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Journal de notre bord

Lettre no 196 (le 23 juin 2024)

Bonsoir à toutes et à tous,

Toutes celles et tous ceux qui sont épris de justice sociale, d'égalité, de démocratie, de relations humaines respectueuses, les amoureux de la nature et de toutes les cultures et formes artistiques se trouvent actuellement au pied du mur. Leurs aspirations risquent fort d'être bafouées, leurs droits et leurs demandes piétinées, quelle que soit la formule de gouvernement qui ressortira des urnes après le 7 juillet.

Mais il est évident que si le Rassemblement national (RN) obtient la majorité absolue et constitue dans la foulée un gouvernement, il disposera de l'essentiel des leviers de l'appareil d'État et multipliera les agressions et la répression contre les migrants, contre les pauvres, contre les syndicats, les organisations de gauche et d'extrême gauche, les Kanaks, les associations d'entraide, les collectifs culturels, les mouvements écologistes et féministes, etc. Il encouragera, même tacitement, toutes sortes d'énergumènes ou de déséquilibrés à agresser les Arabes, les Noirs, les Rroms, les Juifs, les personnes LGBT+… Il y aura des bavures policières à foison encouragées et couvertes légalement. Nous risquons de connaître une situation de guerre civile larvée qui sera bien difficile à endiguer. Nous n'en sommes pas là. Raison de plus pour prendre toutes nos précautions pour ne pas vivre ça.

Certes, le RN n'est pas notre seul ennemi, mais c'est tout de même dans l'immédiat le plus dangereux, le plus à même d'accéder au pouvoir et de provoquer bien des dégâts dans les libertés d'expression et d'organisation, et d'aggraver bien des souffrances au travail et au quotidien. Si nous pouvons obtenir un délai en freinant sa progression, en votant pour les candidats du « Nouveau Front populaire », même si nous n'avons pas du tout ou peu confiance en eux, ce serait faire preuve de légèreté ou de défaitisme que de renoncer à cette possibilité.

À court terme, la situation pourra difficilement tourner à notre avantage. Car même si le RN n'obtient pas une majorité de députés, il va franchir un pas de plus dans son implantation dans toutes les régions, rallier davantage de notables et de hauts fonctionnaires, renforcer ses moyens financiers et peser de façon obsessionnelle sur les esprits dans tous les grands médias et les réseaux sociaux.
Mais à moyen terme, il nous sera possible de reprendre la main si nous mettons en œuvre nos forces et nos idées, sans déléguer notre sort à des politiciens et des anciens ministres que nous avons déjà vus à l'œuvre à l'époque de Mitterrand, de Jospin et du désastreux quinquennat de François Hollande.
Les milliers de jeunes, d'hommes et de femmes de gauche qui ont spontanément manifesté contre le RN, mais aussi qui ont fait efficacement pression dans la rue pour contraindre les partis de gauche et les écologistes à passer un accord pour les législatives ne vont pas se contenter de voter pour les candidats du Nouveau Front populaire (NFP). Les forces sociales d'émancipation et de rejet de la réaction sont bien vivantes. Les conditions de leur regroupement et de leur efficacité restent à définir et doivent être débattues de toute urgence.
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LE CRÉPUSCULE DU MACRONISME
FRONT POPULAIRE D'HIER ET D'AUJOURD'HUI : UNE DUPERIE
ÉLECTORALITE AIGUË
ASSEMBLÉES, COMITÉS, COLLECTIFS ET ENQUÊTES DE TERRAIN
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LE CRÉPUSCULE DU MACRONISME
La décision brusque de dissoudre l'Assemblée nationale était-elle l'acte d'un enfant caractériel mettant à sac l'appartement de ses parents ? Cela y ressemble et a provoqué un haut le cœur parmi toute sa famille politique la plus proche. Nombre de ses partisans multiplient jour après jour les critiques amères à l'égard du chef, retirent sa photo sur le matériel électoral et essaient de sauver leur peau en quittant le navire présidentiel.

Au travers du comportement de Macron, on voit bien que c'est la classe des capitalistes et des très riches qui pique sa crise. Elle cherche frénétiquement des parts de profits supplémentaires et des garanties politiques et sociales quant à la pérennité de son système de domination. Pour y parvenir, ne s'offrent à elle que des solutions musclées et des décisions faisant le lit de l'extrême droite.
Le régime présidentiel de la Ve République favorise depuis le début les pulsions autoritaires et bonapartistes du résident de l'Élysée pour s'affranchir des contrôles et des critiques, et pratiquer une politique musclée. Macron en use et à présent en abuse largement. Affolé par l'écroulement de sa « majorité » qui fond plus vite que les glaciers alpins, discrédité par la progression du RN qu'il était censé bloquer, il pille l'arsenal politique et idéologique de l'extrême droite en pratiquant la calomnie contre La France insoumise accusée d'antisémitisme, la gauche accusée d' « immigrationnisme » et ainsi de suite. Comment ne pas songer au Roi Lear de Shakespeare, contesté par les siens et par les dures réalités, et ne sachant plus ce qu'il dit et ce qu'il fait ?
Il se met au diapason de toute une bourgeoisie haineuse qui déverse sur les plateaux télévisés et dans sa presse des tombereaux de calomnies et d'amalgames sur tout ce qui se situe à gauche. Prenons tout cet affolement nauséabond comme une preuve évidente d'un règne en voie d'achèvement.


FRONT POPULAIRE D'HIER ET D'AUJOURD'HUI : UNE DUPERIE
Les hérauts petits ou grands du Nouveau Front populaire se drapent fièrement dans la référence au mythe du Front populaire de 1936. Si on s'informe un peu attentivement sur ce qu'a été l'expérience gouvernementale conduite par le socialiste Léon Blum et soutenue par le stalinien Maurice Thorez, le mythe glorieux s'effondre. C'est le mouvement autonome des masses, la grève générale avec occupation des entreprises en juin 1936, qui a permis d'obtenir très momentanément la semaine de 40 heures, deux semaines de congés payés et la reconnaissance de délégués du personnel. Rien de tout cela n'était au programme de l'alliance électorale et gouvernementale du « Front populaire ».

C'est ensuite le PCF qui a pesé de tout son poids pour faire arrêter la grève. C'est Blum qui a décrété une « pause » rassurante pour les banques et les 200 familles les plus riches, et renoncé à aider l'Espagne révolutionnaire antifranquiste pour ne pas contrarier les financiers de la City. C'est sous le gouvernement de Blum que la police a tiré sur les ouvriers antifascistes à Clichy en avril 1937 faisant 5 morts et 500 blessés. C'est donc être ignorant ou se moquer du monde que de glorifier le Front populaire de 1936.

Dans le cadre de cette lettre, je ne peux pas développer davantage le caractère nocif, désastreux, qu'ont été les accords politiques et les gouvernements dits de Front populaire dans les années 1935-1938. Mais il me semble nécessaire d'en être suffisamment informé par quelques lectures pour éviter les mêmes pièges aujourd'hui et dans l'avenir.

On trouvera un tableau détaillé de la grève générale dans « Juin 36 » de Danos et Gibelin (Les Bons Caractères), un tableau politique précis dans « Le déclin de la IIIe République 1929-1938 » (Seuil, 1976) de l'historien Henri Dubief, un témoignage discutable mais passionnant de Daniel Guérin, « Front Populaire, révolution manquée » et un recueil d'articles très documentés, « L'entre-deux guerres, La lutte de classes en France 1926-1939 » (EDI) de Pierre Naville, militant trotskiste à l'époque.
À partir de la connaissance des faits, on appréciera d'autant plus, en tenant compte du contexte, les analyses et interventions à chaud de Léon Trotsky, qui avait une connaissance de première main de la France : « La France à un tournant » (mars 1936), « L'étape décisive » (5 juin 1936), « La révolution française a commencé » (9 juin 1936), Devant la seconde étape » (9 juillet 1936), « L'heure de la décision approche sur la situation en France » (décembre 1938). Tous ces textes sont accessibles sur le site marxists.org.

Historiquement, dans les alliances politiciennes portant des noms ronflant tels que Front populaire, Front républicain ou Union de la gauche, ce sont toujours les tendances les plus respectueuses des intérêts des classes privilégiées qui l'emportent. On appâte les électeurs sincèrement de gauche avec un programme séduisant, et une fois en poste gouvernemental, on tient compte « des réalités » de l'économie capitaliste, on s'empresse de « rassurer les marchés », on prend des mesures conformes aux intérêts des grands groupes industriels et financiers. Le schéma s'est répété de la même façon dans d'autres pays avec Schröder et les Verts en Allemagne, Blair au Royaume-Uni, Tsipras en Grèce, Podemos en Espagne. Actuellement au Mexique le même processus s'engage.

Les conséquences sont loin d'être anodines. Car à chaque fois, les électeurs des classes populaires se sentent à juste titre trahis. Une partie d'entre eux décrochent en s'abstenant ou se vengent en votant pour l'extrême droite. La machine à illusions est parfois difficile à relancer. L'effet cumulatif de ces déceptions, ressentiments et colères vis-à-vis des partis de gauche à vocation gouvernementale s'est traduit par une marée montante d'extrême droite à chaque élection. À présent, dans les semaines qui viennent, c'est à un tsunami que nous risquons d'être confrontés, et les leaders du Nouveau Front populaire (NFP) pourront pousser des grands cris de frayeur, cela ne nous protégera en rien.

Le Nouveau Front populaire a peu de chance d'accéder au gouvernement. Le ferait-il qu'il renierait aussitôt toutes ses belles promesses. Mais s'il n'éclate pas après la séquence électorale, il risque de faire illusion. Il est donc vital de ne rien attendre de cette coalition. C'est à nous de nous organiser en toute indépendance et de garder le contrôle de nos luttes.


ÉLECTORALITE AIGUË
Il est une maladie dont les différents groupes trotskistes ne parviennent pas à se débarrasser et qu'on pourrait appeler une « électoralite » aiguë. Quel que soit son état de faiblesse, il faut absolument que chaque groupe soit présent d'une manière ou d'une autre lors des élections. Les scores pour « faire entendre la voix des travailleurs » sont dérisoires ? Peu importe, on remet ça sans s'occuper du contexte et des sentiments des travailleurs.

Cette maladie électoraliste se décline sous plusieurs formes selon les groupes. Il y a la forme suiviste à l'égard des partis de gauche, et en particulier de la France insoumise (LFI). Elle est incarnée notamment par le NPA-L'Anticapitaliste de Philippe Poutou et Olivier Besancenot.
Les succès électoraux de LFI aux présidentielles et aux dernières élections législatives les ont impressionnés. Ils ont voulu être dans le coup comme on dit et saisir le vent porteur de LFI gagnant en influence dans certains quartiers populaires. Sauf que ce vent a molli.
Ils ont été éconduits par LFI pour les européennes. Ils tentent à présent de s'accrocher à l'éventuelle dynamique du NFP. Cela ne donnera rien de bon. D'autant plus que ces camarades ont adopté dans un premier temps la même position éminemment choquante que Mélenchon et LFI sur le Hamas à propos des crimes sanglants et les viols que le Hamas a commis le 7 octobre. Dommage pour ces camarades. Comme le dit un vieux proverbe russe : « Il suffit d'une cuillerée de goudron pour gâcher un tonneau de miel ».
En se positionnant trop comme faire-valoir du Nouveau Front populaire, ils risquent non seulement de porter le discrédit des reniements et des errements de LFI, du PS et du PCF.

À côté de la forme suiviste de l'électoralisme, il y a la forme attentiste de Lutte Ouvrière. Elle déplore que les travailleurs ne soient pas conscients. Ils ont perdu la conscience de leur force. LO espère qu'ils la retrouveront un jour cette conscience pour alors se mettre à leur tête. En attendant, LO se fait un devoir de présenter des candidats à toutes les élections. C'est un peu jouer au parti qu'on n'a pas réussi encore à construire au cours des trente dernières années. Ceci dit, dans le registre de la dénonciation des méfaits du capitalisme et des serviteurs de la bourgeoisie de droite ou prétendument de gauche, les campagnes de LO ont leur utilité.

LO présente des candidats dans quasiment toutes les circonscriptions. L'argument final avancé pour voter pour eux est le suivant : « S'il y avait ne serait-ce qu'un député issu du camp des travailleurs, il se ferait les yeux et les oreilles du monde ouvrier ». Où précisément ? Dans le capharnaüm de l'hémicycle rempli de vociférations et d'insultes ? Sinon, dans les couloirs du Palais Bourbon ?
Le rôle des révolutionnaires après les élections, selon Christian Bernac de LO, serait d'être aux côtés des travailleurs «  pour contrôler, surveiller les faits et gestes du nouveau gouvernement. » Mission étrange pour des révolutionnaires.

Il y a comme un épuisement des ressources politiques du mouvement trotskiste qui a connu de meilleurs jours au siècle dernier. Les différentes formes d'électoralisme des groupes trotskistes illustrent à leur façon ces remarques dans le Programme de transition de 1938 dont Trotsky a été le principal rédacteur :
« Quand s'use un programme ou une organisation, s'use aussi la génération qui les a portés sur ses épaules. La rénovation du mouvement se fait par la jeunesse, libre de toute responsabilité pour le passé. »


ASSEMBLÉES, COMITÉS, COLLECTIFS ET ENQUÊTES DE TERRAIN
Des assemblées populaires se sont tenues dans différents endroits pour affûter des arguments contre le RN et pour préparer des manifestations et diverses interventions dans l'espace public. Certaines assemblées envisagent de se fédérer. Tout un ensemble de comités et de collectifs émergent dans les secteurs de la société se sentant directement menacés par l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir.

Il faut se réjouir de la multiplication des analyses sociologiques et des reportages de qualité pour comprendre la nature complexe de l'électorat du RN, et les raisons de son succès. On peut ici mentionner « Sociologie politique du Rassemblement national » (Presses universitaires du Septentrion, 2023) de Safia Dehani, Estelle Delaine, Félicien Faury et Guillaume Letourneur. Outre les contributions sur l'extrême droite dans Le Monde, Libération et Courrier international, des journalistes de France Inter et de France Culture, et des chercheurs invités ont mené des études et des enquêtes de terrain très éclairantes.

Aller jusqu'au bout de ces investigations nous conduira inévitablement à une nouvelle compréhension du capitalisme et de ses institutions médiatiques et étatiques. C'est là le défi pour toutes celles et tous ceux qui se mobilisent actuellement : ne pas seulement être contre le RN, mais repérer ses points faibles, et finalement, comprendre le lien entre les logiques identitaires mortifères avec la logique impitoyable du capital.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

José Chatroussat

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