La Commission civile internationale d'observation des droits humains (CCIODH) avait
été créée après le massacre d'Acteal (Chiapas), en 1998. Elle
s'est gagné un respect unanime pour la rigueur de ses travaux, et en est à sa
sixième visite au Mexique, la deuxième à Oaxaca. La précédente avait eu
lieu en décembre 2006 et janvier 2007.
Les conclusions provisoires qu'elle a rendues sur Oaxaca le 13 février dernier sont
accablantes.
Aucun progrès n'a été accompli dans l'État depuis un peu plus d'un
an. Rien n'a été fait pour remédier aux causes profondes du conflit social,
c'est-à-dire « les alarmants indices de pauvreté et d'exclusion » qui,
souligne le rapport, « contrastent avec l'énorme richesse culturelle et
écologique » de l'État. Tout au contraire, la situation a empiré sous
l'impact « des politiques néolibérales mises en oeuvre par les gouvernements
successifs », aussi bien les gouvernements de l'État d'Oaxaca que ceux du Mexique dans
son ensemble.
Cette situation ne peut, bien sûr, que susciter de nouveaux conflits sociaux, alors même que ceux
qui ont été à l'origine du mouvement de 2006 n'ont reçu aucune solution.
Le rapport fait allusion aux tensions récentes dans la zone de l'Isthme de Tehuantepec. Donnons
quelques indications à leur sujet. Elles sont dues en partie à des projets pharaoniques de
couloir éolien pour lesquels le futur maître d'oeuvre (une transnationale espagnole)
aimerait bien voir expulsées les communautés indiennes auxquelles appartiennent ces terres. Et
dans ces cas-là, il se trouve toujours un cacique local du PRI pour faire le sale travail avec ses
pistoleros, et présenter la chose comme un « conflit inter-communautaire ». Ces
pouilleux d'Indiens passent leur temps à se chamailler, c'est bien connu !
Le rapport insiste aussi sur « le manque de légitimité sociale du système
institutionnel dans son ensemble », et en particulier le manque total de confiance de la population
dans la justice de l'État. Il y a eu en effet un afflux considérable de gens (150 personnes
en trois jours) qui sont venus dénoncer devant la CCIODH des injustices ou exactions pour lesquelles
ils n'avaient pas osé s'adresser à la justice. Il s'agit pour une bonne part de
victimes de la répression du mouvement social, mais pas seulement ; on y trouve aussi des locataires
pressurés par leur propriétaire, des commerçants rançonnés par la
police...
La Commission met à jour le « modèle de comportement » des autorités qui est
le même qu'au Chiapas. Sa base est « la pratique généralisée
d'arrestations arbitraires de membres du mouvement social ». Elle précise : « Il est
habituel que les personnes arrêtées soient soumises à la torture et aux mauvais
traitement ». Dans certains cas, ajoute-t-elle, ces arrestations ne durent que quelques heures, et sont
suivies d'une libération sans la moindre inculpation ; elles sont faites, alors, pour flanquer la
trouille aux intéressés et les dissuader de participer au mouvement social. Mais dans bien
d'autres cas, pour justifier les arrestations, on fabrique des preuves de toutes pièces. Il est
devenu courant, par exemple, de mettre dans les poches des détenus drogue et/ou armes, comme dans le
cas de David Venegas.
Puisqu'on parle de David, les lectrices et lecteurs se souviennent sans doute que les accusations
étaient tellement bidon que même la justice d'Oaxaca n'a pu les maintenir ;
qu'à cela ne tienne, on en invente de nouvelles ! Même si à trois reprises des
décisions de justice ont ordonné sa mise en liberté, le malgouverneur Ulises Ruiz Ortiz
(URO) et son petit personnel ont sorti de leur manche de nouvelles accusations. La « justice »
n'a décidément rien à voir là-dedans, c'est le retour de la lettre de
cachet : URO a décidé que David devait rester en prison, il y reste, un point, c'est
tout.
Le rapport pointe aussi « l'incapacité et l'inefficacité » des juges
« pour éviter ces irrégularités ». Il parle même, dans certains cas,
de « connivence évidente avec les autorités gouvernementales ». Pas
étonnant, puisque les juges sont directement nommés par ce pouvoir ! Mais il faut tenir compte,
en plus, d'une « culture enracinée de clientélisme et de favoritisme ».
Derniers aspects de l'analyse : « l'extrême dureté de l'intervention
policière », totalement disproportionnée, la « persistance de l'impunité
des serviteurs publics » (même concernant les morts lors du mouvement, les affaires ont
été closes au bout de quelques mois, sans qu'il y ait vraiment eu d'enquête) et
la persistance de « groupes de civils armés ».
Bref, pas la moindre amélioration, au contraire : « Au cours de l'année 2007, le
climat de harcèlement envers les mouvement sociaux a continué, il s'est même
perfectionné ».
Le 1er janvier 2008 a marqué la fin des dernières restrictions dans
l'application du Traité de libre commerce de l'Amérique du Nord (TLCAN en espagnol,
ALENA en français). Les dernières barrières, un tantinet symboliques, qui
protégeaient encore les agriculteurs mexicains de la concurrence étasunienne ou canadienne ont
été abattues. Or il faut rappeler que l'agriculture étasunienne est abondamment
subventionnée et va le rester, alors que les paysans mexicains voient s'éteindre les rares
aides dont certains bénéficiaient. La libre concurrence, dans ce cas, consiste à aligner
pour une course à pied un jeune athlète bourré de protéïnes et un vieillard
sous-alimenté, cacochyme et boîteux.
Déjà fort maltraitée, la paysannerie mexicaine n'a pas supporté qu'on la
voue à mort. Elle a, fort justement, souligné que la logique de l'ALENA et du gouvernement
mexicain en la matière ne tenait compte que d'une agriculture exportatrice de produit industriels,
mais ignorait totalement le principal, l'alimentation. La base de l'alimentation, au Mexique,
c'est le maïs, dont on fabrique ce qui sert de pain, les célèbres tortillas.
Pour les Mexicains pauvres, soit une cinquantaine de millions de personnes d'après les
statistiques internationales, c'est même l'essentiel de l'alimentation avec les haricots,
noirs ou rouges. Mais sur le marché international, le maïs est devenu un produit industriel qui
entre dans la fabrication de biocarburants. Cela explique que son prix se soit envolé ces derniers
temps, et peut faire légitimement craindre une pénurie sur le marché alimentaire
mexicain. Le problème posé par les paysans n'est donc pas seulement celui de leur propre
survie, mais celui aussi de la survie d'une bonne partie de la population. Ce qu'ils défendent
est l'indépendance alimentaire de leur pays, résumée dans le slogan Sin
maíz no hay país (Sans maïs il n'y a pas de pays). Ils réclament la
renégociation du volet agricole de l'ALENA.
La mobilisation, commencée le 1er janvier à la frontière des Etats-Unis, a
culminé le 31 janvier avec une montée sur Mexico de centaines de milliers de paysans, soutenus
par des syndicats ouvriers et diverses organisations du mouvement social en général. Il est
à remarquer que le plus nombreux des syndicats paysans, la Confédération Nationale de la
Campagne (CNC) était partie prenante, bien sûr, de la mobilisation. Or la CNC est
traditionnellement dirigée par le PRI, parti du président Salinas de Gortari qui avait
signé l'ALENA, et qui aujourd'hui encore assure que ce traité ne peut apporter que le
bonheur au peuple mexicain. Le PRI pourrait bien avoir des soucis à se faire avec son secteur
paysan...
Le gouvernement fédéral a fini, devant le flot de la protestation, par accepter d'ouvrir
une table de « conversations », tout en écartant l'idée de renégocier le
traité. Le problème, à l'heure où on écrit, est que les paysans ne
veulent plus rien avoir à faire avec le ministre de l'Agriculture. Celui-ci, il est vrai s'est
répandu en déclarations démontrant son profond et brutal mépris
d'hacendado à l'ancienne envers les paysans, ainsi que... sa méconnaissance
absolue de l'agriculture !
Autre dossier qui agite le Mexique : le gouvernement fédéral parle avec de
plus en plus d'insistance d'ouvrir en partie au capital privé la compagnie d'État
PEMEX (Petróleos de México). Il est vrai que la multinationale Exxon piaffe
d'impatience devant la porte. Mais Pemex, c'est la poule aux oeufs d'or pour l'État
mexicain, qui vit en grande partie sur les revenus de cette compagnie. C'est d'ailleurs ce qui
« justifie » la proposition gouvernementale : comme l'État pompe ses ressources, la
compagnie manque d'argent pour procéder aux nécessaires investissements !
Là encore, cela touche une fibre ultrasensible chez les Mexicains : la nationalisation du
pétrole avait été toute une bataille sous la présidence de Lázaro
Cárdenas (1938), toujours perçu par une grande partie de la population comme un héros de
l'indépendance nationale.
FeCal (le président Felipe Calderón, pour qui l'aurait oublié) se conduit en petit
soldat bien obéissant du néolibéralisme : privatisons tout ! Mais là, il
s'attaque à un gros morceau...
17 février 2008
Patrick Choupaut
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