Lorsque je suis arrivé au local de la CGT à
Rivesaltes où les grévistes de la Poste se
retrouvent tous les jours pour leur AG, c’était la
fête ; on y fêtait l’anniversaire de Laura,
factrice de 50 ans à Espira de l’Agly, avec ballons
et cotillons, cadeaux et petit discours sympas, et…
tartiflette géante faite « maison » par
Laura.
Bref une ambiance du tonnerre où la chaleur humaine et
l’amitié se conjuguent avec une solidarité
sans faille et un esprit de lutte inentamés par 4 mois et
demi de grève. Le « patron », malgré
ses tentatives de division n’est pas prêt
d’entamer l’union et la détermination de ces
grévistes là.
Ils sont douze à être en grève depuis le 30
novembre 2015 au centre de distribution de Rivesaltes, un peu au
nord de Perpignan (dont dépendent Espira de l’Agly,
Peyrestortes, Salses le Château, Cases de Pene, Vingrau et
Claira) sur un effectif total de 20 personnes ; mais dont 2 sont
malades et 5 en statut précaire.
Leurs revendications sont l’embauche des précaires
en CDI et l’obtention de « tournées »
supplémentaires, c’est-à-dire
l’embauche de nouveaux salariés pour diminuer la
charge de travail de chacun.
Mais au delà de cela et de la durée toute
spéciale de cette grève, ce mouvement est
emblématique d’un courant général et
profond qui traverse actuellement le pays réel, le pays
qui travaille, le pays ouvrier.
Ainsi, quand on observe le mouvement de lutte contre la loi El
Khomri, il ne faut pas tomber dans le piège du seul
comptage du nombre de manifestants pour mesurer la progression ou
l’essoufflement du mouvement.
Le mécontentement et le ras le bol général
sont tels que dans le travail et hors travail c’est de
souffrance réelle et sous toutes ses formes qu’il
s’agit. Or le niveau de souffrance a atteint un
degré tel qu’il y a contre ça un renversement
social et une explosion de luttes, certes pour le moment encore
dispersées, mais que le mouvement contre la loi travail
pourrait faire converger.
Car le fondement du mouvement contre la loi travail – comme
les « Nuits debout » – se situe dans
l’existence de ces très nombreuses luttes qui se
développent dans les entreprises et services depuis
plusieurs mois, sur l’emploi, les salaires, les conditions
de travail, le respect des conventions collectives, les NAO,
etc… Ces luttes où les salariés se mettent
« debout », sont devenues une des clés
essentielle de la situation, même pour gagner le retrait de
ce projet de loi. On voit bien en effet que si la loi a servi de
détonateur, c’est tout autant « son monde
» qui est contesté et que derrière les
« nuits debout », c’est le « Tous debout
» qui se profile et qu’annonce l’état
d’esprit rencontré à Rivesaltes.
Ce « monde » de la loi travail qu’illustre
également la grève générale
illimitée depuis 15 jours contre la loi travail et pour
une « égalité réelle » sur tous
les domaines dans le 101ème département
français, Mayotte, où les mahorais se sont aussi
« levés ».
Cette lutte à 8 000 km est un autre bout de ce même
mouvement de réveil de la classe ouvrière
qu’on peut voir ici, à Rivesaltes.
La charge de travail des facteurs est devenue
insupportable.
Ludo (de SUD PTT 66) témoigne qu’à la Poste
aujourd’hui, c’est bien pire que ce qu’il a
connu dans le privé.
Il faut dire qu’en 20 ans, la Poste a liquidé
à peu près 80 000 emplois et que les
restructurations ne cessent de succéder aux
réorganisations, avec une accélération
à partir de 2008-2010 lorsque la Poste, avec ce
qu’elle a appelé « facteur d’avenir
», a décidé de mettre à sa tête,
non plus des postiers avec l’esprit de service public, mais
des managers venant de Mac Donald’s, du commerce ou de
l’industrie, pour « rentabiliser » le service,
changer les usagers en clients, appliquer les méthodes de
la « lean » production chères à Toyota
et le « flux tendu ».
Bref, quasiment tous les deux ans, chaque poste subit des baisses
d’effectifs et tous les ans, il y a des charges
supplémentaires pour les facteurs.
Les facteurs racontent qu’à Perpignan, certaines
tournées font 100 km voire plus. C’est
dément. En dix ans, le nombre de personnes à qui il
faut distribuer le courrier a été augmenté
de 25 à 30%. Et les tournées se sont
allongées d’autant.
Mais en plus de ce trajet chaque jour, six jours sur sept (avec
seulement 1 jour de repos supplémentaire par mois),
qu’il pleuve ou qu’il vente, de la fatigue et des
risques sur la route que cela implique, la musette du facteur
contient maintenant bien plus que du courrier.
A la distribution classique du courrier, il faut rajouter les
recommandés qui prennent plus de temps, mais aussi les
objets suivis avec Flash, l’aide à
l’installation de la TNT, les services à la
personne, le démarchage pour des produits que recommande
la Poste et toutes sortes de prestations diverses… Et en
plus il y a l’attention permanente à ce qu’on
fait, ne pas se tromper de nom et de boite aux lettres, une
concentration de tous les instants. Certains des facteurs
estiment qu’ils doivent faire 3 000 gestes professionnels
différents chaque jour : 3 000 gestes à
mémoriser !
Alors que les semaines officielles sont de 36 H 30, la
réalité est plus proche des 42 H effectivement
réalisées, avec le surplus non payé. Et si
par un heureux hasard, la tournée à
été plus courte, le travail fini plus tôt, il
faut quand même attendre la fin de la journée
officielle pour pouvoir quitter le travail. Auparavant, il y
avait le système parti/fini ; quand le travail
était fini, on pouvait partir, mais c’est
terminé. Quant au rattrapage pour les dépassements
d’horaires, il est parfois compensé par un jour ou
deux de récupération ….mais ces
journées ne peuvent jamais être prises vu le manque
d’effectif.
Le comble, dit l’un des agents présents, c’est
qu’ il faut rattraper les jours d’absence : quand on
revient d’un jour de repos (ou de maladie ou de
grève), ou même le lundi, c’est souvent double
journée, deux journées en une. Ainsi, de fait, on
nous fait travailler 7 jours sur 7.
Et même plus ; cela paraît impossible et
pourtant….
La poste vient en effet d’inventer la «
sécabilité ».
Certaines des tournées sont découpées en
petits morceaux. Ainsi quand un collègue est absent,
malade ou en grève, la direction distribue un ou plusieurs
des petits morceaux du travail du collègue absent à
ses camarades présents. Et évidemment sans
être payés plus.
Or cette « sécabilité » qui ne doit
durer – pour le moment – pas plus de 14 semaines dans
l’année est surtout placée au moment des
vacances. Bref au lieu de remplacer des absences
prévisibles, la Poste nous fait faire le travail des
absents gratuitement, en plus du nôtre.
La direction, pour imposer cela, exerce une pression permanente,
du harcèlement continu (le directeur
d’établissement a fait passer un mot pour interdire
aux salariés de se parler pendant le travail) et des
tentatives constantes de culpabiliser les facteurs. Alors que les
missions de service public sont le cadet des soucis de la
direction, elle ne se prive pas de s’appuyer sur
l’esprit de service public des facteurs pour leur faire
accepter tout et n’importe quoi. Un peu comme dans les
hôpitaux, où les salariés ne peuvent
considérer les malades comme de la « production
», les facteurs ont un rôle social important qui les
amène à aider des personnes âgées,
handicapées, seules, isolées, bref à
être du lien social ; la direction en use et abuse dans le
seul but de faire du facteur un des salariés les plus
rentables qui soit, sans aucun contrôle.
Jusqu’à il y encore peu, il n’y avait pas de
CHS-CT (régit par le code du travail) à la Poste.
Et la direction garde encore pour elle tout ce qui concerne les
normes et les cadences, la mesure du temps pour une
tournée par exemple. Les syndicats n’ont pas
accès à ses modes de calcul…
Sous prétexte qu’il y aurait eu une baisse du trafic
courrier depuis 2008, la Poste n’embauche plus et ne prend
plus que des précaires soit aujourd’hui environ 25%
des effectifs, en CDD ou intérim. On imagine le travail de
ces jeunes qui en plus du travail intense doivent tout
découvrir du métier et, surtout, de la
tournée. Aussi, aucun ne veut renouveler
l’expérience, certains finissent leur tournée
en pleurs : ce sont toujours des nouveaux. Résultat, il y
a maintenant 4 statuts à la Poste : fonctionnaire
d’État, fonctionnaire de la poste, salariés
de droit privé (les plus nombreux) et
précaires.
Et tout cela pour des salaires qui avoisinent le Smic ; la Poste
est certainement parmi les secteurs les moins payés de la
Fonction publique. Un facteur commence à 1200 euros ; il a
deux primes, une dite variable de 200 euros par an, et une
nationale de 300 euros par an. Un titulaire en fin de
carrière peut gagner 1350 euros. Un des facteurs
présent, explique que lui avec 37 ans
d’ancienneté, gagne 1450 euros par mois.
Les facteurs de Rivesaltes sont en grève
depuis le 30 novembre 2015.
Ils ont commencé leur mouvement à un moment
où beaucoup d’autres facteurs l’ont fait
également, lorsque l’approche des fêtes de
Noël multiplie le trafic postal et où les
élections s’appuient sur la distribution postale des
professions de foi des candidats.
Mais ils ont continué. En fait, ça faisait
déjà plus de 6 mois qu’ils avaient
commencé leur lutte. Face à la menace de
réorganisation, ils avaient multiplié les
réunions, avaient fait une journée de grève
en juillet, ce qui avait pesé sur le rapport de force en
août et septembre et avait amené la direction a
repoussé son projet.
Par ailleurs les facteurs de St Laurent de la Salanque
étaient aussi entrés en grève, mais 48 H
avant le début de la grève, la direction avait
cédé partiellement à leurs revendications en
créant un emploi. C’est une tactique habituelle de
la direction : céder aux secteurs «
périphériques » de la grève pour
isoler le noyau central. Il y a eu la même chose autour de
la lutte des facteurs de Neuilly… ce qui n’a pas
empêché les facteurs de Neuilly de gagner un peu
plus tard.
Il y avait également en grève les facteurs de
Cabestany (sud de Perpignan) mais ceux-ci étaient moins
nombreux. Aussi la direction a embauché des
intérimaires de Start People pour les remplacer.
C’est illégal. L’inspection du travail a
dénoncé la manœuvre. Du coup, la Poste a
embauché 7 CDI supplémentaires qui peuvent
travailler n’importe où sur le département,
et on le comprend, spécialement sur les zones de
grève. Mais d’une certaine manière, la
direction cédait aux revendications d’embauche.
En même temps contre les grévistes, Start People
attaquait en justice le délégué CGT de
l’entreprise intérimaire pour le faire licencier
avec la complicité de La Poste, en simulant une agression
physique d’un de ses cadres.
Cela a amené les facteurs de Rivesaltes a manifester en
soutien au délégué de Start People. Et pour
le moment, l’inspection du travail refuse le
licenciement.
Et puis, il y a eu la grève en décembre des jeunes
employés du fast food KFC à Perpignan tout
près de Cabestany, contre leur licenciement totalement
abusif qui a choqué tout le monde. Les facteurs
grévistes sont encore là en soutien.
Après, ça a été la préparation
et la participation aux actions Goodyear.
Et puis, en même temps, les facteurs grévistes ont
organisé des réunions publiques bien suivies
à Cabestany et Peyrestortes ; un référendum
à Peyrestortes où 35% de la population a
participé et voté son soutien et son refus
d’un seul Point Poste à 99% ; la participation
à des Assises du service public postal dans le
département avec une centaine de participants ; une
caravane avec prise de parole publique devant les postes
menacées avec la participation d’usagers et
d’autres postiers, où il y a eu comme à
Cabestany près de 150 personnes dont des élus
locaux ; une manifestation à Montpellier devant la
Direction Régionale de La Poste avec les grévistes
de 2 centres courriers de la ville ; l’investissement des
locaux du Conseil Général ; des actions
interprofessionnelles avec les agents des impôts en
grève et puis aussi avec ceux de l’entreprise LOOMIS
aussi en lutte ; un concert de soutien à Thuir (où
les postiers sortent d’une grève victorieuse de 97
jours) ; une pétition des usagers sur Rivesaltes qui a
obtenu 2 000 signatures ; une pétition de tous les
collègues de Perpignan pour dénoncer la
répression syndicale ; le soutien des rugbyman de
l’USAP et des Dragons Catalans (les deux équipes de
Rugby de Perpignan) qui ont signé des T Shirt que pourront
vendre les postiers en soutien financier à leur
grève. Et puis, à chaque manifestation les facteurs
grévistes sont présents et assurent
l’intendance en plats, sandwichs, boissons ce qui leur
permet aussi de suppléer à l’absence de
salaire.
En résultat, alors que depuis deux mois, les
grévistes n’ont aucun salaire, ils arrivent par la
solidarité à avoir des payes d’environ 500
à 700 euros par mois.
Tout cela fait qu’à la grève du 31 mars
contre la loi travail, c’est dans le département
qu’il y a eu le plus fort taux de grévistes à
la Poste régionalement (1 salarié sur 3).
Bien sûr, la direction dans son mépris des
salariés, croit que lorsqu’ils font tout ça,
ils sont « manipulés » et qu’il
suffirait donc de les couper des militants syndicalistes pour que
tout s’arrête. En conséquence, la direction a
convoqué en conseil de discipline Alexandre Pignon,
militant CGT à la Poste à Rivesaltes,
l’âme du mouvement.
Comme à bien d’autres endroits, il est probable que
la direction invente une agression sur un cadre pour tenter une
sanction ou un licenciement. A un degré différent,
c’est la même politique de répression qui
s’exerce partout contre bien des militants du même
type, inconnus ou plus connus comme Mickael Wamen, Xavier Mathieu
ou encore, plus proche, Christophe Couderc de la clinique des
Ponts de Chaume à Auch, visé par la
répression après une grève victorieuse
à l’hiver 2015.
Mais ça ne marchera pas – au contraire -, ça
ne fera que solidariser un peu plus les facteurs avec le militant
– et au delà comme pour les trois militants
cités– parce que la direction n’a pas compris
ce qui est en train de se lever, à Rivesaltes comme
ailleurs.
Tout le cœur, l’énergie et la conscience que
les facteurs mettaient dans l’accomplissement de leur
métier de service public, au service des autres, sont en
train d’être investi dans la lutte – ses moyens
et ses objectifs – alors que jusque là, ces
mêmes sentiments et ce même esprit de
responsabilité les gênait parfois pour se mettre en
lutte parce qu’ils hésitaient à abandonner
les usagers.
C’est une révolution mentale avant de
l’être dans la société.
La lutte à Rivesaltes a commencé comme toutes les
luttes parce que les facteurs n’en peuvent plus, donc pour
l’amélioration des conditions de travail, la
création de nouvelles tournées, pour soi mais
déjà aussi et en même temps, pour les autres,
pour l’embauche des précaires en CDI, pour le
service public et qui se développe plus largement au fil
du temps avec les autres, les usagers, les autres secteurs en
lutte et bien sûr contre la loi travail, en fait pour
d’autres valeurs, une autre humanité.
Et on voit que cette lutte de seulement 12 personnes a
bougé beaucoup de choses et de gens autour
d’elle.
Alors qu’on imagine seulement ce que peuvent faire 80
à 120 luttes par jour comme je l’ai mesuré
pour les derniers mois. Bien sûr ces luttes n’ont pas
toutes la durée ou l’énergie de
celle-là, mais à des échelles
différentes, elles traduisent le même changement
d’esprit, que ce soient des luttes sur les conditions de
travail, l’emploi ou les salaires.
De plus, l’ampleur énorme de la fraude et de
l’évasion fiscale des riches
révélée par le scandale Panama Papers montre
que l’argent est là, justifie ces luttes.
Les sommes que dissimulent au fisc les banques, les grands
patrons et les puissants en tous genres suffiraient à
régler du jour au lendemain la question du chômage,
de la dette du pays, des trous des caisses de Sécu,
retraite ou de chômage, des déficits des services
publics… Il y aurait de quoi embaucher des millions de
jeunes, d’augmenter les salaires, diminuer le temps de
travail à 32 heures, mettre la retraite à 55
ans…
Et dans ce contexte, ce qui est en train de changer avec cette
mutation des esprits, c’est que les revendications sur les
salaires, l’emploi, le temps de travail, la
sécurité sociale, les services publics, ne
paraissent plus seulement légitimes mais semblent,
deviennent gagnables.
Voilà ce qu’il y a dans la lutte des postiers de
Rivesaltes comme dans la lutte contre la loi travail ou dans les
« Nuits debout » ou encore à
Mayotte.couder
Jacques Chastaing
Les facteurs de Rivesaltes ont besoin de
votre aide. Pour les soutenir, pour la solidarité
financière, il suffit d’envoyer un chèque
à l’ordre de
CGT FAPT 66 ou SUD PTT 66 au 2 boulevard Poincaré 66100
Perpignan.
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