Le 11 octobre [2009] en Russie dans 75 régions de la
Fédération de Russie ont eu lieu des élections municipales. Les falsifications
et la victoire annoncée du parti au pouvoir, « Russie Unie », n'étonnent
plus personne depuis longtemps. Pourtant, cette fois-ci, le mécontentement s'affiche, les
gens sortent dans les rues, portent plainte. « Un tel trucage des élections, on n'en
avait pas encore fait l'expérience, ce n'est plus des élections, c'est du
foutage-de-gueule », c'est ainsi que réagit Vladimir Jirnov, candidat à Moscou
dans la circonscription de Boutovo. Et c'est en gros ce que répètent les gens, dans
les rues, quand on leur demande ce qu'ils pensent des élections.
« C'est fini, je ne mettrai plus jamais les pieds dans un bureau de vote ; j'ai tenté
le coup cette fois, parce que je croyais qu'on pouvait se débarrasser de notre maire
corrompu - et dans les faits, on l'a foutu dehors, pas dans les chiffres qu'ils ont
dessinés. Pour moi, c'est terminé, je ne participerai plus jamais à cette
mascarade », - raconte Dmitri, observateur pour le compte de l'opposition aux
élections du maire à Astrakhan.
À de rares exceptions près, les infractions ont touché toutes les
régions, mais les sommets de l'arbitraire ont été atteints à Moscou,
dans la république du Daghestan et à Astrakhan.
À Moscou, alors que de plus en plus de protestations s'élèvent contre la
politique mafieuse du Maire Iouri Loujkov, son parti, « Russie Unie » a remporté
66,25 % des voix et devient parti quasiment unique à la Douma de la ville. Ne tiendront
compagnie aux députés du parti dirigeant que trois députés du Parti
communiste (13,3 % des voix). Aucun autre parti n'a passé la barre des 7 %.
Au Daghestan, dans la ville de Derben, les OMON (CRS russes) ont tiré (en l'air) sur les
électeurs, mécontents de trouver la moitié des bureaux de vote
fermés... Résultat, le maire en place, de « Russie Unie », a
remporté les élections avec 68 % des voix, élections jugées valides par
la commission électorale centrale...
À Astrakhan, des journalistes ont été agressés, les observateurs du
candidat de l'opposition expulsés manu militari des bureaux de vote lors du comptage des
voix, des fractions de bandits armés étaient postées aux abords de tous les
bureaux de vote, les policiers les regardant faire à bonne distance... Résultat, le
maire sortant Sergeï Bojenov, de « Russie Unie » a remporté 65 % des voix,
contre 27 % pour le candidat de l'opposition, Oleg Shein.
« Tromperie massive », « Élections les plus sales de l'ère
post-soviétique » - ces superlatifs expliquent sans doute pourquoi dans plusieurs
villes la protestation s'organise. Amplifie le mécontentement le fait qu'il s'agit
d'élections locales, les seules qui gardent à peu près un sens pour la
population. Même les partis officiels se sont sentis obligés d'avoir recours à
une démarche historique pour la Russie d'aujourd'hui : en signe de leur contestation du
résultat des élections, les trois fractions hors du parti au pouvoir - le PC, le
parti « libéral-démocrate » de Jirinovski et le parti « Russie
juste » - ont quitté les bancs de la Douma d'État et boycotté les
séances pendant toute une journée, le 14 octobre.
Le mouvement de protestation est surtout important à Astrakhan, depuis le
11 octobre dans la nuit, quand plus de 100 personnes ont défilé dans les rues pour
crier leur colère, la vague ne retombe pas. Chaque soir depuis une semaine des centaines de
personnes se rassemblent devant le siège du candidat soi-disant défait, Oleg Shein.
Les militants, observateurs et simples électeurs viennent manifester leur colère par
les slogans « Rendez Astrakhan à ses habitants ! », « Non au pouvoir des
bandits à Astrakhan ».
Un camp de tentes (baptisé sur place « le Maidan d'Astrakhan »), animé
par les jeunes militants du mouvement « Tochka Otcheta » (Point de
référence), a tenu trois jours, avant d'être dispersé par la police. Des
actions spontanées éclatent dans différents quartiers de la ville. Le 15
octobre, les petits commerçants du marché de Kirov menaçaient de bloquer les
axes routiers aux alentours du marché, exprimant leur colère contre « les
bandits qui ont confisqué le pouvoir ». Dans les cours des immeubles les habitants se
réunissent, échangent leurs impressions, s'insurgent : « J'ai voté pour
Shein, tous mes parents ont voté pour lui, mes voisins aussi, et c'est Bojenov qui a
gagné ! On se fout de nous !!! »
Pourquoi une telle mobilisation, peu ordinaire en Russie ? Il se trouve qu'à Astrakhan les
réseaux associatifs et syndicaux sont relativement plus développés qu'ailleurs
et que - fait unique - ils se sont regroupés pour faire campagne autour de la candidature
d'un homme politique très populaire à Astrakhan, vainqueur à trois reprises
des élections législatives fédérales dans la région, Oleg Shein.
Député de la Douma d'État (affilié à la fraction « Russie
Juste »), coprésident du syndicat « Zachita truda » (Défense du
travail) et de l'Union des habitants, Oleg Shein proposait un programme axé sur les
thèmes du développement de l'autogestion (autogestion des habitations par les
habitants, association des comités de quartiers à la prise de décision), du
contrôle citoyen, de la lutte contre la corruption et l'arbitraire du pouvoir, du
développement du petit commerce. Il était soutenu par une vaste coalition
d'associations, de syndicats et de mouvements locaux, notamment : l'Union des habitants
d'Astrakhan, le syndicat « Zachita », l'association des retraités, l'association
des Kazakhs d'Astrakhan, l'union des petits commerçants des marchés de rue
d'Astrakhan, le syndicats des petits entrepreneurs locataires de locaux commerciaux, l'association
des conducteurs de taxis collectifs, la société tatare « Suiumbike »,
l'association des invalides du quartier de Kirov, le mouvement de jeunes « Tochka Otcheta
», le « Front de gauche ».
Pour qualifier les élections du 11 octobre à Astrakhan, Oleg Shein parle de «
coup d'État criminel ». Selon lui, « on a volé la victoire aux habitants
d'Astrakhan, à ceux des habitants qui pensent librement et font preuve de sens citoyen. On
leur a volé la victoire, volé la possibilité de prendre en mains leur destin
et celui de leur ville ».
Valentina Voronina, co-présidente de l'Union des habitants d'Astrakhan (des associations
d'habitants cogérant leur immeuble) est effondrée : « tous ces efforts, tous
ces espoirs, tous ces risques qu'on a pris... pour finalement s'apercevoir que le coup d'Etat avait
été préparé d'avance. Qu'est-ce qu'on va devenir maintenant ? Les
bandits de la mairie vont s'empresser de réprimer notre association et nos militants, de
liquider l'autogestion des immeubles. Ce sont des criminels, des mafieux corrompus, ils n'ont fait
que s'en mettre plein les poches pendant leur précédent mandat, désormais, ils
ne mettront même plus les formes ! »
Les gens d'Astrakhan voient leur dernier espoir dans le président Dmitri Medvedev et
demandent l'organisation de nouvelles élections, libres et démocratiques. Mais ils ne
se contentent pas de prier ou de se lamenter. Ils sortent dans les rues.
Dimanche 18 octobre s'est déroulé un moment fort dans la mobilisation des habitants.
Plus de 2000 manifestants ont défilé dans les rues du centre ville jusqu'au Kremlin
local, où ils ont allumé bougies et téléphones portables pour «
faire vivre la flamme de l'espoir », expliquait l'une des participantes à la
manifestation. Les gens chantaient sur le parcours, reprenaient en choeur les slogans : «
Nous ne nous laisserons pas voler notre victoire ! », « Shein est notre maire !
».
À l'issue du rassemblement, les gens ont décidé de continuer quotidiennement
les actions, pour ne pas relâcher la pression tant que n'intervient pas une décision
politique en leur faveur. C'est en tout cas ce qu'assurent les militants.
En attendant, le mot d'ordre « Soutenons les habitants d'Astrakhan » commence à
faire le tour de la Russie. Une action contre les falsifications massives à Moscou et
à Astrakhan a eu lieu au centre de la capitale vendredi 16 octobre. Une cinquantaine de
militants du mouvement des habitants de Moscou et des jeunes de groupements de gauche
s'étaient rassemblés pour porter une pétition au Président de la
Fédération de Russie. Résultat, les OMONs ont chargé,
traîné les militants dans les autobus : 18 personnes ont été
arrêtés. Samedi 17 octobre, dans les villes d'Omsk et de Perm, lors de meetings
consacrés à la défense des droits sociaux en période de crise, les
manifestants ont proclamé leur solidarité avec leurs camarades d'Astrakhan.
Astrakhan devient le symbole de la lutte pour des élections libres et pour le droit des
habitants à prendre leur destin en main.
Octobre 2009
Carine Clément
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