Albert Cossery est un écrivain égyptien de langue française.
Il a écrit huit romans, du début des années quarante jusqu'au milieu des
années soixante-dix.
Celui-ci, publié en 1964, pourrait se situer au Caire où il est né en 1913,
à Alexandrie ou dans n'importe quelle autre ville du Proche-Orient. A condition que
cette ville soit dominée par un tyran grotesque : « Le gouverneur appartenait
à cette catégorie de personnages publics qui laissent pantois les caricaturistes les
plus chevronnés. Ceux-ci n'avaient plus rien à faire ; leur imagination se
trouvait débordée par le travail déjà accompli par la
nature. » (page 99) Les va-nu-pieds qui forment l'essentiel de la population
accueillent en fins connaisseurs toute initiative visant à ridiculiser le gouverneur.
Karim, Heykal et leurs amis sont passés experts dans ce genre d'exercices. Ils
connaissent déjà, de première main, la prison et la toute puissance de la
police qui survit à tous les régimes. Mais ils n'ont plus le goût de jouer
les « révolutionnaires sérieux », irréductibles et arrogants.
Plutôt que des moyens violents et inefficaces, ils préfèrent avoir recours
à une arme redoutable et réjouissante, la dérision. Nos héros, farceurs
superbes et désabusés, se moquent de tout et savourent la vie. Ils savent aussi
offrir un cerf-volant à une jeune prostituée ou un bouquet de jasmin à une
vieille femme frappée par la folie.
Albert Cossery est d'une allégresse dévastatrice à l'encontre des
nantis et des hommes de pouvoir, qu'ils le détiennent ou qu'ils veuillent le
conquérir « au nom du peuple ». Son mépris à leur égard est
sans bornes : cela dégage le terrain pour sa prédilection pour les êtres
généreux et les répliques succulentes.
Le 5 octobre 2001
Samuel Holder