Le grand-père : - Il paraît que Bernard Pivot va
avoir 64 ans ? Je le croyais plus âgé...
La petite-fille : - Mais non, Papy, c’est l’âge
pivot de la retraite qui va passer à 64 ans.
Lui : - Tu veux dire que vous les jeunes, vous allez
trépasser à 64 ans ou avant ?
Elle : - Ah, là, Papy, tu marques un point !
Lui : - Tu vois, je suis quand même dans le coup de la
retraite à points, enfin, à point final. J’ai
vu une pancarte qui résume tout : « Métro,
boulot, caveau ».
Mais dis-moi, c’est quoi cette histoire de chose du
grand-père ? Ce n’est pas très poli comme
expression.
Elle : - Mais non, Papy, c’est la clause du
grand-père, pas la chose.
Lui : - Et pourquoi pas la clause de la grand-mère ?
C’est encore du machisme.
Elle : - Wouaouh ! Bravo, t’es trop féministe. Pour
la peine, tu marques encore un point.
Lui : - Mais c’est quoi au fait, cette clause du
grand-père ?
Elle : - T’inquiète, on n’en cause plus.
C’était un élément de langage pour
faire concret.
Lui : - Je vois. Le président a essayé de faire son
Jupi-terre-à-terre.
Elle : - Là, désolé, Papy, tu ne marques
qu’un demi-point. C’est trop tiré par les
cheveux.
Lui : - N’empêche que Delevoye, il assure...
Elle : - Tu es un malicieux. Pour ce slogan, je t’accorde
deux points d’un coup.
Lui : - Toi qui sais tout, vu que tu es à Sciences Po,
c’est quoi cette menace de retraite par
décapitation ?
Elle : - Non !!! Retraite par ca-pi-ta-li-sa-tion ! Franchement,
Papy, tu devrais te faire appareiller.
Lui : - Appareiller ? Prendre le large ? En finir ? Pas
déjà quand même… D’après
les statistiques, j’ai encore droit à huit
années d’espérance de vie.
Elle : - Dans un EHPAD, ça te plairait ?
Lui : - Et comment ! Je me sentirais utile. Je serais un fragment
de matériau pour ce gisement d’emplois payés
au lance-pierre.
Elle : - Il est un peu noir ton humour, Papy.
Lui : - C’est mon petit canot de sauvetage, pour ne pas
sombrer.
Tiens, j’ai une idée. A Sciences Po, tu devrais
proposer de remplacer les statistiques d’espérance
de vie par celles de désespérance de survie.
Ça collerait mieux à la réalité.
Elle : - Dans le genre pessimiste, tu serais pas un peu
anticapitaliste sur les bords ?
Lui : - Passe ton master d’abord, je te répondrai
après.
Elle : - C’est vrai qu’un master, ça peut
être un plus pour bosser chez Mc Do.
Lui : - Master, ça rime avec manager. Tu feras trimer des
immigrés en cuisine. On dira ce qu’on voudra, les
jeunes sont encore pleins de rêves de réussite qui
brillent dans leurs yeux.
Elle : - Je t’arrête, Papy. Pour moi,
« Exploiter ou être exploité, telle est la
question ».
Lui : - Il doit bien y avoir un moyen d’échapper
à ce dilemme, en faisant les deux à la fois. DRH
par exemple...
Elle : - J’ai pas envie d’essayer. Il faut en finir
avec l’exploitation.
Lui : - Carrément ! C’est un beau et vaste
programme.
Je repense à une chose. Quand tu étais en
maternelle et en CP, tu as reçu plein de bons points.
J’espère que tu les as gardés. Tu pourrais
les faire valider pour ta future et très éventuelle
retraite.
Elle : - C’est une idée qui plairait à
Blanquer. Il serait fichu de l’intégrer à sa
réforme.
Lui : - Oui, ça contribuerait à la création
d’une start-up nation composée exclusivement
d’auto-entrepreneurs. Des individus en concurrence, gagnant
et perdant des points sans arrêt, de la naissance
jusqu’à la mort.
Elle : - Tu évoques un cauchemar orwellien qui prend
déjà consistance. Je pars retrouver mes amis. On va
pas laisser la chose se faire, Papy.
Lui : - Tu serais pas un peu anticapitaliste, finalement ? En
tout cas, bon courage et bon vent pour cette navigation
difficile.
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