes les plus chevronnés. Ceux-ci n'avaient plus rien à faire ; leur imagination se trouvait débordée par le travail déjà accompli par la nature. » (page 99) Les va-nu-pieds qui forment l'essentiel de la population accueillent en fins connaisseurs toute initiative visant à ridiculiser le gouverneur.

Karim, Heykal et leurs amis sont passés experts dans ce genre d'exercices. Ils connaissent déjà, de première main, la prison et la toute puissance de la police qui survit à tous les régimes. Mais ils n'ont plus le goût de jouer les « révolutionnaires sérieux », irréductibles et arrogants. Plutôt que des moyens violents et inefficaces, ils préfèrent avoir recours à une arme redoutable et réjouissante, la dérision. Nos héros, farceurs superbes et désabusés, se moquent de tout et savourent la vie. Ils savent aussi offrir un cerf-volant à une jeune prostituée ou un bouquet de jasmin à une vieille femme frappée par la folie.

Albert Cossery est d'une allégresse dévastatrice à l'encontre des nantis et des hommes de pouvoir, qu'ils le détiennent ou qu'ils veuillent le conquérir « au nom du peuple ». Son mépris à leur égard est sans bornes : cela dégage le terrain pour sa prédilection pour les êtres généreux et les répliques succulentes.

Le 5 octobre 2001

Samuel Holder

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