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Journal de notre bord

Lettre no 195 (le 6 juin 2024)

Bonsoir à toutes et à tous,

Les nouvelles qui nous parviennent des cinq continents de la planète sont de plus en plus glaçantes. Inondations catastrophiques, vagues de chaleur et famines causant de nombreux morts, massacres de populations civiles au Soudan, au Congo, à Gaza, en Ukraine, en Haïti, en Birmanie… Répression policière dans de nombreux pays. Presque tous les régimes, y compris ceux qui se prétendent démocratiques, restreignent encore plus les libertés et ont recours à des politiques identitaires xénophobes pour paralyser les contestations et maintenir à flot les intérêts de leur classe dirigeante.

Dans ce monde cauchemardesque, l'existence de rêveurs est cruciale pour donner une petite chance à l'humanité de survivre décemment. Celles et ceux qui aiment la nature et se battent pour la sauver, celles et ceux qui s'attaquent aux injustices perpétrées par les États et les puissances de l'argent, celles et ceux pour qui la culture doit être vivante, diversifiée et non conformiste, tels sont les rêveurs d'hier et d'aujourd'hui.

Ces lutteurs-rêveurs sont de plus en plus en butte à la répression, au mépris, à la calomnie ou à l'indifférence. Mais ces rêveurs fous d'un monde meilleur, plus beau, plus juste, sans frontières, sans guerres et sans exploitation auraient tort de céder au découragement.

L'horizon semble bouché, et soudain, la protestation de jeunes dans différents pays contre le massacre des Palestiniens prend de l'ampleur. L'espoir réside dans toutes les luttes de par le monde, celles des paysans qu'on exproprie pour exploiter le lithium, celles des sans-abris qu'on expulse pour que certains puissent faire de bonnes affaires avec les jeux olympiques, celles des ouvriers exploités sur tous les chantiers du monde, celles des femmes assurant les travaux de ménage et de soin pour des salaires scandaleusement bas.
On peut beaucoup compter sur le dynamisme et la détermination des jeunes pour participer aux luttes pour la justice et la dignité, comme on le voit par exemple avec le mouvement international des étudiants en soutien au peuple palestinien. Mais aucune concession ouverte ou silencieuse aux antisémites et aux racistes de toutes sortes ne doit être tolérée.
Les chemins de l''émancipation sont parsemés d'obstacles et exigent beaucoup de lucidité. L'émancipation ne s'accommode d'aucune stigmatisation, d'aucun rejet réactionnaire. Elle est sans frontières, en rupture avec les désastreuses logiques identitaires qui accompagnent la logique du capitalisme.
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L'ÉTAT D'ISRAËL CONTRE LES JUIFS
VIVRE EN ISRAËL ET EN PALESTINE
ALORS, POUR QUI TU VOTES LE 9 JUIN ?
L'EXPULSION DES POÈTES
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L'ÉTAT D'ISRAËL CONTRE LES JUIFS
Les dirigeants israéliens s'évertuent à préserver l'idée que l'État d'Israël est la seule démocratie au Moyen-Orient et qu'à ce titre, il est un rempart contre toutes les forces dites terroristes. C'est une véritable rente idéologique au long cours. Toutes ses actions seraient donc bonnes. L'équation est simple : toute critique d'Israël relèverait de l'antisémitisme et serait une offense à la mémoire des victimes de la Shoah.

Dans son livre de référence « L'État d'Israël contre les Juifs, Après Gaza » (La Découverte, 334 pages, 13 €) qui vient d'être réédité dans une version augmentée et actualisée, Sylvain Cypel démonte, faits et preuves à l'appui, cette version mensongère. Son père a été un militant sioniste socialiste convaincu tandis que lui a vécu longtemps en Israël, a rompu avec le sionisme et milité dans les années 1970 dans une organisation d'extrême gauche, le Matzpen. Il a été ensuite journaliste au « Monde » et à « Courrier international ».
L'évolution désastreuse d'Israël était inscrite dans le projet sioniste initial chassant les Palestiniens par la violence pour s'emparer de leurs terres. Mais les choses ont pris un tour encore plus monstrueux depuis vingt ans. L'ouvrage abonde en citations et en faits sidérants sur la mentalité des responsables politiques, des juges et des militaires qui ont rendu banal l'arbitraire et la violence à l'égard des Palestiniens des territoires occupés. Ainsi, à la question, faut-il « lancer une bombe A sur la bande de Gaza pour tuer tout le monde ? », le ministre du Patrimoine répond en novembre dernier « c'est une option » et ajoute « Quiconque brandit un drapeau palestinien ne devrait pas pouvoir continuer à vivre. » Le pire est que ce genre de déclarations ne suscite aucun scandale dans la société où le racisme anti-arabe est profondément incrusté.
Le livre fourmille d'exemples de la « brutalisation » de la société. En Cisjordanie, les colons détruisent les oliviers au rythme de 1000 par mois. Les crimes de sang commis par les colons sont en constante augmentation et fort peu sanctionnés par la justice. Un avocat israélien défenseur des droits des Palestiniens a pu parler de « l'épanouissement d'un Ku Klux Klan juif autorisé par le procureur de l'État ».

Les liens de Netanyahou avec Trump et toute une flopée d'antisémites dans différents pays sont largement documentés. Les Juifs de gauche en Israël sont considérés comme des traîtres. Les mesures anti-démocratiques se sont multipliées. Israël « est devenu un État de ségrégation ethnique par ses lois et plus encore par sa pratique quotidienne ».
Un chapitre analyse en détails la crise (et en partie le rejet) que cette évolution a provoquée chez les Juifs aux États-Unis tandis qu'une organisation comme le CRIF en France continue à cautionner tous les agissements de l'État israélien.


VIVRE EN ISRAËL ET EN PALESTINE
Pour comprendre une situation complexe et dramatique, il faut pouvoir s'attacher aux expériences quotidiennes des personnes impliquées. Les témoignages, comme les reportages et récits bien documentés, permettent d'aller plus profondément dans la compréhension des choix et des comportements.
Il y a un an, les éditions Libertalia publiaient le témoignage éloquent du franco-palestinien Salah Hammouri, né en 1985 et qui a passé plus de dix ans dans les prisons israéliennes : " Prisonnier de Jérusalem, Un détenu politique en Palestine occupée " (OrientXXI/Libertalia, 130 pages, 10 €). L'auteur a été arrêté pour la première fois à l'âge de 16 ans. Ensuite, au fil des années, c'est une suite ininterrompue d'incarcérations, de violences, de provocations auxquelles il résiste avec une grande détermination, grâce aussi au soutien de sa famille, d'amis et de militants.

On éprouve un véritable malaise à la lecture d'un tel acharnement et d'une telle mauvaise foi de la part des autorités israéliennes. Finalement, le gouvernement israélien a signé en décembre 2022 un ordre de déportation parfaitement arbitraire de Salah Hammouri en France, sans que les autorités françaises osent protester.

Nous recommandons chaudement la lecture d'un autre récit concernant la réalité sociale et politique en Palestine et en Israël. « Une journée dans la vie d'Abed Salama, Anatomie d'une tragédie à Jérusalem » (Gallimard, 325 pages, 25 €) de Nathan Thrall est une enquête d'une qualité exceptionnelle. L'auteur est un journaliste et essayiste juif américain vivant à Jérusalem avec sa famille.
Le 16 février 2012, un bus scolaire emmenant des jeunes enfants palestiniens en excursion est percuté par un semi-remorque sur une route dangereuse en périphérie de Jérusalem. Le bus prend feu. L'institutrice et plusieurs enfants meurent brûlés vifs. Les secours sont absents, à part une ambulance palestinienne qui arrive trop tard. Les premiers soins sont prodigués par Huda, une endocrinologue. Les habitants de la colonie voisine ont vu l'incendie mais n'ont pas bougé, de même que les soldats toujours prompts à intervenir dès qu'un gamin palestinien lance une pierre.
Parmi les victimes, il y a Milad, le fils d'Abed Salama, un membre d'une grande famille déchue à qui le gouvernement israélien a confisqué ses terres, et un militant marxiste hostile à l'Autorité palestinienne corrompue et collaborant avec l'occupant.

À partir de ce fait divers tragique, Nathan Thrall a mené une enquête très approfondie sur toutes les personnes concernées par cet accident qu'ils soient Palestiniens, Bédouins ou Juifs. Chacun a une sensibilité particulière selon sa position sociale et son parcours personnel.
Ce livre, écrit dans un style sobre, se présente comme un roman particulièrement fascinant, dont chaque phrase est étayée par des documents officiels, des reportages, des cartes, des faits historiques ou des entretiens qu'il a eu avec les Palestiniens et Juifs israéliens directement concernés. Le livre offre des aperçus passionnant sur une société palestinienne très diverse, avec ses solidarités, ses dissensions familiales, ses mariages arrangés, ses histoires d'amour, ses divorces douloureux, ses embrouilles et ses rivalités politiques. Un livre précieux pour échapper aux généralités.


ALORS, POUR QUI TU VOTES LE 9 JUIN ?
C'était inévitable. À l'occasion de la campagne des élections européennes, je savais que je n'échapperais pas aux questions de mes proches : « Pour qui tu votes ? Et d'ailleurs, est-ce que tu votes ? ». Je vais répondre d'abord à la seconde question. S'abstenir est bien tentant pour exprimer son dégoût et sa colère, sa grande fatigue à l'égard de consultations électorales dont il ne sort jamais rien de bon. Mais peut-être est-il possible de faire un geste plus positif ? Mais voter pour qui ?

La lecture du petit livre de Philippe Corcuff et Philippe Marlière, « Les Tontons flingueurs de la gauche » (Textuel, 94 pages, 11,90 €) remet utilement en mémoire les positions douteuses ou révoltantes d'une série de personnalités « de gauche », médiatiquement connues, et ayant fait dériver la gauche ces dernières années vers des positions de plus en plus réactionnaires.
Les auteurs adressent une lettre ouverte sévère à chacun d'eux, à savoir : François Hollande, Emmanuel Macron (issu du Parti socialiste et propulsé par Hollande), Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel, François Ruffin et enfin Michel Onfray. Sans adresser une lettre à Yannick Jadot, porte-parole des Verts aux dernières présidentielles, les auteurs signalent qu'il avait participé à la manifestation du syndicat Alliance-Police nationale aux côtés de Fabien Roussel du PCF et de Olivier Faure du PS.

Le trait commun qui caractérise ces « Tontons flingueurs de la gauche » est leur nationalisme et leur dérive sécuritaire. Il suffit d'ailleurs d'examiner leurs positions sur les immigrés, sur la police, sur l'armée, sur les crédits militaires ou sur la protection de « notre industrie française ». Sur le modèle du fonctionnement à la base de la société capitaliste, ils sont en concurrence entre eux pour obtenir la plus grande part du marché électoral et accéder à des postes de pouvoir.

Chaque formation politicienne pratique l'indignation à géométrie variable. « La France insoumise » a été incapable de condamner clairement les crimes du Hamas le 7 octobre dernier. On ne peut pas non plus oublier la position complaisante qu'a eu Mélenchon à l'égard de Bachar el-Assad et de Poutine, massacreurs du peuple syrien.
De son côté, Glucksmann et le Parti socialiste se gardent bien de dénoncer les massacres perpétrés par l'armée israélienne ; et ils sont bien d'accord avec Macron pour que " l'ordre " de l'État colonial français soit rétabli en Nouvelle-Calédonie contre le peuple Kanak.

Il est de médiocre intérêt tactique, de mon point de vue, de vouloir faire passer la liste du PS ou celle de LFI devant celle tenue à bout de bras par Macron. On ne peut pas compter sur ces partis pour faire pièce aux listes d'extrême droite. Toute l'histoire de la gauche politicienne depuis quarante ans en est l'illustration. Le Rassemblement national s'achemine de plus en plus vers le pouvoir en flattant les préjugés nationalistes identitaires, racistes et xénophobes dans toutes les classes sociales. Comme tous ses comparses en Europe, il utilise la haine des immigrés comme d'un carburant pour ses sinistres projets.

Aussi faible et minoritaire soit-elle, il me semble important qu'une voix internationaliste conséquente se fasse entendre, qui ne néglige aucun combat contre les méfaits du capitalisme et des États à son service.
La liste du « NPA-révolutionnaires » conduite par Selma Labib et Gaël Quirante affirme l'urgence de la révolution « pour un monde sans frontières ni patrons ». J'ai sûrement une conception différente de la révolution et des moyens de la faire triompher que celle de ces camarades. Je n'adhère plus à la conception d'un parti centralisé d'avant-garde conduisant le prolétariat vers la prise du pouvoir. La révolution sera démocratique, multiforme, débordant tous les schémas, ou elle ne sera pas.
Mais sur la nécessité d'en finir au plus vite avec le capital qui mène l'humanité à sa perte, je me retrouve en plein accord avec ces camarades, et je voterai donc pour leur liste.


L'EXPULSION DES POÈTES
Le philosophe Platon voulait expulser les poètes de sa République idéale. Les dirigeants de France-Culture ont trouvé cette idée séduisante. Ils ont donc décidé de supprimer à la rentrée l'émission de Manou Farine, « Poésie et ainsi de suite » diffusée le samedi à 15h 30. C'est la seule émission à la radio consacrée à la poésie contemporaine. Autrefois elle durait une heure. À présent elle ne dure plus que trente minutes. Mais c'est encore trop pour la direction de France-Culture.
Même si vous n'êtes pas des auditeurs assidus de France-Culture, et encore moins de l'émission originale et inventive de Manou Farine, prenez le temps de lire le texte dénonçant ce projet de suppression. Vous pouvez également signer la pétition sur https://chng.it/ftBLdHwJBj pour sauver « Poésie et ainsi de suite ».

Bien fraternellement à toutes et à tous,

José Chatroussat

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