Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre no 200 (le 13 mars 2025)

Bonsoir à toutes et à tous,

État de choc, de sidération, d'abasourdissement, voilà ce que le pouvoir politico-financier étatsunien dans les mains de Trump et de ses coéquipiers a provoqué en quelques semaines, jour après jour. Les dommages sont déjà considérables.

Trump à la tête de son gang tient ses promesses et au-delà. Il entend reconfigurer la société des USA et ses relations au monde en appliquant un programme de transition (de destruction) parfaitement cohérent, ne négligeant aucun domaine : éducation, santé, justice, sciences, culture, droits humains... La censure des opposants ou désignés comme tels, leur harcèlement, leurs licenciements, les expulsions de migrants, la mise à l'écart des médias qui ne sont pas aux ordres, tout cela va bon train. Le nouveau pouvoir ne s'embarrasse pas des contraintes réglementaires et législatives.

À son stade actuel de décrépitude, le capital sous Trump et Elon Musk n'estime plus avoir besoin de la recherche scientifique. Le développement exponentiel de l'intelligence artificielle suffit à son bonheur. Le capital par contre a toujours soif de pétrole, de gaz, de minerais, de terres rares, de marchés juteux. À cette fin, il veut s'emparer du Groenland, du Canada et du canal de Panama et accéder aux richesses du sous-sol ukrainien.

Le trumpisme est une sorte de néofascisme qui veut faire école et qui a déjà des relais et soutiens dans de nombreux pays. Il injecte une idéologie raciste, xénophobe, misogyne et homophobe, met à genoux tous les contre-pouvoirs, judiciaires, médiatiques, universitaires et culturels, et permet une exploitation sans contrôle et sans limites des salariés et des ressources naturelles. Ses racines historiques sont très bien analysées par l'historienne américaniste Sylvie Laurent, dans son dernier ouvrage, « Capital et race, Histoire d'une hydre moderne » (Seuil, 2024).

Même les régimes qui sont indisposés par l'agressivité de l'impérialisme étatsunien sur le terrain commercial s'adaptent et prennent des mesures qui les rapprochent du modèle trumpiste. Ils intensifient leur répression des migrants, contrôlent les médias, militarisent l'économie et les esprits.

Nous voilà contraints dans tous les pays de riposter sur tous les plans et donc de ne pas céder au découragement. Des mouvements puissants ont eu lieu ces temps derniers en Serbie, en Grèce, en Indonésie, en Corée du Sud. La vitalité de millions d'humains épris de démocratie, de respect de la nature et d'émancipation est bien là. Aucune forme de résistance si petite soit-elle n'est négligeable. Et toutes les interventions orales ou écrites, toutes les analyses approfondies, non simplistes, sont les bienvenues pour rendre les luttes plus fortes.
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HOMMES ET FEMMES D'UKRAINE
ÉCRANS TOTAUX
AU LOIN LA LIBERTÉ
PRENDRE SOIN DES ORTEILS ET DES ÂMES
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HOMMES ET FEMMES D'UKRAINE
La guerre en Ukraine est un sujet, parmi d'autres, qui divise et embarrasse la plupart des partis et organisations de gauche. Évidemment, il n'est pas question de se sacrifier pour que les groupes industriels de l'armement s'enrichissent grâce à cette guerre. Pas d'union sacrée, bien sûr.

Dans les débats à gauche, il est beaucoup question, presque exclusivement, de l'OTAN, de Trump, de Poutine, de Zelensky et de l'Union européenne. C'est assez inévitable si on s'en tient à une approche géopolitique pour déterminer la position de son mouvement, et pour contester la position des autres. Le substrat humain de cette guerre n'est pour ainsi dire pas pris en compte ou il est évoqué d'une phrase comme pour s'en débarrasser rapidement.

Or ne serait-il pas temps de s'intéresser enfin aux êtres humains qui constituent la société ukrainienne, dans sa diversité culturelle, ses divisions politiques, ses différences de classe, de niveau de vie, et finalement dans les ressorts personnels qui expliquent la volonté farouche depuis 2014 et encore plus depuis 2022 de ne pas se soumettre au régime barbare de Poutine ?

Dans la dernière partie du recueil de reportages intitulé « Ici et ailleurs » (éd de l'Olivier, 2023), la journaliste Florence Aubenas nous permettait de comprendre le ressenti en Ukraine des personnes concernées par l'offensive de l'armée russe. Près de trois ans plus tard, ce sont les textes et dessins de Michel Hazanavicius dans ses « Carnets d'Ukraine » (Allary éditions, 2025, 235 pages) qui offrent un tableau humain vivant et terrible des hommes et femmes impliqués au front dans cette guerre.

« Valse russe « du journaliste Nicolas Delesalle (éd J C Lattès, 2023, 200 pages) mérite également la lecture. On ne peut pas oublier ensuite la figure d'un jeune prisonnier russe qui avait été recruté par la milice Wagner.

Mais les récits et témoignages ne suffisent pas. Les analyses historiques permettent de les contextualiser. Le livre d'Anna Colin Lebedev, « Jamais frères ? Ukraine et Russie : une tragédie postsoviétique » (éd du Seuil, 2022, 222 pages) nous invite à ne pas avoir une vision simplifiée de cette guerre. Il faut également s'intéresser à l'analyse de la situation actuelle de Hanna Perekhoda, historienne et chercheuse à l'Université de Lausanne.

L'enjeu est d'avoir une visée qui n'alimente aucun nationalisme, aucun militarisme, tout en estimant parfaitement fondée l'aspiration de la population ukrainienne à ne pas céder face à Poutine, ni aux pulsions prédatrices sur les richesses de leur pays d'un Donald Trump ou des grands groupes capitalistes français et européens.

« On parle de se partager des minerais et des territoires, mais où est passée la question des droits humains ? On revient à un monde gouverné par l'argent et la brutalité, et où la vie humaine ne vaut plus rien. »
Qui tenait récemment ces propos de bon sens à un journaliste du « Monde » ? Oleksi Sivak, 41 ans, un habitant de Kherson, torturé pendant les huit mois de l'occupation russe en 2022.

On ne doit pas oublier qu'en Ukraine, il y a comme en France des capitalistes qui exploitent la situation, des politiciens corrompus, des familles dans la misère, des gens de droite et d'extrême droite, mais aussi des syndicalistes, des militants des droits humains et des organisations de gauche comme « Sotsialniy Rukh », qui luttent pour une Ukraine sans oligarques ni occupants.


ÉCRANS TOTAUX
Depuis la crise de 2008, le capital a réalisé un joli coup de filet en rendant pratiquement toute l'humanité dépendante des portables et des ordinateurs. L'opération s'est réalisée sans coup férir, quasiment sans opposition collective sérieuse. Mais aujourd'hui, les conséquences sont inquiétantes et provoquent un début de prise de conscience.

C'est un peu comme à propos des méfaits de la malbouffe, des drogues, du tabac ou de l'alcool, on ne sait plus trop quoi dire ou lire de plus quant à la nocivité des écrans qui phagocytent notre vie quotidienne pour les plus grands profits des géants du numérique, les GAFAM.

Cependant, la brochure intitulée « Écrans, un désastre sanitaire, Il est encore temps d'agir » de Servane Mouton (Tracts Gallimard, 62 pages, 3,90 ?) fournit en peu de pages des informations et des arguments qui peuvent s'avérer salutaires si l'on en tient compte. L'auteure est neurologue et neurophysiologiste et elle a coprésidé la commission d'enquête sur l'impact de l'exposition des jeunes aux écrans. Elle dresse un tableau complet, difficilement contestable et suggère quelques mesures de bon sens.

Un rapport de cette commission a été remis à Macron. Mais peut-on compter sur l'État pour intervenir et protéger les enfants et les jeunes alors qu'il a facilité et même poussé au déploiement du numérique dans tous les domaines, en particulier pendant la pandémie du Covid ? Il serait peut-être temps d'envisager des actions fortes de boycott de certains réseaux et d'abstinence des écrans, même si cela ne nous fera pas sortir facilement de cette nasse.

Sur le même sujet, le livre « Vallée du silicium » d'Alain Damasio (éd Albertine/Seuil, 2024, 320 pages) ne manque pas d'intérêt. Damasio est un auteur de science-fiction connu. C'est à ce titre qu'il a été invité en Californie à visiter les hauts lieux de la Silicon Valley.

En dépit de certaines tournures maniéristes qui peuvent agacer, ses observations et ce qu'il a recueilli comme témoignages auprès des acteurs de l'industrie du numérique sont édifiants. L'auteur n'est aucunement technophobe, mais il ne cache pas non plus ses convictions anticapitalistes, écologiques, et ses inquiétudes quant au développement de l'intelligence artificielle. Il fait des propositions pour prévenir le danger tant qu'il est encore temps. Dans la dernière partie de son livre, il met à profit tout ce qu'il a appris dans ce domaine pour imaginer une fiction passablement terrifiante et crédible sur ce qui pourrait arriver lors d'une catastrophe climatique frappant San Francisco, à une petite famille coincée dans son appartement grâce à l'intelligence artificielle.


AU LOIN LA LIBERTÉ
Les pièces de théâtre de l'écrivain russe Anton Tchekhov sont fréquemment jouées, mais ses nouvelles restent pour la plupart peu connues et insuffisamment éditées en collections de poche. C'est d'autant plus dommage qu'elles ouvrent de riches perspectives pour réfléchir sur la servitude et la liberté, les occasions manquées, les vies ratées, les velléités de s'émanciper.

Le philosophe Jacques Rancière ne s'y est pas trompé et propose dans « Au loin la liberté, Essai sur Tchekhov » (éd La fabrique, 2024, 115 pages) des éclairages précieux sur des nouvelles superbement écrites où l'écrivain ne délivre aucun message militant.
Pour autant, Tchekhov, en tant que médecin et citoyen, était favorable au progrès social et révolté par la misère et l'oppression de la société tsariste. Mais son rôle d'écrivain, pour ne pas dire sa « politique d'écrivain » pour reprendre l'expression de Rancière, consistait à montrer les hommes et les femmes de diverses conditions sociales aspirant fugitivement, comme par surprise, à une forme de liberté, qui bien souvent leur échappe.

Les humains oublient de vivre, ce qui attristait l'écrivain, car chacun n'a qu'une vie. Aucun jugement ou fatalisme chez lui. Des renversements de situations arrivent souvent dans ses récits, et les êtres engoncés dans leur routine, leur ennui ou leur servitude, pourraient saisir l'occasion d'accéder à de nouvelles formes de vie.


PRENDRE SOIN DES ORTEILS ET DES ÂMES
Vous êtes écrivaine, vous avez 45 ans, toutes les maisons d'édition refusent votre dernière nouvelle, votre enfant s'est envolé du foyer, votre mari est gravement malade : que faire ? Chercher un autre job et ne pas se laisser abattre. L'héroïne de « Marzhan, mon amour » de Katja Oskamp (éd Zulma, 2023, 199 pages) tente une reconversion comme pédicure. Elle réussit sa formation et se fait embaucher dans un institut de beauté situé à Marzhan, un quartier à l'est de Berlin, qui était « autrefois la plus grande cité de préfabriqués en béton de la RDA ».

Ce n'est pas la gloire en termes de revenus, mais sur le plan humain, c'est une belle aventure. Elle découvre, avec son sens du dialogue, des vies de personnes âgées aux parcours singuliers, des histoires touchantes, parfois drôles et souvent poignantes. Car les femmes et les hommes qui viennent lui confier leurs pieds abîmés finissent par confier aussi leurs soucis, leurs petits ou grands bonheurs, avec une sincérité étonnante.

Si par hasard dernièrement, vous avez eu une petite chute de moral, lisez ce roman plein de charme ; et vous aurez envie de le faire connaître autour de vous.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

José Chatroussat

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