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Journal de notre bord
Lettre no 198 (le 11 novembre 2024)
Bonsoir à toutes et à tous,
La victoire de Trump et de son gang a quelque chose de particulièrement perturbant. Elle révèle un stade avancé d'aveuglement et de décomposition d'une partie importante de la société des États-Unis. D'autant plus que la situation ne se présente pas sous un meilleur jour en Argentine, en Inde, en Israël ou dans plusieurs pays européens tels que l'Italie, la Hongrie, la Pologne, les Pays-Bas et, somme toute, la France aussi. Les pires réactionnaires sont au pouvoir ou à son seuil et poussent leur avantage avec l'approbation d'une partie non négligeable de l'électorat.
On a eu mille fois raisons de dénoncer la politique de Biden, dont Kamala Harris ne s'est aucunement démarquée, une politique désastreuse pour le peuple palestinien, hostile aux immigrés, et très défavorable aux travailleurs et aux classes populaires des USA qui souffrent d'une inflation dévastatrice pour leurs revenus. Mais cela ne rend ni plus agréable, ni plus justifiable le choix de 72,6 millions d'hommes et de femmes en faveur d'un individu ordurier, corrompu, raciste, xénophobe, homophobe, et abject à l'égard des femmes.
Certes, Trump a perdu près de 2 millions de voix par rapport à 2020. Mais par rapport aux élections de 2016, il en a gagné 9 millions. Et pourtant, entre temps, il a sévi au pouvoir pendant quatre ans et excité ses partisans à contester violemment le résultat des précédentes élections. Il est fier d'avoir été traîné en justice plus souvent qu'Al Capone. Le contenu de sa dernière campagne a été délibérément infect. Il a traité ses adversaires de « vermine » et évoqué avec gourmandise la manière brutale et anti-démocratique dont il entend gouverner. Tels sont l'individu et ses comparses qui ont obtenu une nette majorité de voix, contrairement à 2016 où Hillary Clinton avait recueilli en fait plus de voix que lui. Il prévoit de supprimer le ministère de l'éducation et de nommer un complotiste anti-vaccins à la tête du ministère de la santé. Tel est le niveau auquel s'est abaissée la bourgeoisie américaine.
Pour analyser de façon plus précise la physionomie d'ensemble de l'électorat étatsunien, il faudra attendre le résultat complet de tous les votes, notamment à la chambre des Représentants et sur les référendums locaux. Il apparaît déjà que la poussée électorale en faveur des Républicains n'est pas aussi forte que ne l'ont laissé entendre certains commentateurs.
Mais la victoire électorale de Trump est suffisamment nette pour donner un nouvel élan, une légitimité renforcée, au racisme, à la xénophobie, au sexisme, à l'obscurantisme religieux, au mépris des pauvres et à la haine des intellectuels, des syndicalistes et des militants de gauche. Le nationalisme le plus arrogant et le plus délirant devient la norme, le carcan intellectuel pour tous les citoyens.
Le retour au pouvoir de Trump n'est donc pas une simple alternance. Il s'opère avec une équipe de milliardaires disposant de moyens conséquents et un programme plus ouvertement fascisant. Qui plus est, ils affichent leur sympathie et leur appui aux formations d'extrême droite et à bien des régimes autoritaires et dictatoriaux de par le monde.
La classe des milliardaires révèle son visage criminel en menant et en préparant toutes les guerres possibles et imaginables notamment contre les peuples comme à Gaza et au Liban, et contre la nature et les êtres humains en intensifiant le recours aux énergies fossiles et aux productions polluantes et destructrices.
La prolifération de régimes autoritaires de plus en plus racistes et xénophobes, y compris en Europe, indique que les classes dirigeantes commencent à être sérieusement aux abois pour maintenir leurs privilèges et les conditions économiques et sociales de la reproduction du capital.
Or l'accumulation insensée de capitaux fictifs met toute l'économie mondiale au bord du gouffre et provoque déjà son ralentissement, ce qui se traduit par la multiplication de plans de licenciements dans des secteurs stratégiques comme l'automobile.
Trump et ses semblables sur tous les continents seront désarmés face à ces réalités. Les dépenses militaires pour mener les guerres ne feront qu'aggraver l'inflation tous azimuts. L'exploitation la plus féroce de tous les travailleurs dans tous les pays et tous les secteurs ne parviendrait pas à créer une plus-value suffisante pour se débarrasser de cette montagne de dettes engorgeant les circuits financiers. Elle pourrait provoquer des résistances et des révolutions ébranlant les fondements du système.
La contradiction fondamentale à notre époque n'est pas entre les nations, entre l'Occident et le reste du monde, entre les USA et la Chine, entre les pays du Nord et ceux du Sud. Non. La contradiction fondamentale est entre le capitalisme et l'humanité. À nous de choisir entre la survie du monde militarisé de la marchandisation, du profit, de la concurrence mortifère et de l'exploitation, ou l'avenir d'une humanité diverse, pacifique, créative et en harmonie avec la nature.
Tous les soulèvements, les révoltes, les luttes sociales, démocratiques, écologiques, culturelles à venir ne peuvent que s'inscrire à ce niveau pour sortir l'humanité du cauchemar capitaliste.
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FEMME ! VIE ! LIBERTÉ !
TOUT EST JAZZ !
LE CINÉMA EN PARTAGE
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FEMME ! VIE ! LIBERTÉ !
Inlassablement et dramatiquement, l'actualité remet en lumière la férocité du régime des mollahs en Iran contre les femmes, mais aussi la détermination inexorable de nombre de femmes refusant de se soumettre à cette dictature. Le film du réalisateur Mohammad Rasoulof, « Les Graines du figuier sauvage », est une œuvre remarquable sur ce thème. Elle est directement inspirée par le mouvement d'indignation qui a parcouru l'Iran en septembre 2022 à la suite de l'assassinat de la jeune étudiante kurde, Jina Mahsa Amini. Le réalisateur a intégré à la narration des vidéos de la répression et des manifestations lors du mouvement où se criait « À bas la théocratie ! À bas la dictature ! Femme, vie, liberté !
Ce film à la fois beau et puissant, qui a été tourné clandestinement en Iran, met en évidence la capacité de femmes et d'hommes épris de liberté à contester la dictature et à la miner y compris dans le cadre familial. Mais nous ne pouvons pas nous contenter d'admirer le courage et l'ingéniosité de ces jeunes en lutte, sans saisir pour nous-mêmes l'opportunité de creuser tous les problèmes soulevés par ce film et par les faits d'actualité.
L'anthropologue et chercheuse iranienne en exil, Chowra Makaremi, nous offre dans son livre, « Femme ! Vie ! Liberté ! , échos d'un soulèvement révolutionnaire en Iran » (La Découverte, septembre 2023), une chronique au jour le jour qui est une mine d'informations et de remarques éclairantes sur la société iranienne et son histoire depuis le renversement du Shah en 1979 et la mise en place de la République islamique. Elle nous permet de comprendre la genèse des différents mouvements qui ont ébranlé la théocratie et ses milieux d'affaires corrompus.
Ce livre peut être vu comme un manuel pour celles et ceux qui s'engagent dans la lutte de classe avec un maximum de sagacité, de réalisme et d'enthousiasme.
TOUT EST JAZZ !
Avec certains de mes amis, lorsque nous avons l'occasion de nous voir, nous ne faisons pas la tournée des bars mais celle des librairies et des bouquinistes. Cela nous procure une légère ivresse intellectuelle qui, pour l'instant, n'est pas réprimée par la loi. Nous avions déjà écumé deux librairies (et écorné sensiblement notre budget culture), lorsque dans la troisième, je tombai aux rayons des romans traduits de l'allemand sur un titre accrocheur (pour moi) : « Tout est Jazz ! » de Lili Grün (éditions du Typhon, mai 2024, traduction de Sylvaine Duclos, 20 euros).
Ce roman émouvant, plein de fraîcheur et de dynamisme, avait connu un grand succès lors de sa publication à Vienne en 1933, à la veille de l'arrivée des nazis en Autriche. Retrouvé dans une brocante en 2009, ce roman entame une nouvelle carrière.
L'héroïne, la jolie et pétillante Elli, fait partie d'une bande de jeunes qui essaient de percer sur la scène de Berlin alors que la concurrence est rude dans ces années de chômage et de misère marquées par la crise de 1929. La vie de bohème n'a rien d'agréable matériellement et bouscule les amours et les amitiés. Les espoirs de succès sont trop rapidement suivis de déconvenues.
Mais Elli et ses amis ne se laissent pas facilement abattre. L'un d'eux a une riche idée : créer un cabaret intitulé « Le Jazz » où le groupe va tout inventer, la musique, les textes, la mise en scène, les affiches…
L'auteure de ce roman drôle et poignant était d'origine juive roumaine. Elle a été arrêtée, déportée et assassinée par les nazis en 1942.
LE CINÉMA EN PARTAGE
Le grand critique de cinéma, Michel Ciment est décédé il y a un an. Il avait eu une série d'entretiens avec son ami et collègue N. T. Binh, regroupés et publiés sous le titre, « Le cinéma en partage ». Ces entretiens viennent d'être réédités en collection Rivages poche (12,50 euros). Si vous n'êtes pas déjà cinéphile, vous risquez de le devenir en lisant ces entretiens constamment animés par son humour, ses colères et sa brillante intelligence, ses rencontres mémorables et ses réflexions savoureuses dénuées de complaisance.
Homme de gauche résolument hostile à toutes les formes d'embrigadement de la pensée, Michel Ciment aura incarné depuis les années 1960, un modèle de critique exigeante, fondée sur une vaste culture allant bien au-delà du 7e art. Il était issu d'un milieu d'artisans juifs venus en France au début des années 1920. Il aura joué un rôle majeur au sein de la revue « Positif » et à la radio en intervenant à l'émission « Le Masque et la plume » sur France Inter et en produisant l'émission « Projection privée » sur France Culture. Ses nombreux entretiens avec des réalisateurs auront débouché sur des films documentaires et des ouvrages de référence notamment sur Elia Kazan, Joseph Losey, Fritz Lang, Billy Wilder, Stanley Kubrick ou Jane Campion.
Ce livre brasse toute une époque de création cinématographique à l'échelle mondiale depuis les années 1950 jusqu'en 2014. Jamais Michel Ciment n'aura cédé aux modes intellectuelles, philosophiques ou politiques. Il revendiquait le droit à la polémique, un art qu'il utilisait de façon argumentée et sans outrances.
Bien fraternellement à toutes et à tous,
José Chatroussat
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