- Fédération des syndicats indépendants de Russie
(FNPR). Cette Fédération est
l'héritière directe des syndicats de la période soviétique. Elle en a
gardé un certain nombre de traits : tant à l'échelon central qu'au niveau de
l'entreprise, elle cherche à se poser en partenaire responsable des autorités
(gouvernement, autorités régionales, direction de l'entreprise). Toute
l'activité de la direction de la FNPR vise à se voir confirmée par le
gouvernement dans son rôle de partenaire social privilégié.
- Syndicats alternatifs. Ce sont des syndicats apparus dans le
sillage de la grande grève des mineurs de 1989, en rupture avec la pratique des anciens
syndicats. Les principales organisations sont Sotsprof, les
confédérations : Confédération du travail de Russie
(KTR) et la Confédération panrusse du travail
(VKT) et la Fédération Zachita truda (" Défense du
travail ") qui défend un syndicalisme de combat et une opposition intransigeante
à la politique du pouvoir en place.
Au début de l'année 2009 les travailleurs ont accueilli la crise de manière
assez passive, même si en mai - juillet on a assisté à une forte poussé
d'activité, en premier lieu sous la forme d'une explosion des actions de rues et d'autres
formes de protestation peu contrôlées et non prévues par la législation
sur la résolution des conflits de travail. Par la suite on note une croissance lente mais
persistante du nombre des conflits de travail avec la multiplication des meetings. L'accroissement
des tensions s'st manifesté hors de l'espace public, y compris par des actes individuels
(grèves de la faim, grève à l'italienne et même, parfois, suicides).
Selon les sources de l'Institut d'action solidaire (IKD), on dénombre 183
conflits du travail sur l'année entière (chiffre vraisemblablement
sous-estimé). Avec une tendance à l'augmentation. Au premier semestre 2009, on note
62 conflits du travail - la moitié en mai - juin. Au second semestre, 116 conflits (dont la
moitié se traduisent par des meetings de protestation).
Par comparaison avec 2007, les formes de protestation ont changé : à la place des
grèves on observe des actions de protestations dans la rue. C'est là une
conséquence de la crise (qui fait de l'arrêt de travail une arme à haut risque)
mais aussi de la législation du travail qui désormais rend une grève quasiment
impossible dans le cadre de la loi. Très souvent les conflits du travail témoignent
de l'incohérence de la législation en vigueur pour ce qui est du règlement des
conflits collectifs.
Du fait de l'absence de mécanismes effectifs pour le règlement des conflits, les
salariés sont contraints d'avoir recours à des formes de mobilisation ne figurant pas
dans le code du travail comme les actions de rue.
La géographie des conflits est très large - pratiquement toutes les régions
sont plus ou moins touchées. La situation la plus tendue se trouve dans les villes
mono-industrielles[1],
où, aux côtés des travailleurs, on retrouve les habitants de la ville. Quant
aux secteurs les plus touchés, ce sont la construction automobile, les usines d'armement,
l'agriculture, la métallurgie. Mais en fait l'augmentation des conflits concerne quasiment
tous les secteurs.
Les principales revendications des travailleurs concernent le versement des salaires et le
sauvetage de l'entreprise. En d'autres termes, ce sont les actions défensives qui dominent,
ce qui n'a rien d'étonnant en période de crise. Mais face à une pression
extrêmement forte des patrons et à une accentuation de l'exploitation, même les
actions défensives ont un avant goût de contre-offensive.
C'est que le problème ne réside pas seulement dans la crise et les difficultés
économiques soit disant objectives. Souvent travailleurs et syndicalistes n'en croient pas
leurs yeux : l'entreprise est rentable et fait même des bénéfices, les ventes
marchent, mais cela n'empêche pas la direction d'utiliser la crise pour faire des
économies sur le dos des travailleurs : salaires, conditions de travail,
sécurité du travail etc. Et tout est fait pour dissimuler la situation
financière réelle tant à l'égard du public que des salariés et
des syndicalistes (des vrais syndicalistes en tous cas).
Le fait est qu'à cause de la crise ou en utilisant celle-ci, les patrons ont lancé
une offensive à grande échelle contre les travailleurs qui commencent à
s'organiser. A partir de 2007 on a observé chez les travailleurs une élévation
de la conscience, une plus grande autonomie ainsi qu'une réelle capacité à
s'organiser. De toute évidence, durant l'année écoulée cette tendance
est devenue évidente pour les patrons qui font tout pour écraser les foyers de
résistance et les manifestations d'auto-organisation.
La guerre vise en premier lieu les syndicats véritablement indépendants. Ces actions
agressives de la part des patrons se sont encore renforcées avec la crise qui accentue la
concurrence, mais aussi compte tenu de la politique du pouvoir qui, lui-même dépendant
du capital oligarchique, apporte une aide généreuse au oligarques de façon
à ce qu'ils traversent la crise sans pertes importantes, et ceci sur le dos des
contribuables et des travailleurs salariés.
Les dirigeants d'entreprises tant privées que d'état se livrent
à des violations systématiques du droit du travail.
En premier lieu cela prend la forme du non paiement des salaires. A l'instar de ce qui
s'était passé dans les années 90, les travailleurs sont transformés en
esclaves forcés à travailler pour rien. De plus, et cela de façon
unilatérale, alors que le Code du travail prévoit un accord des deux parties, les
patrons diminuent les salaires, suppriment les primes, réduisent le temps de travail avec
une diminution forte des salaires.
Plus grave encore, ont commencé des licenciements à grande échelle,
généralement en violation de la loi, accompagnés de menaces à l'adresse
des travailleurs que l'on force à « démissionner » de leur poste de
travail. Parfois les licenciements sont dissimulés sous la forme d'une mutation ou d'une
affectation dans une entreprise créée pour une journée (c'est apparemment ce
qui se passe à l'usine d'automobile Avtovaz à Toliatti.
On assiste à la multiplication des formes d'emploi non standard et sans garantie de
durée. Souvent la réduction ou la baisse des salaires n'est en rien justifiée
par des difficultés financières réelles (situation difficile à
vérifier compte tenu de la dissimulation systématique des comptes).
Inutile de parler des chiffres officiels du chômage (pour les autorités est
considéré comme chômeur une personne qui s'est fait enregistrer à la
bourse du travail) : en effet, rares sont ceux qui sont prêts à faire des heures de
queue pour une allocation misérable, de 890 à 4900 roubles (soit de 25 à 120
euros. NdT). D'après les données établies conformément aux
méthodes de l'OIT (déclaration de la personne comme quoi elle cherche un emploi), fin
novembre 2009 le nombre des chômeurs s'élevait à 6,3 Millions de personnes soit
8,1% de la population active. Quant aux chômeurs « cachés », qui sont
encore considérés comme travaillant mais qui ne touchent pas de salaire ou qui, pour
cause de lock-out ne touchent que les 2/3 de leur salaire, ils sont très nombreux. Beaucoup
ont des emprunts à rembourser, sans parler des dépenses courantes pour des produits
et des services indispensables dont les prix, à la différence des salaires,
augmentent.
La situation est particulièrement inquiétante dans les « villes
mono-industrielles » où il n'y a pas d'emploi alternatif. Plus
généralement, à l'échelle du pays, il n'y a nulle part où aller
dans cette situation de crise générale.
Fréquemment, les licenciements signifient une aggravation des charges de travail pour les
travailleurs restants, qui, de plus, voient leur salaire réduit. Les inspecteurs du travail
ont relevé une augmentation du stress et des surtemps de travail, entraînant la
multiplication des accidents de travail, parfois mortels, une situation aggravée par le fait
que les patrons n'hésitent pas à faire des économies pour ce qui est de la
sécurité, en menaçant du chômage ceux qui protestent.
En résumé, les travailleurs soit sont jetés à la rue quasiment sans
moyens de subsistance, soit sont pressurés comme des citrons, forcés de travailler
plus pour gagner moins.
Dans une telle situation, la majorité des travailleurs s'en tiennent à des
manifestations passives de protestation. Nombreux sont ceux qui préfèrent se
soumettre et endurer la situation, plaçant tous leurs espoirs sur la bonté du patron
et la conservation de leur emploi. Beaucoup ont recours à des formes individuelles
d'adaptation cherchant à passer un accord avec la direction et à négocier
à leur seul profit quelques avantages. Certains arrivent quand même à trouver
un emploi complémentaire ou se serrent la ceinture dans l'attente de temps meilleurs. Mais
avec l'aggravation de la crise, ces possibilités se sont considérablement
réduites et on a vu un nombre croissant de gens désespérés se lancer
dans des initiatives de masse spontanées, échappant à tout contrôle.
Mais le plus important est la multiplication des nouveaux syndicats. De plus en plus de
travailleurs essaient de résister collectivement et de façon organisée
à l'offensive contre leurs droits. De plus, ces nouveaux syndicats se développent
dans des secteurs où jusqu'ici ils étaient absents : media, secteur alimentaire,
commerce etc. Et, sous la pression du mécontentement de la base, nombre de syndicats
traditionnels sont forcés de prendre des positions plus combatives.
C'est précisément les syndicats les plus combatifs qui font l'objet des attaques les
plus dures, non seulement de la part des patrons mais aussi de certains fonctionnaires et de
représentants du pouvoir.
Les capitalistes russes n'ont jamais considéré les syndicats comme
un phénomène normal et ont toujours tout fait soit pour les éliminer soit pour
les neutraliser en recourant à la corruption ou en les intégrants dans l'appareil
administratif de l'entreprise. Aujourd'hui, pris de panique face à la crise et
confrontés à l'apparition de nouveaux syndicats combatifs mais aussi à une
réactivation de certains syndicats jusqu'ici passifs et loyaux, les directeurs des
entreprises et les propriétaires de celles-ci ont lancé une offensive
redoublée contre les syndicats. Avec, globalement, le soutien actif du pouvoir et des
autorités à différents échelons.
Fait notable : les persécutions, les mesures répressives et discriminatoires, loin
d'être limitées aux seuls syndicats indépendants, frappent également les
syndicats affiliés à la FNPR pour peu qu'ils soient réellement
mobilisés.
C'est le directeur général du trust OAO Kontsern Kalin (région de
Sverlovsk) qui a brandi l'étendard de cette campagne antisyndicale. Le 5 octobre, dans une
interview à un journal en ligne, il déclare : « Depuis plusieurs
années, les syndicats, tels des cafards et des punaises s'efforcent de s'infiltrer dans les
entreprises par toutes sortes de moyens, et cela me contrarie. Pour moi les syndicats sont comme
des sectes. Si dans une compagnie apparaissaient des pédophiles buveurs de sang, adeptes de
Satan, qu'ils s'y renforçaient et commençaient à attirer dans leurs files
gluants les membres du collectif, on comprendrait mieux pourquoi je cogne sur eux. Pour moi, les
militants syndicalistes c'est du pareil au même : des manipulateurs qui poursuivent leurs
objectifs matériels et politiques au détriment de l'entreprise…
»
Les formes de répression contre les syndicats sont très variées.
Les dirigeants syndicaux sont convoqués dans différentes instances policières
pour des « entretiens » ; on cherche à les inculper pour avoir organisé
une action de protestation non autorisée ou sur la base d'une infraction fabriquée de
toutes pièces. C'est le cas de Piotr Zolotarev, dirigeant du syndicat Edinstvo
('Unité') à l'usine Avtovaz, qui est régulièrement
convoqué par différents organes. Ou encore le cas tragique que constitue
l'arrestation illégale de Velentin Ouroussov, dirigeant du syndicat Profsvoboda,
condamné à 6 ans de prison soit disant pour détention de drogue. Ou encore la
démarche plus sophistiquée du CentreE qui s'efforce de prouver que les
appels à la création de syndicats (comme les tracts diffusés par le syndicat
MPRA[2] dans
l'entreprise Tsentrosvarmach à Tver) tombent sous le coup de la loi contre l'
« extrémisme ».
Autre moyen désormais largement accessible à tous les employeurs qui partent en
guerre contre les syndicats : le 3 novembre 2009, la Cour Constitutionnelle a déclaré
anticonstitutionnelle l'article 374 du Code du Travail qui interdisait le licenciement des
délégués syndicaux non permanents sans l'accord des instances dirigeantes du
syndicat, supprimant ainsi la seule protection légale des militants syndicaux en lutte
contre l'arbitraire patronal. Cet article était utilisé en premier lieu par les
militants des syndicats indépendants qui ont peu de permanents et dont le combat
déplaisait fortement à la direction. Ce sont eux qui étaient visés en
premier lieu, d'autant plus qu'il n'est pas compliqué de fabriquer de toutes pièces
une soit disant faute.
Exemples récents : le licenciement de E. Ivanov, président du syndicat MPRA
de l'entreprise GMAuto (à Saint Pétersbourg) et d'une militante, O.
Chafikova, suite à une « grève à l'italienne »[3] le 21
octobre et du 11 au 20 novembre. Les revendications portaient sur les points suivants :
intégration des primes dans le salaire garanti, droit des employés de disposer
librement de leurs congés, suppression du décompte annuel du temps de travail et
passage à la semaine de 40 heures.
Mais l'imagination des patrons ne s'arrête pas là. Parfois, le syndicat se voit
retirer sans la moindre raison son local (comme ce fut le cas le 26 octobre dernier où, sur
ordre de la direction de l'Aviation civile, le Syndicat des contrôleurs
aériens s'est vu privé du jour au lendemain de son local à Moscou). Ou
bien encore : les militants syndicaux se voient confisquer le laissez-passer qui leur permet de
circuler librement dans les ateliers.
Dans certaines entreprises, des tracts sont diffusés visant à discréditer les
militants syndicaux. Parfois, l'administration fait appel à la milice ou aux forces
spéciales (OMON) pour stopper une action de protestation, une action de
sensibilisation ou tout simplement une assemblée syndicale, comme ce fut le cas le 20
octobre à l'entreprise KarelskiOkatych à l'occasion d'un rassemblement du
syndicat Sotsprof.
Autre invention dans l'arsenal antisyndical : la saisie des biens personnels suite à une
grève, comme cela est arrivé à A. Chkhakharov, président du syndicat du
port de commerce maritime de Tuaspinski, assigné devant les tribunaux par la direction de la
compagnie portuaire TMTP qui a demandé qu'il soit condamné à
rembourser les pertes causées par une grève.
Les agressions contre les dirigeants syndicaux, en premier lieu des syndicats alternatifs, et plus
particulièrement ce qui font partie du MPRA se sont multipliées.Toutefois,
par comparaison avec la vague massive d'agressions fin 2008, on observe une certaine accalmie,
probablement liée à la campagne massive de protestations (y compris en provenance de
l'étranger) mais aussi à un changement de tactique de la part des patrons et de
l'administration présidentielle. Certains media et des experts associent ces
péripéties récentes à des manœuvres bureaucratiques au sommet et
aux tentatives visant à neutraliser les syndicats combatifs et à les placer sous
contrôle. Ils font remarquer qu'entre septembre et la fin décembre 2009, on a
changé à trois reprises les personnes en charge de suivre les syndicats au sein de
l'administration présidentielle. De toute évidence, le domaine syndical est
considéré comme une affaire sensible à suivre de très près.
Le pouvoir mène un jeu cynique : d'un côté on encourage tacitement les patrons
à lancer des poursuites et autres mesures discriminatoires, de l'autre on signe des accords
assez vides de contenu avec les syndicats traditionnellement loyaux à l'égard du
pouvoir ; à la fois développer des pseudo syndicats et lutter contre les syndicats
« extrémistes ».
L'exemple le plus connu concernant la création de syndicats fantômes est le nouveau
syndicat Sotsprof dirigé depuis le début 2008 par Sergeï Vostretsov, un
personnage totalement étranger au mouvement syndical mais qui, selon toute
probabilité, à des relations très solides avec le sommet du pouvoir. Ce
dernier s'efforce de transformer la première fédération syndicale alternative
créée dans la Russie postsoviétique en un syndicat sous contrôle et
progouvernemental tout en lui donnant l'apparence d'une organisation indépendante et
combative. Une tâche impossible par définition et ces manœuvres ont eu pour seul
résultat un éclatement de fait de Sotsprof.
Toutefois, dans l'ensemble, il semble que soit privilégiée la tactique «
diviser pour régner » : créer un syndicat jaune (aux ordres) pour l'opposer
à un syndicat alternatif trop gênant. ; mais aussi acheter certains dirigeants en leur
promettant qu'ils auraient l'oreille du pouvoir ; ou encore provoquer une scission, dresser les
syndicats les uns contre les autres ou semer la zizanie entre les consommateurs et les syndicats.
Ainsi, l'hiver dernier l'activité soit disant subversive des automobilistes de
Vladivostok[4] a
été présentée comme dirigée contre les travailleurs des usines
automobiles russes.
Face à ces manœuvres en tous genres la réaction des syndicats est avant tout de
défendre leur indépendance et leur cohésion. Certes, certains dirigeants se
sont laissés corrompre, d'autres (très peu) ont pris peur, mais la majorité
d'entre eux ont choisi d'unir leurs efforts et de développer la solidarité.
Ainsi, le syndicat de l'usine Ford (région de Saint Petersbourg) a lancé une campagne
de solidarité avec le slogan : « les ouvriers de Saint Petersbourg ne sont pas les
ennemis des ouvriers d'Extrême Orient », auquel la Société des
citoyens actifs de Russie (un mouvement en réseau né fin 2008 pour protester
contre l'augmentation des droits de douane sur les voitures importées) a répondu :
« les ouvriers d'Extrême Orient ne sont pas les ennemis des ouvriers de Petersbourg
». Quant aux syndicats indépendants ils ont lancé un processus unitaire avec la
préparation d'un processus de fusion entre la Confédération panrusse du
travail (VKT) et la Confédération du travail de Russie
(KTR).
Ces derniers temps, des syndicats de différentes branches, régions ou unions ont
signé des accords d'aide mutuel. C'est le cas le cas de l'accord entre le syndicat
APK (qui fait partie de la FNPR) de la filiale de Iaroslav de la firme Baltika et
du MPRA (qui est dans la VKT) de Ford Motor Company. Autre exemple :
l'accord entre le syndicat de la firme Packaging et le syndicat de Leroy Merlin
(branche « commerce » de la FNPR).
Comme on le voit, on assiste à des dynamiques contradictoires au sein du mouvement syndical
: d'un côté on observe un morcellement, de l'autre une consolidation.
Quant au pouvoir, d'un côté il aide les entrepreneurs à neutraliser les
syndicats, de l'autre il favorise les économies de main d'œuvre, mais se garde bien de
toucher aux bonus, bénéfices et autres dividendes des actionnaires et des directeurs.
Si de l'argent est dégagé du budget fédéral pour soutenir les grosses
entreprises, par contre, on pratique des coupes sombres dans les dépenses sociales et
concernant l'indexation des salaires. En 2010, ni les salaires des fonctionnaires ni les soldes des
militaires, ni le salaire minimal ni même l'allocation chômage ne seront indexés
sur la hausse des prix.
Par cette politique le pouvoir envoie un message clair au patronat : faire des économies sur
le dos des travailleurs. Et pour cela on envisage de ne pas respecter la législation du
travail : en avril dernier, un document a été signé par le gouvernement, le
patronat et la FNPR, document qui affirme la possibilité « d'une suspension
temporaire de certains articles des conventions collectives ».
On peut penser que si le pouvoir continue à faire porter aux travailleurs tout le poids de
la crise, et cela pour l'unique profit des milieux d'affaires, il finira tôt ou tard par
recevoir une réponse forte.
Au cours de cette année, ce sont les blocages des routes et les rassemblements hors des
entreprises qui ont été les principales formes de résistance.
Au départ, les travailleurs, face à la détérioration de leur situation,
commencent par s'adresser à la direction de leur entreprise, à engager des
négociations par l'intermédiaire du syndicat et à recourir aux autres formes
d'action prévue par la législation du travail. Mais comme ces actions n'ont aucun
effet, ils sortent des limites de l'entreprise pour s'adresser à l'opinion publique et aux
autorités. En faisant cela ils n'agissent plus dans le cadre de la législation, ce
qui, d'ailleurs, en révèle toutes les limites. Et les actions qui sont menées
sont celles de personnes qui désespèrent de pouvoir obtenir le paiement de leur
salaire par un autre biais et qui sont très préoccupées par le sort de leur
entreprise.
Pour l'année écoulée, on dénombre pas moins de 88 actions de rue des
travailleurs, essentiellement des meetings de masse, souvent devant les bâtiments des
pouvoirs publics. En mai juin on a assisté à une explosion des blocages de routes (18
cas) à la suite des événements de Pikaliovo[5].
En général, au moins dans les cas où le syndicat y participe, les actions dans
la rue sont utilisées comme un moyen supplémentaire de pression et sont
associées à d'autres formes d'action. Leur objectif : s'adresser à l'opinion
publique et au pouvoir politique, afin de casser le face à face avec le patron. La
majorité de ces actions ont eu lieu dans des villes mono-industrielles ou dans des
cités ouvrières. Très souvent elles ont réuni beaucoup de monde, car le
destin de la ville entière ou de la cité dépend du sauvetage de l'unique usine
qui y est implantée.
En règle générale, les autorités locales font au moins semblant de
prendre des mesures. Mais l'expérience montre qu'il faut l'intervention du pouvoir
fédéral pour que les propriétaires et les pouvoirs locaux bougent
réellement. C'est la raison pour laquelle le barrage des routes à grande circulation
(ou la menace d'un tel barrage) accompagné d'autres actions est devenu l'instrument le plus
efficace. C'est le gouvernement lui-même qui l'a fait comprendre après Pikaliovo :
« vous voulez toucher votre salaire, alors barrez les routes, sinon le pouvoir ne se souciera
pas de vous ». Le savon que le président Dmitri Medvedev a passé à ses
représentants et aux gouverneurs, les menaçant de les destituer de leurs fonctions
aux cas où sur leur territoire des événements comparables à ceux de
Pikaliovo se reproduiraient, a produit son effet : parfois la seule menace d'un barrage de route a
suffi pour les autorités locales acceptent de prendre à leur charge les dettes des
patrons privés.
Question : l'Etat a-t-il suffisamment de moyens pour éteindre ces incendies et se substituer
aux patrons voleurs et irresponsables ? Visiblement, non. Le gouvernement a tiré la sonnette
d'alarme à la fin de l'année, en déposant devant la Douma un projet de loi
prévoyant des sanctions très sévères contre ceux qui se rendraient
coupables « d'ingérence illégale dans le fonctionnement des transports »
(comprendre : le barrage des routes de grande circulation). Le message est clair : oui il n'y a pas
d'argent, oui il n'y aucune possibilité d'obtenir justice dans les limites de l'entreprise,
mais ne vous risquez pas à descendre dans la rue !
Ci-dessous nous évoquons quelques cas significatifs d'action de rue.
La ville de Pikaliovo (région de Leningrad) a été le symbole de cette nouvelle vague de protestations. Le 2 juin, les habitants de cette ville ont bloqué le trafic sur la route nationale de Saint Petersbourg à Vologda. Environ 300 personnes, travailleurs des entreprises de la ville et membres de leurs familles, ont participé à cette action spontanée. Ils revendiquaient de manière très décidée la liquidation de la dette salariale et la remise en route des entreprises. Comme on le sait, Poutine a réagi aussitôt et de façon démonstrative : devant les caméras il a forcé Deripaska, propriétaire de Baseltesemnt - Pikaliovo, à signer un document sur la reprise de la production dans cette entreprise en déserrance. D'une certaine façon, le problème a été réglé. Rappelons que le 20 mai, les habitants, plongés dans le désespoir, avaient tenté de « prendre d'assaut » le bâtiment de la mairie où se déroulait une réunion consacrée aux problèmes de le la ville, réunion à laquelle participaient des fonctionnaires locaux, des représentants de la procurature, du fournisseur de gaz et des propriétaires des entreprises.
Les travailleurs de l'entreprise ATE - Pièces détachées (et d'autres
firmes issues du dépeçage de l'ancienne usine de tracteurs, un géant de la
période soviétique) ont commencé à brandir la menace d'un nouveau
Pikaliovo : dans des lettres ouvertes ils faisaient part de leur intention de dresser des barrages
sur la route principale et la voie ferrée. Dès le 18 juin ils organisent un piquet
non autorisé en face du bâtiment de l'administration de la région de
l'Altaï. Cette action avait été déclenchée par l'annonce de la
venue à Barnaul de Vladimir Poutine. Suite à l'intervention des forces de l'ordre
l'action est interrompue, mais les autorités n'osent pas réprimer les participants,
non seulement elles prennent en charge une partie de la dette salariale mais aussi cherchent
à remplir pour un temps le carnet de commandes de l'entreprise. En juillet, les ouvriers de
l'usine, des membres de leurs familles et des habitants de la ville de Roubtsov, solidaires,
mènent une série d'actions dans la rue, y compris une nouvelle tentative de bloquer
la route principale mais ils sont repoussés par les forces spéciales, les
(OMON). A partir de septembre, la section locale du PC de la Fédération de
Russie se mobilise et apporte un soutien logistique à l'organisation de déplacements
et d'actions de protestation. Toutefois, certains observateurs considèrent que ce soutien
avait surtout pour objectif de prévenir une explosion sociale et d'empêcher un nouveau
blocage des routes. Le dernière action des ouvriers de Alttrak a eu lieu le
1er décembre à Novosibirsk dans les bureaux de RATM à qui
appartient l'usine (à ce rassemblement participait plus de 1100 travailleurs). Dans la
mesure où la ville de Roubtsov (150 000 habitants) est entièrement dépendante
de Alttrak et des sous-traitants, les deux revendications principales des ouvriers sont la
relance de la production et le paiement de la dette salariale.
Les villes monoindustrielles de la région de Kirov ont aussi connu des mobilisations des
travailleurs pour sauver leur usine et leur ville. Ils ont été soutenus par la
section locale du RKRP[6] en la
personne de V. Touroulo, député de l'assemblée :
- Les ouvriers de l'usine d'armement Molot dans la ville de Vjatskie Poljany sont
descendus dans la rue à différentes reprises. Le 26 juin un meeting s'est tenu devant
les locaux de la direction de l'usine où étaient réunis les actionnaires. Ce
n'était pas la première mobilisation des travailleurs qui ne percevaient pas leur
salaire depuis plusieurs mois. Le même jour l'usine a reçu une subvention de l'Etat et
les travailleurs de l'usine ont touché trois mois d'arriérés de salaire. Le 14
octobre a eu lieu une nouvelle action avec une grève d'avertissement qui se transforma en
meeting spontané pour réclamer le versement intégral des salaires en
retard.
- Les habitants de Kirovo Tchepetsk se sont mobilisés pour une cause : sauver leur ville
d'une catastrophe écologique. Le meeting qui s'est tenu le 8 septembre devant l'usine
Velkont a débouché sur la création d'un Comité pour la
sauvegarde de la ville qui aura pour tâche de contrôler les entreprises et
l'administration locale sur le plan écologique.
- A Strijki les ouvriers se battent pour garder l'usine Silikat, y compris en la
transformant en usine sous contrôle ouvrier (ce qui juridiquement est très
compliqué). Durant l'été ont eu lieu une série d'actions pour
réclamer le paiement des salaires, non payés depuis fin 2008, mais aussi pour le
maintien des postes de travail et sauver l'usine de la banqueroute. En juillet un comité de
sauvetage de la ville a été créé ainsi qu'un syndicat Zachita.
Le 14 décembre, les ouvriers sont allés à Kirov où ils ont tenu un
meeting devant le bâtiment de l'administration pour le région de Kirov, exigeant le
maintien en activité de l'entreprise et réclamant le droit pour le collectif des
travailleurs de racheter l'usine avec l'aide de l'état pour la transformer en usine
autogérée.
Les travailleurs de plusieurs usines sont en ébullition, toujours en raison du non paiement
des salaires :
- Le 5 mars les habitants de la cité où vivent les travailleurs de l'usine
Petrovski ont organisé un meeting devant les locaux de la direction pour
réclamer le paiement des salaires et demander que soit mis fin à la liquidation de
l'entreprise. Le 30 juin les ouvriers planifiaient une « marche des travailleurs sur Moscou
», mais finalement décidaient de reporter cette action compte tenu de certaines
avancées concernant le paiement des salaires et le sauvetage de l'usine, suite à des
pressions sur la direction de la part des autorités locales. A l'annonce de la marche, le
gouverneur de la région de Ivanovo a invité le dirigeant du comité
d'initiative pour des négociations, promettant la reprise de la production et l'extinction
de la dette salariale en échange de l'annulation de la marche.
- Le 27 juin les ouvriers du combinat Menanjevo ont organisé une marche (non
autorisée) devant le bâtiment de l'administration locale.
La situation dans l'Oural est très tendue.
- Le 23 juin les ouvriers de l'usine de porcelaine de Bogdanovtchisk (région de Sverdlovsk)
ont tenté de bloquer la nationale pour sauver leur entreprise. 150 personnes participaient
à cette action spontanée pour réclamer le rétablissement des livraisons
de gaz suspendues le matin même en raison des dettes de l'entreprise. Les autorités
régionales réagirent sur le champ et suite à leur intervention les livraisons
de gaz furent rétablies quelques heures avant que l'arrêt des fours ait
provoqué des conséquences irréversibles.
- Le 22 juillet, les travailleurs de l'entreprise Kuzbasselement dans la ville de Leninsk
Kuznetsk ont organisé un piquet durant quatre heures et bloqué l'avenue Lénine
dans le centre ville. Environ 300 ouvriers (certains avec leurs enfants), réduits au
désespoir, réclamaient le paiement de leurs salaires, non versés depuis 10
mois. Le trafic fut pratiquement paralysé, ce qui força l'administration de la ville
à réagir. Le vice gouverneur vint à la rencontre des manifestants avec des
promesses. Mais les participants au meeting refusèrent de bouger tant qu'ils ne recevraient
pas leur argent. Et les passions ne sont retombées qu'après que l'argent des salaires
(30 millions de roubles pris sur le budget régional) a été versé sur
les comptes des travailleurs.
- Dans les mines de bauxite de l'oligarque Deripaska, un nouveau conflit est en train de
mûrir[7]. Les
membres de l'Institut d'Action Collective (IKD) en sont convaincus après
s'être rendus sur le terrain en septembre à Severouralsk. Dès le 5 juin 100
mineurs de la mine de Severouralsk (qui fait partie du holding RusAl) ont organisé
un piquet devant les bureaux de la direction, en frappant une heure durant le sol avec leurs
casques : ils protestaient contre la suppression des rations alimentaires, les bas salaires et
l'insécurité dans la mine qui avait déjà causé plusieurs
accidents.
En septembre, dans différentes mines, à l'initiative du syndicat NPG[8], une
réunion était prévue pour discuter des revendications et définir un
plan d'action. Mais les gardiens et les responsables de la direction ont bloqué la
réunion, menaçant de licenciement tous ceux qui y participeraient. Comme le fait
remarquer Valeri Zolotarev, président du NPG à la mine de Severouralsk,
« Aujourd'hui on revoit tout ce qui s'est passé à la veille de la grève
de mars 2008, on dirait qu' « ils » n'ont rien compris. Rappelons qu'alors 123 mineurs
de la mine Krasnaïa Chapochka appartenant à l'équipe n° 3 avaient
décidé spontanément de rester au fond à la fin de leur travail.
A Kaliningrad, ce sont les travailleurs de KDAvia qui se sont mobilisés de la manière la plus conséquente pour le paiement des arriérés de salaires. En juillet, différentes catégories de personnel lancent des grèves de courte durée, à la suite desquelles la Procurature aouvert plusieurs informations. Puis ce sont des meetings. Avec le soutien du PC de la Fédération de Russie et d'autres organisations sociales et politiques, un meeting se tient dans le centre ville réunissant 500 des 2000 travailleurs de l'entreprise. En novembre, après plusieurs mois de mobilisation, les travailleurs obtiennent une compensation partielle pour les salaires non versés et un soutien matériel en provenance du budget de la région.
De janvier à avril, ont eu lieu une série de meetings des travailleurs de l'usine de
moteurs et des habitants de Toutaev. A la suite de quoi, le maire de Toutaev a
démissionné. A Kourgan, à l'initiative du syndicat Zachita, les
travailleurs de plusieurs entreprises, en premier lieu de Region Avtotrans Kourgan et
dePromstroï ont durant l'été et à l'automne mené toute
une série d'actions à propos de la dette salariale : piquets, grèves de la
faim, manifestations dans les bureaux de l'administration.
L'Extrême Orient n'a pas été épargné par les conflits, et cela
dans tous les secteurs.
- Le 13 mai à Vladivostok, s'est tenu un meeting des travailleurs des chantiers de
réparation navale militaires, à l'initiative de la Fédération des
syndicats de la région de Vladivostok. 400 personnes y participaient : les orateurs ont
dénoncé le non respect généralisé du Code du travail, le non
paiement des salaires, l'augmentation non justifiée du personnel administratif. - - Les
habitants de Svetlogorie poursuivent le combat. Le 4 avril la majorité des habitants
(environ 1000 personnes) ont participé à un meeting pour réclamer la
liquidation de la dette salariale (les salaires ne sont pas versés depuis plusieurs mois) au
combinat Russki Volfram, et organiser des repas gratuits pour les enfants. A
l'époque toute la cité mourrait de faim. Depuis le mois d'août l'entreprise a
repris la production Et à la fin de l'année, Svetlogorie a été
intégrée dans le programme gouvernemental de développement des villes
monoindustrielles.
- Les ouvriers des entreprises d'extraction minière et de retraitement du minerai de la
région de Vladivostok se sont également mobilisés. Le 11 mars plus de 1000
d'entre eux ont manifesté dans les rues de Dalnegorsk pour réclamer une baisse des
tarifs des services communaux et demander que les salaires soient versés
régulièrement. C'est le syndicat du combinat Bor qui était à
l'initiative, soutenue par les syndicats de la métallurgie et de la chimie de la
région. Des représentants des syndicats de la santé, de l'éducation, de
la culture et de l'industrie du bois étaient présents pour exprimer leur
solidarité.
Le Grand Nord (au-delà du cercle polaire) a également été le
théâtre de mobilisations.
- Le 24 mai plus de mille personnes ont participé à un meeting à Vorkuta sur
la principale place de la ville. Les mineurs et les habitants de la ville ont exigé de la
direction de Vorkutaugol qu'elle renonce au plan de réductions des effectifs, et
des autorités de la ville qu'elles bloquent l'augmentation des tarifs des services
communaux. Les manifestants ont également réclamé que les veuves des mineurs
morts dans les mines soient réinstallées dans une autre région (cent familles
ont déposé des demandes).
- Le 10 avril à Mourmansk, à l'initiative de la section régionale du
Syndicat de la flotte du Nord, s'est tenu un meeting auquel participaient quelques
centaines d'ouvriers venus de huit entreprises travaillant pour l'armée. Les participants
réclamaient du Ministère de la Défense l'extinction de la dette salariale.
Cette action a payé et une partie de l'argent a été versée.
- Une autre action a eu un impact comparable aux événements de Pikaliovo, par son
importance et du fait qu'elle a eu lieu à l'initiative de personnels
généralement passifs : des médecins et des personnels hospitaliers ont
manifesté pour défendre le système de santé. Le 19 mais à
Arkhangelsk 450 personnes ont participé à un meeting : des médecins
d'Arkhangelsk, de Severodvinsk, de Novodvinsk ainsi que des spécialistes venus des
différents régions de la région. Ils ont réclamé que les
hôpitaux de la région soient équipés d'un matériel performant
indispensable pour assurer des soins de qualité, revendiqué de meilleures conditions
de travail ainsi qu'une augmentation des salaires, et demandé que soit mis fin au manque de
personnel dans les cliniques de la région. Le 29 juin un piquet a été
organisé sur le territoire de l'hôpital pour soutenir les médecins
menacés de sanction. On en est arrivé au point que les médecins ont
menacé de faire grève !
Enfin, on ne peut pas ne pas mentionner les meetings de masse à l'usine Avtovaz de
Toliatti. Les actions entreprises pour que soit sauvé ce géant de l'automobile et
pour le maintien des postes de travail ne laissent pas insensibles les autorités tant
à l'échelon régional que fédéral : delà un déluge
de promesses (souvent gratuites), de menaces, de plans de restructuration soft et autres
manœuvres en tous genres. Malgré de fortes pressions et grâce à la
ténacité du syndicat indépendant Edinstvo, deux meetings relativement
importants (plus de 2000 personnes) ont eu lieu le 6 août et le 17 octobre sur la place du
Palais de la Culture et de la technique de l'usine. Ce qui se joue actuellement à Toliatti
c'est la capacité du mouvement syndical et, plus largement, social à construire un
front large capable d'influencer la politique du gouvernement pour les villes - usines. Piotr
Zolotarev, président du syndicat Edinstvo l'a formulé clairement : «
Nous ne resterons pas passifs face à la volonté d'expérimenter à
Toliatti un nouveau plan pour les villes - usines. Nous voulons sauver notre ville, notre
industrie. Nous cherchons les moyens qui nous permettrons d'influer sur notre destin, de telle
sorte que les intérêts des travailleurs et de habitants soient pris en compte
».
En résumé, on doit noter que là où les actions collectives ont
été menées de façon conséquente et ont été
accompagnées de menaces de blocage des routes ainsi que dans le cas des villes construites
autour d'une seule usine, les pouvoirs publics à l'échelon régional et
fédéral ont dû intervenir et prendre à leur charge, au moins en partie,
les dettes des propriétaires qui avaient conduit leurs entreprises à la faillite.
Comme en 2008, ce qui domine ce sont les « grèves de crise » où
l'arrêt de travail est déclenché par le non paiement des salaires (une des
rares formes de grève prévue par le Code du travail). Mais il y a eu également
des grèves offensives au vrai sens du terme : un arrêt collectif du travail pour
défendre un ensemble de revendications face à un patron qui ne veut rien entendre. Au
cours de l'année 2009, on a dénombré 70 cas de grève, les deux tiers
pouvant être caractérisées comme des « grèves de crise ».
Jusqu'en mai 2009, les travailleurs, à l'initiative de leur syndicat, ont utilisé
leur droit de refus individuel de travailler, une forme légale de grève. Les actions
prennent alors la forme d'un ensemble de refus individuels organisés collectivement face au
non paiement du salaire (article 142 du Code de travail). Mais cette forme d'action perd de son
efficacité dans les périodes où les travailleurs redoutent avant tout
l'arrêt de la production et la perte de leur emploi. Néanmoins, dans la
majorité des cas, cette forme de grève a donné des résultats, avec le
paiement au moins en partie des salaires. Quelques exemples.
- Courant septembre les travailleurs du 11ème secteur des services communaux de
la ville d'Orel ont fait grève. La grève sur le tas des gardiens d'immeubles, des
techniciens des services sanitaires et des services des eaux a duré une semaine. La raison :
le non paiement des salaires depuis le mois de juillet.
- A la mine Tchikh dans la région de Rostov, les mineurs ont fait plusieurs
grèves, y compris au fond de la mine. Début octobre, plusieurs mineurs ont fait une
grève au fond de la mine pour réclamer la liquidation de la dette salariale. Plus de
cent collègues les soutenaient en surface. Résultat : le directeur fut
licencié et le propriétaire de la mine a promis de liquider la dette salariale pour
le mois d'août. Auparavant, le 24 juin, 34 mineurs s'étaient mis en grève et
avaient refusé de remonter. Et cet épisode avait déjà été
précédé par d'autres grèves « au fond », et à chaque
fois avec quelques résultats, même si les retards de salaires ont toujours très
vite recommencé.
- Chantiers navals d'Astrakhan : le 14 septembre au chantier d'Astrakhan IIIème
Internationale, les ouvriers ont cessé le travail pour réclamer le paiement des
salaires. Ont participé à l'action cinquante personnes. Après des
négociations en présence d'Oleg Shein, député à la Douma, la
direction promettait de payer le jour même une partie des salaires en retard.
- Usine Kalibrov à Moscou. Une journée de grève (22 juin) a suffi
pour faire céder la direction sur les retards de salaires. Nouvelle grève le 3
août, le non paiement des salaires ayant recommencé.
- Usine de réparation navale de Tchajminsk (région de Vladivostok) : plus de 50
ouvriers ont cessé le travail du 20 juillet au 3 août à cause de 5 mois de
retard pour les salaires. Dès le 24 juillet une partie des arriérés
était versée, et le 3 août les travailleurs reprenaient le travail, les
salaires de juin ayant été versés. Seuls cinq travailleurs décidaient
de poursuivre la grève jusqu'au paiement intégral des salaires.
- Mine Enisseï : après une grève de 24 h sous terre (27 - 28 mai) les
mineurs ont obtenu satisfaction.
- Les soudeurs de l'atelier 45 de TagAz ont cessé le travail le 23 mai mais face
aux menaces de la direction ils ont arrêté leur mouvement.
Des grèves analogues ont également eu lieu au combinat de construction de Krasnodar
(trois mois de salaires non payés), au combinat de construction de Linetsk (région de
Novosibirsk) : 4 mois de salaires impayés, à la mine de la compagnie minière
de Abakan (république de Khakassie) : 3 mois d'impayés, à l'usine
mécanique de Katav Ivanovo (région de Tcheliabinsk) : 5 mois de retard dans le
paiement des salaires, à l'usine de réparation automobile 96 de la Flotte du Nord
à Mourmachi (région de Mourmansk) : 5 mois de retard, atelier 26 de l'usine
automobile de Taganrog : 4 mois de salaire impayés, à Ouralesprom
(région de Sverdlovsk) : 3 mois d'impayés. Ces grèves ont, souvent, eu lieu
avec l'aide de syndicats ; certaines ont été prises en charge par un comité
d'initiative spécifique.
Malgré la crise et un certain recul des syndicats à l'échelle globale, on a
observé au cours de l'année écoulée des grèves offensives
où les travailleurs non seulement se mobilisent contre une détérioration de
leur situation mais aussi pour une amélioration de celle - ci. Ces actions peuvent
être spontanées ou prendre la forme d'un arrêt de travail collectif
organisé par le syndicat dans le cadre d'un conflit de travail ou en référence
aux conditions de travail. Il y a eu également des cas où, avec le soutien du
syndicat, la méthode de lutte retenue a été la baisse du rythme de travail et
le respect strict des consignes (« grève à l'italienne »). Le mode le
plus fréquent est la menace de se mettre en grève, lorsque le degré de
mobilisation la rend crédible.
Quelques exemples de grève spontanée.
- Le 15 mai à l'entreprise Lipetskkompleks les ouvriers de l'atelier de fabrication
de saucissons ont cessé le travail en raison des mauvaises conditions de travail, des bas
salaires et du système policier de contrôle. La direction ayant menacé de
déposer plainte contre les grévistes, ces derniers ont repris le travail.
- A la mine Korkin (région de Tcheliabinsk), le 21 juillet les mineurs
mécontents des salaires de misère, ont commencé une grève Les trois
équipes ont refusé de travailler et ont cherché à rencontrer la
direction pour réclamer une augmentation de salaire (d'environ 6000 roubles soit 167
euros).
En général, les grèves spontanées prennent fin rapidement, car il est
facile pour la direction d'intimider les travailleurs en les menaçant de porter plainte pour
grève illégale.
Avec l'aide de leur syndicat et en s'appuyant sur la législation, les travailleurs ont
trouvé d'autres moyens légaux de lutte. Par exemple, à l'usine
Volkswagen de Kalouga les ouvriers de la chaîne de montage, en se
référant à l'article 379 du Code du travail ont refusé de travailler
pendant quelques jours (à compter du 15 juin), la chaleur insupportable régnant dans
l'atelier présentant une « menace pour la vie et la santé ».
Le 7 septembre à l'usine GMAuto à Saint Pétersbourg, la chaîne
a été stoppée à l'atelier de soudure pour non respect de la
sécurité du travail suite à la rupture, à trois reprises, d'une
conduite de refroidissement qui passe à proximité immédiate des ouvriers.
La grève « à l'italienne » qui a connu le plus de retentissement a eu
lieu précisément dans cette usine GMAuto du 11 au 20 novembre. Le 11
novembre, à l'initiative du syndicat MPRA un groupe de travailleurs de l'atelier de
montage ont ralenti au maximum le rythme de travail, donnant le signal de départ à
cette grève « à l'italienne ». Le syndicat demandait la convocation
immédiate d'une Conférence du collectif de l'usine, la suppression des primes
annuelles avec la garantie d'une hausse des salaires de 8% compte non tenu du réajustement
en fonction de l'inflation, des règles strictes concernant les congés et, surtout,
l'abandon du décompte annuel des heures de travail et le retour à la semaine de 40
heures. Il faut souligner qu'ont participé au mouvement non seulement les membres du
syndicat mais aussi des travailleurs de la base. Pendant quelques heures l'atelier de peinture a
stoppé la chaîne de montage, mais suite à des « explications
convaincantes » de la direction, il a repris le travail à plein régime.
Toutefois, le plan de production de voitures ne fut pas réalisé. Officiellement la
direction n'a reconnu aucune grève, mais le 20 novembre E. Ivanov, président du
syndicat MPRA fut licencié sous prétexte d'une « absence
injustifiée ».
Les actions organisées par le syndicat sont plus efficaces lorsqu'elles consistent à
brandir la menace d'une grève à l'occasion d'un conflit du travail. C'est ce qui
s'est passé avec succès le 19 mai lorsque suite à une menace de grève,
les contrôleurs aériens ont obtenu de la direction fédérale des
transports aériens la prolongation de la convention collective en cours. Il est vrai que le
syndicat a payé cher ce succès avec la suppression de son local.
Si l'année écoulée il n'y a pas eu de grèves offensives au vrai sens du
terme, la menace de grève, rendue crédible par le niveau de mobilisation, a
été utilisée avec succès par certains syndicats actifs à
l'occasion d'un conflit du travail.
- A l'usine Danone Industrie (région de Moscou), à l'initiative du
Comité syndical (qui fait partie de Sotsprof), le 2 décembre un conflit du
travail a éclaté. La direction de l'usine a reçu un préavis de
grève à compter du 15 décembre si une commission de conciliation
n'était pas formée d'ici là et si les revendications mises en avant par le
syndicat n'étaient pas satisfaites. Dès le 11 décembre la direction acceptait
de négocier. Les revendications avancées par le syndicat étaient
formulées avec précision et solidement argumentées sur le plan juridique.
Elles concernaient la régulation du temps de travail, le profil des postes, les normes et
les consignes au travail, le travail intérimaire, et les mesures discriminatoire à
l'encontre des militants syndicaux.
- La même démarche a été utilisée par le syndicat des
métallurgistes Sotsprof à l'usine KarelskiOkatych, mais dans cette
entreprise les militants syndicaux se heurtent à une résistance farouche de la part
de la direction, qui n'a pas hésité à faire intervenir les forces de
sécurité pour empêcher une réunion syndicale le 20 octobre. Toutefois,
l'activité et la détermination dont a fait preuve le syndicat a gagné à
la cause syndicale de nombreux travailleurs.
- Dernier exemple : le lancement de la campagne contre le travail intérimaire (recrutement
par des agences spécialisées dans l'externalisation). Suite à des actions
menées par des travailleuses de la fabrique de confiserie Babaevski (Moscou)
recrutées par l'agence Petroline et non payées, différents syndicats,
dont l'Union internationale des travailleurs de l'alimentation (IUF) ont
organisé en novembre et décembre des piquets dans différentes villes du pays
avec les mêmes revendications : stopper le recours à l'externalisation et les autres
formes non standard d'emploi. Dans ce cas les syndicats ont agi de manière préventive
pour s'opposer à la légalisation de formes non standard d'emploi, qui privent les
travailleurs des garanties encore existantes.
Malheureusement, depuis le printemps 2009, les cas de grève de la faim se sont
multipliés (au moins 20 cas recensés), bien que cette méthode soit peu
efficace pour faire pression sur le patron et surtout nuisible et dangereuse pour la santé
des personnes. En général, les travailleurs ont recours à des grèves de
la faim, quand seule une petite partie du collectif est prête à se mobiliser de
façon active (c.à.d. confrontés à une absence de solidarité) ou
encore lorsque survient la faillite de l'entreprise. Le plus souvent, au bout d'un certain temps,
les grévistes de la faim mettent un terme à leur action suite à la promesse
d'éteindre la dette salariale, mais ces promesses restent lettre morte, si la grève
de la faim n'est pas suivie par des actions de masse plus actives .
On peut citer un grand nombre d'exemples de grèves de la faim qui ont échoué
et qui ont contribué à démoraliser les travailleurs :
- le 1er juin, les personnels navigants de la compagnie d'aviation KraAir, qui
exigeaient la liquidation totale de la dette salariale (plusieurs mois de salaires impayés)
ont cessé une grève de la faim de 19 jours Bien qu'ils n'aient pas obtenu
satisfaction ils ont interrompu leur mouvement en raison d'une brusque aggravation de leur
état de santé.
- le 29 juin, les cheminots de Severomuïsk ont arrêté leur grève de la
faim après sept jours, car des progrès avaient eu lieu concernant la question de la
réduction des effectifs et la baisse des salaires ;
- À Akhtubinsk, les employés municipaux de l'entreprise CentrJilKomKhoz ont
entrepris une grève de la faim (« par équipes ») la seconde depuis le
début de l'année. Par là, les travailleurs, à l'initiative de leur
syndicat Zachita cherchent à s'opposer la faillite « organisée »
de la seule entreprise de services de la ville. Mais cette action n'a suscité aucune
réaction de la part des autorités locales ;
- En janvier, en raison du non paiement des salaires, des ouvriers de l'usine militaire 111 de
Briansk ont mené une grève de la faim. Les participants à cette action ont
dû être hospitalisés au bout de 10 jours. La grève de la faim a
été interrompue bien que les salaires n'aient pas été payés.
Cela faisait sept mois que les 421 travailleurs de l'entreprise n'avaient pas touché leurs
salaires.
- En février et de nouveau en mars des travailleurs de l'usine métallurgique de
Zlatoustovo (région de Tcheliabinsk) ont organisé une action pour protester contre
les baisses de salaires. La première grève de la faim (le 16 février) avait
forcé la direction de l'entreprise à réagir et à reculer, au moins
verbalement. Comme le problème restait en l'état, l'action a été
relancée le 10 mars. Cette fois, la direction de l'entreprise a accusé les
grévistes de la faim d' « extrémisme politique ».
Dans quelques rares occasions, cette forme d'action a permis d'obtenir le paiement des salaires.
Surtout lorsque les travailleurs ont associé la grève de la faim à d'autres
formes d'action, ou encore lorsque la grève de la faim a eu une résonnance importante
dans l'opinion et dans les media.
C'est le cas de la mine Tchikh (région de Rostov) où le 23 juin trente
mineurs ont entrepris une grève de la faim au fond de la mine : dès le 25 juin les
grévistes remontaient à l'air libre, dans la mesure où leur action avait
provoqué une véritable panique parmi les bureaucrates de la région. Le vice
gouverneur et le ministre de l'énergie sont venus en personne à la mine. Auparavant,
en mars, les mineurs avaient fait grève en restant au fond de la mine.
A l'usine de cellulose du Baïkal, suite à une grève massive de la faim (à
laquelle participèrent soixante personnes installées dans un village de tentes
monté devant les bâtiments de l'administration de Baïkalsk) combinée
à des piquets et des meetings à répétition, le paiement des salaires a
débuté le 8 juin.
A Iamala le 10 août, après deux semaines de grève de la faim, les travailleurs
de la compagnie d'exploration géologique Severnaïa Ekspedicija ont obtenu le
paiement de la dette salariale. Auparavant, du 25 juin au 3 juillet, une première
grève de la faim avait eu lieu et s'était arrêtée à la suite de
promesses de la direction.
Les faits exposés ci-dessus font apparaître une poussée des
actions spontanées à l'échelon local comme les actions de rue avec menace de
blocage des routes, et cela en premier lieu dans les villes monoindustrielles. Grâce à
l'effet « Pikaliovo », ces actions sont devenues le moyen le plus efficace pour que les
autorités s'impliquent dans la recherche d'une solution. A l'occasion de ces actions sont
soulevées des questions qui ne se limitent pas à la dette salariale : pratiquement,
dans tous les cas, ce qui est en jeu c'est le sauvetage de l'entreprise. Pour cette raison, les
travailleurs s'adressent de plus en plus souvent à l'état pour exiger la
nationalisation de l'entreprise ou, en tous cas, pour lui demander de « mettre de l'ordre
» dans la situation et de poursuivre le propriétaire « déficient ».
De ce point de vue, on peut parler d'une certaine politisation des conflits sociaux, mais avec des
limites : le terme « nationalisation » désigne le plus souvent une aide de
l'état sous une forme ou sous une autre, et non un véritable changement de politique
économique.
Globalement, les conflits pour l'année 2009 ont un caractère défensif et les
actions offensives de la part des travailleurs, auxquelles on avait assisté en 2007 - 2008,
sont rares, bien que ce potentiel existe toujours avec les conflits collectifs
déclenchés à l'initiative du syndicat et les menaces de grève.
Dans les conditions de la crise actuelle, les conflits ne restent pas confinés dans les
limites de l'entreprise. Le nombre des actions spontanées menées dans la rue a connu
une forte augmentation, indice du fait que les conflits ne peuvent trouver de solution au sein
même de l'entreprise, surtout compte tenu de la législation du travail actuel. De
plus, les travailleurs ont élargi l'arsenal des formes d'action, expérimentant toute
forme susceptible d'avoir une certaine efficacité. La majorité de ces actions
prennent des formes non prévues par la législation du travail sur les conflits du
travail. Et cela non parce que les personnes seraient tentées de ne pas respecter la loi -
bien au contraire, les compétences juridiques des ouvriers et des syndicats ne cessent de
croître, de même que leur capacité à utiliser la loi à leur
avantage, mais parce que la législation existante ne permet pas une solution effective des
conflits du travail.
Enfin, il faut souligner une autre caractéristique importante de la vague de protestations
actuelles : les conflits éclatent de manière spontanée et
désordonnée et ne se fondent pas dans un mouvement de masse capable de durer, seul
à même de peser sur la manière de sortir de la crise : sur le dos des
travailleurs ou celui des patrons ? Pour l'instant, les initiatives du pouvoir et des grands
capitalistes vont dans le sens d'une sortie de crise sur le dos des travailleurs (baisse des
salaires, réduction d'effectifs, non paiement des salaires) et nullement dans le sens d'une
réduction des bénéfices, des dividendes et des bonus accumulés durant
la période précédente. Pire encore : l'état prend en charge les dettes
des patrons qui refusent d'en assumer la responsabilité face aux travailleurs : pour les
dettes de Deripaska et des autres oligarques, ce sont les contribuables et donc une fois encore les
travailleurs qui paient.
L'absence de mouvement d'ensemble tient au fait que les conflits sont très limités
dans l'espace, à l'absence de structure à même de les coordonner et de liens
horizontaux entre les collectifs en lutte. La seule chose qui existe est un espace
médiatique commun avec « 1, 2, 3 Pikaliovo ».
Pour qu'un mouvement de masse conséquent se développe il faut une structure
organisationnelle, des organes de coordination et une solidarité entre les syndicats, toutes
choses que s'efforcent d'empêcher le pouvoir et les patrons avec leur politique de
répression et de division du mouvement syndical.
Enfin, ce morcellement des luttes s'explique aussi par le fait que les conflits les plus durs ont
lieu en dehors des syndicats alternatifs et de leurs réseaux. Ces syndicats connaissent de
sérieuses difficultés dans les entreprises : ils subissent les conséquences de
la crise (notamment dans l'industrie automobile) et sont victimes de pressions très dures de
la part des autorités et des employeurs. Cela les conduit à se concentrer à
l'organisation de la lutte là où ils sont réellement implantés et
à renforcer leurs structures organisationnelles. Quant à la
Fédération des syndicats indépendants de Russie (FNPR), sa
direction n'est en aucune façon intéressée à participer à une
coordination et à une consolidation d'un mouvement d'ensemble pour la défense des
droits des travailleurs.
Tout cela explique qu'en raison de la crise et des réactions face à cette crise des
différents acteurs, le processus de consolidation du mouvement syndical et ouvrier, s'il
n'est pas stoppé, a connu un net ralentissement.
Néanmoins, l'apparition de nouveaux leaders dans la vague d'actions spontanées et
l'activisation de certaines organisations locales de la FNPR constituent une tendance positive.
Même si dans la plupart des cas, les dirigeants des mouvements se plaignent du soutien
très faible de la part de la direction de la FNPR à l'échelon
fédéral mais aussi dans les différentes branches. Contrepartie positive :
certains syndicats affiliés à la FNPR commencent à mener des batailles au sein
de leurs branches et à affirmer leur indépendance.
Il faut encore une fois insister sur le caractère contradictoire de la dynamique actuelle :
d'un côté un morcellement, de l'autre, une consolidation.
En dépit de toutes les difficultés dues à la crise mais aussi
aux pressions exercées sur l'aile organisée du mouvement ouvrier, la tendance vers
une consolidation se poursuit, malgré un certain ralentissement. Les syndicats combatifs
coopèrent de plus en plus, entre eux mais aussi avec d'autres mouvements sociaux et avec les
militants politiques.
Il est clair que pour obtenir une amélioration de la situation concernant les droits des
travailleurs dans cette période de crise, il est indispensable de développer une
campagne de masse avec la participation de toutes les composantes du mouvement social : seule une
telle campagne peut forcer le gouvernement à renoncer à sa politique actuelle de
sortie de crise synonyme de détérioration de la situation des travailleurs et de
violation de leurs droits.
On a assisté à certains pas, encore isolés, dans cette direction. Le
Syndicat interrégional de la construction automobile (MPRA) a pris
l'initiative d'une campagne de masse sur le mot d'ordre « les ouvriers ne doivent pas payer
pour la crise ». Et le 14 février 2009 une première action
interrégionale a été menée sur ce mot d'ordre.
Le 19 avril, lors du Forum social de l'Oural, des militants (en premier appartenant
à l'Union des comités de coordination - SKS[9]) et
certains syndicats alternatifs se sont mis d'accord pour mener ensemble une campagne pour la
défense des droits des travailleurs et ont défini en commun une liste de propositions
pour que la sortie de crise ne fasse pas « sur le dos du peuple ». Parmi les
revendications prioritaires : fournir aux syndicats une information sur la situation
économique et financière réelle des entreprises et leur garantir le droit de
contrôle sur les mesures adoptées pour sortir de la crise. Mais la campagne s'est
développée mollement, au moins pendant les journées unitaires (10 - 17
octobre) « Sortie de crise mais pas sur le dos du peuple travailleur » : toutes les
régions ne se sont pas mobilisées, et nulle part les syndicats n'étaient
partie prenante.
La volonté de mener des actions avec les syndicats existe chez les militants du mouvement
social, en premier lieu au sein de l'Union des comités de coordination -
SKS : dans un grand nombre de villes, ils mènent déjà un travail au
sein des collectifs de travailleurs, en particulier par l'intermédiaire des ouvriers
logés dans des foyers. C'est à cette conclusion que sont arrivés les
participants d'un séminaire organisé les 18 - 19 novembre à Toliatti par le
syndicat Edinstvo de Avtovaz avec le soutien de la
Confédération panrusse du travail (VKT) et de l'Institut de la
globalisation et des mouvements sociaux (IGSO). Thème du séminaire :
« quelle stratégie syndicale dans les conditions de la crise ? ».
De toute évidence, une telle coopération sera efficace et profitable pour tous les
participants si elle se met en place à l'échelle d'une ville autour des questions
considérées par tous comme socialement les plus aigües et les plus importantes.
Si la première expérience est une réussite, alors il est parfaitement possible
que se mette en place une forme de coordination, qui fait si cruellement défaut dans le pays
alors qu'elle est cruciale pour surmonter à la fois le morcellement et le localisme du
mouvement pour la défense des droits des travailleurs. A l'heure actuelle ces structures de
coordination sont au mieux à l'état embryonnaire.
Les syndicats et les mouvements sociaux ont un rôle décisif à jouer pour
apporter une réponse positive à la question de savoir si le mouvement spontané
de protestation peut se fondre dans un mouvement organisé capable d'obtenir du gouvernement
des mesures concrètes pour la défense des droits des travailleurs.
Le pouvoir lui-même devrait être intéressé à un renforcement du
mouvement syndical, car sinon il restera seul face à un déferlement sauvage qui peut
avoir des conséquences regrettables pour le pays tout entier. Mais ce à quoi l'on
assiste c'est tout le contraire, avec le renforcement des pressions sur les syndicats. Les patrons
se débarrassent des militants les plus actifs à coup de licenciements, d'agressions
physiques ou encore d'emprisonnements pour des délits montés de toutes pièces.
Et on ne peut que constater qu'à tous les échelons les « maîtres du pays
» les aident : qu'il s'agisse du parti Russie Unie (avec son refus d'amender la
législation du travail dans un sens qui rendraient la vie moins dure aux syndicats
alternatifs) ou encore d'une partie de l'appareil présidentiel et gouvernemental qui par
leurs provocations et leurs mesures répressives ne font que renforcer la tension à
l'intérieur du pays.
Les travailleurs d'aujourd'hui sont différents de ceux des années 90, ils
n'accepteront pas indéfiniment que l'on se moque d'eux. Ils témoignent de
capacités de plus en plus grandes à l'auto organisation et à
l'autodéfense. En Russie il existe une nouvelle génération d'ouvriers
très conscients de leur dignité et porteurs d'autres exigences. Ils ne sont plus
prêts à se serrer la ceinture pour rien, et leur idéal n'est pas de rejoindre
les rangs de ceux qui ne jurent que par leur bagnole ou leur villa.
Encore une fois : le choix est simple : soit le développement d'un
mouvement ouvrier organisée, soit la « misère sans fond du désespoir
».
Mars 2009
Carine Clément,
Directrice de l'Institut d'Action Collective de Moscou
URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/travailleurs21/2010-04-07-Russie_2009.html