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Journal de notre bord
Lettre no 194 (le 20 octobre 2023)
Bonsoir à toutes et à tous,
Cela peut sembler étrange et en complet décalage
avec une actualité brûlante et sordide, mais il m'a
semblé tout à coup qu'il me fallait relire quelques
lettres de Rosa Luxemburg.
Imaginez ce qu'elle aurait pu dire de Nétanyahou, du
Hamas, de Biden, de Macron ou de Poutine ? Je ne cherche
aucunement à annexer les propos de cette grande
révolutionnaire, qui alliait poésie,
lucidité, courage et intégrité. C'est
à chacun d'en faire bon usage en ces temps
tourmentés.
La lecture de ses lettres est à la fois bienfaisante et
éclairante. Elle donne envie de ne rien céder aux
forces destructrices de l'humanité. Julien Chuzeville a
présenté et annoté une sélection de
cette correspondance dans un court recueil intitulé
« Commencer à vivre humainement » (éd
Libertalia, 2022, 137 pages, 10 €). Rosa Luxemburg a des
moments de dépression, de tristesse accablante lorsqu'elle
est en prison pendant la Première Guerre mondiale. Mais la
moindre manifestation de la vie des plantes, des insectes ou des
oiseaux, la lecture d'une grande œuvre littéraire,
le spectacle du mouvement des nuages dans le ciel, ou le souvenir
du bleu paradisiaque du lac Léman, lui redonnent toute la
force et la confiance nécessaires pour mener sans
relâche la lutte et la réflexion pour un monde
meilleur.
Oui, mais Gaza, la Cisjordanie, Israël ? Je vais y venir.
Mais auparavant, il faut s'armer moralement et intellectuellement
pour éviter les pièges des positions
idéologiques convenues, des éléments de
langage qui encadrent la pensée et l'empêchent de se
déployer, des comptabilités des morts dans chaque
camp et des redites en moins bien d'analyses
géopoliticiennes utiles mais parfois un peu froides.
Avant d'affronter l'actualité, je lis encore ce passage
d'une lettre de Rosa Luxemburg adressée de sa prison en
mars 1917 à son ami Hans Diefenbach qui est au front et y
perdra la vie quelques mois plus tard. Après avoir
traversé « une passe assez dure » selon ses
mots, elle écrit : « Du reste, tout serait plus
facile à supporter, si je n'oubliais pas la loi
fondamentale que je me suis fixée comme règle de
vie : être bon, voilà le principal ! Être bon
tout simplement. Voilà qui englobe tout et qui vaut mieux
que toute l'intelligence et la prétention d'avoir raison.
»
L'internationalisme de Rosa Luxemburg était nourri par
cette règle de vie ne laissant de place ni à la
vengeance, ni à la déploration. Son
internationalisme n'était pas une posture, un
supplément d'âme, mais la boussole qui donne sens et
clarté à toutes les luttes pour un monde pleinement
humain.
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DANS LA NASSE DES MASSACREURS ET DE LEURS
PIÈGES POLITIQUES
LE HAMAS ET SA POLITIQUE MONSTRUEUSE
L'IMAGINAIRE INTERNATIONALISTE
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DANS LA NASSE DES MASSACREURS ET DE LEURS
PIÈGES POLITIQUES
Le 7 octobre restera comme une date marquante dans la descente
aux enfers de l'humanité. Ensuite, d'une certaine
façon, l'assassinat d'un professeur à Arras aura
donné une consistance glaçante au drame de grande
ampleur qui se déroule en Palestine et en Israël.
L'enjeu est de ne pas nous laisser déshumaniser, intimider
par les puissants, devenir indifférents ou
paralysés par un désastre dont il nous faut
évaluer l'ampleur et les conséquences.
Les dirigeants des grandes puissances occidentales ont
accordé à Nétanyahou et son gouvernement
d'extrême droite le permis de massacrer en grand la
population palestinienne de Gaza. L'occasion était trop
belle pour un gouvernement sérieusement contesté
depuis des mois en Israël et gravement incompétent
à assurer la sécurité de ses citoyens.
Objectif : annexer à terme la bande de Gaza comme
étape décisive vers le « Grand Israël
» dont rêvent les composantes les plus racistes et
infâmes de l'État hébreu. La Cisjordanie,
déjà réduite comme peau de chagrin en tant
qu'espace de survie des Palestiniens, finirait également
par être absorbée dans le délire fou des
sionistes les plus extrémistes.
Dans la bande de Gaza, 2,4 millions d'hommes, femmes et enfants,
prisonniers et pris en otage par l'armée
israélienne depuis des décennies, sont à
présent systématiquement bombardés et
privés de tout, eau, nourriture, médicaments, et y
compris de la possibilité de fuir où que ce soit.
Ce blocus et ce déluge de bombes sont atroces et sont
dénoncés par toutes les ONG présentes sur
place.
Voilà ce que soutiennent sans faille Macron, Biden, le
gouvernement britannique et les dirigeants de l'Union
européenne. Et comme le pouvoir du gouvernement
français est plus fragile que celui de la coalition
gouvernementale en Allemagne ou de Biden aux USA, il en rajoute
en interdisant les manifestations de solidarité envers le
peuple palestinien, y compris en poursuivant en justice des
organisations et des militants. Voilà de quoi
réjouir la meute des politiciens, journalistes et
essayistes de droite et d'extrême-droite. Marine Le Pen et
Éric Zemmour jubilent. Ils ramassent au passage une
plus-value politique et idéologique bien utile pour
assurer la transition vers un régime post-macroniste dont
ils se voient déjà en héros.
Ceci dit, c'est un très grand malheur pour un peuple
d'être représenté par des criminels de la
plus basse espèce comme le Hamas et le gouvernement de
Nétanyahou. Tel est le malheur de longue date, mais
aujourd'hui aggravé, pour le peuple palestinien et pour le
peuple israélien. Comme tous les peuples sont liés
par un même destin, on peut dire que ce malheur est celui
de l'ensemble du peuple humain sur cette planète.
Ici, en France, serons-nous des victimes collatérales et
des complices involontaires de ce très grand malheur ? La
question qui se pose est : comment allons-nous penser et agir
pour ne pas être des spectateurs en état de
sidération ou des complices indifférents des
abominations qui frappent les populations palestinienne,
israélienne, haïtienne, iranienne, syrienne,
libanaise, ukrainienne, yéménite, afghane,
libyenne, birmane, arménienne, soudanaise…
LE HAMAS ET SA POLITIQUE MONSTRUEUSE
Il est impossible de faire l'économie d'une analyse
rigoureuse du Hamas et de la position à adopter à
son égard. Dans les heures et les jours qui ont suivi
l'attaque du Hamas, il y a eu incontestablement un embarras, un
flottement, voire une dérive, dans les prises de position
de bien des commentateurs représentatifs de la gauche
radicale, féministe et anticapitaliste. Le nier ne ferait
qu'aggraver le malaise et tournerait plus tard, sous la pression
des événements et de nos adversaires, à une
débandade politique et morale.
Sans reprendre ici toute l'histoire du Hamas depuis sa prise de
pouvoir il y a seize ans dans la bande de Gaza, il faut avoir
à l'esprit que bien des Gazaouis ne portaient pas cette
organisation dans leur cœur. Ils ont subi son régime
particulièrement autoritaire et obscurantiste, avec
emprisonnements et sévices contre ses opposants.
Il est de notoriété publique que les dirigeants du
Hamas sont riches, corrompus, détournent une bonne partie
des impôts des habitants et de l'argent versé par
l'Union européenne, le Qatar et Israël, argent
censé améliorer leurs conditions de vie et les
infrastructures. Les comptes à l'étranger des
hommes du Hamas sont bien remplis. À plusieurs reprises et
encore récemment en juillet dernier, des manifestations
contre les pénuries et les longues coupures de courant ont
été rudement réprimées par la police
du Hamas.
Le pouvoir du Hamas commençait à être
fragilisé. Le Djihad islamique le concurrençait de
plus en plus comme plus offensif contre Israël. Les parrains
du Hamas en Iran, eux-mêmes fragilisés par de
puissantes manifestations depuis un an contre leur dictature,
risquaient d'être plus réticents à leur
fournir armes et argent. D'autre part la République
islamique d'Iran voyait d'un mauvais œil la normalisation
en cours des relations entre Israël et les pays arabes, au
premier chef, l'Arabie saoudite (un État au mieux avec
Macron et les marchands d'armes français). Se servir du
Hamas pour saborder cet accord n'était pas de refus pour
Téhéran.
Le Hamas avait donc besoin de retrouver sa
crédibilité auprès des Palestiniens et
auprès de l'Iran par une opération de grand style
conforme, soit dit en passant, à son orientation
affichée de toujours : lutter pour la destruction de
l'État israélien (et donc des Juifs
israéliens) et instaurer sur l'ensemble des Palestiniens
de Gaza et de Cisjordanie une dictature religieuse sur le
modèle de celle des mollahs en Iran.
C'est en ayant à l'esprit ces
éléments-là qu'on peut comprendre la nature
de la vaste opération menée par les soldats du
Hamas en territoire israélien le 7 octobre.
L'opération militaire consistant à détruire
les murs et les barrières et à occuper les postes
militaires a été un franc succès. À
ce stade, on ne voit rien à redire. Gilbert Achcar s'est
réjoui de cette victoire de David contre Goliath, sans
vouloir entendre parler d'autre chose.
Mais le Hamas, comme on sait, ne s'en est pas tenu à ce
brillant succès ruinant la prétention du
gouvernement israélien à avoir mis une sorte de
ligne Maginot à toute épreuve pour protéger
ses citoyens. Les soldats du Hamas se sont livrés à
une multitude de pogroms. Ils ont massacré
posément, méthodiquement (pas du tout dans
l'affolement d'une opération tournant mal) environ 1400
personnes de tous âges, des jeunes faisant la fête,
des femmes, des bébés. Ils ont pris le temps de les
pourchasser partout où ils et elles essayaient de sauver
leur vie. Le détail des exactions commises est à
vomir. Ils ont agi efficacement en génocidaires avec en
plus les moyens vidéos exhibant leurs viols, leurs
tortures et leurs massacres pour que les familles
concernées et les médias dans le monde entier
sachent bien de quels exploits ils sont capables.
Trop de rédacteurs dans la gauche radicale,
féministe et anticapitaliste ont cherché à
esquiver ces aspects effroyables des pogroms
perpétrés par le Hamas. Bien sûr, ils ont
condamné les « crimes de guerre », ils ont
tenu à préciser que leur stratégie
n'était pas celle du Hamas, mais la nature
spécifiquement barbare de toute cette entreprise, ils ont
cru qu'il ne fallait pas trop y insister, par solidarité
avec le peuple palestinien et au regard des crimes sans nombre
commis par l'État israélien, son armée et
ses services secrets depuis des décennies. Mauvais
raisonnement, mauvais calcul qui ne sert pas la cause du peuple
palestinien, au contraire.
Car tout bien considéré, affirmer que le Hamas est
une organisation politique qui représente le peuple
palestinien est une calomnie à l'égard du peuple
palestinien. C'est laisser entendre que tous les Palestiniens et
Palestiniennes approuvent les actes monstrueux accomplis par le
Hamas le 7 octobre.
L'IMAGINAIRE INTERNATIONALISTE
Nous sommes menacés par une défaite intellectuelle
et morale sous la pression de nos adversaires et de nos faux
amis. La menace ne date pas d'aujourd'hui mais se fait plus
insistante. Où en est-on dans cette affaire avec les beaux
développements sur le féminisme et
l'émancipation par en bas ? Doit-on mettre entre
parenthèses notre conviction de ne pas laisser des chefs
d'État et des chefs de guerre décider de faire la
guerre (ou une paix conforme à leurs
intérêts) au-dessus de nos têtes ?
Une orientation internationaliste, humaine, ne respectant aucune
frontière mais considérant l'Autre comme un
allié possible du fait de notre part d'humanité
commune à toutes et à tous est-elle encore possible
?
Il faut pour cela dépasser les faiblesses politiques
héritées du siècle dernier.
L'internationalisme est trop souvent conçu seulement comme
une forme de solidarité à un peuple, et trop
fréquemment à un mouvement se présentant
comme le porte-parole des intérêts d'un peuple.
À partir de cette approche étroite, on se voit
contraint de cautionner avec plus ou moins de réserves la
politique et les agissements du mouvement en question. Le
critiquer ouvertement et proposer une orientation politique
différente et des pratiques différentes expose au
soupçon d'affaiblir le mouvement et de faire le jeu de
l'adversaire.
Par ailleurs, certains groupes conçoivent
l'internationalisme, non pas comme un soutien suiviste à
un mouvement nationaliste, mais comme une possibilité dans
un avenir nébuleux à ce que les peuples pris dans
un conflit finissent un jour par fraterniser avec l'aide
décisive de la classe ouvrière de chaque pays
devenues conscientes on ne sait trop comment. C'est
l'internationalisme des bonnes paroles, des vœux pieux
concluant les éditoriaux. Ça ne mange pas de pain.
Ça n'oblige pas à prendre la moindre initiative.
C'est juste la petite piqûre de rappel aux lecteurs comme
quoi on est toujours fidèle à «
l'internationalisme prolétarien de nos aînés
».
Un autre internationalisme est possible, fondé sur le
courage et la générosité d'hommes et de
femmes qui se considèrent spontanément comme des
égaux et des alliés contre la barbarie. Pendant le
pogrom du Hamas, de tels actes ont eu lieu, un Palestinien
sauvant des Juifs dans son véhicule, un couple de vieilles
personnes dissuadant des soldats de les tuer en soignant la
blessure de l'un et en leur proposant du café, etc. Ce
sont des cas qui ne sont pas si rares bien que fort peu
médiatisés, où la reconnaissance mutuelle de
la part humaine de chacun renverse les barrières du
racisme et du nationalisme. L'internationalisme est et sera une
politique spontanée et consciemment voulue de
fraternisation.
Imaginons un instant une organisation humaine franchissant les
murs et barrières de Gaza, soucieuse de se trouver des
alliés à la cause des Palestiniens. Au lieu de
massacrer, martyriser ou prendre en otages les jeunes faisant la
fête ou les gens menant leurs activité dans leur
kibboutz, ils se seraient adressés à eux
directement, par tracts, par mégaphones, par mails, en les
mettant devant leurs responsabilités, en mettant en
évidence combien tout le monde gagnerait à une paix
juste, en particulier leurs enfants. Les militants d'une telle
organisation leur auraient dit combien il est plus digne que les
uns ne soient plus des prisonniers dans un ghetto à ciel
ouvert et les autres des gardiens éternellement
angoissés de cette prison infernale. Les femmes et hommes
israéliens militant pour la paix et les jeunes
fêtards dénués de préjugés
identitaires auraient très bien compris une telle
intervention et l'aurait relayée. Gageons qu'avec une
telle intervention, le rapport des forces en faveur des
Palestiniens serait aujourd'hui tout autre et son retentissement
mondial considérable.
Il nous faut imaginer un internationalisme concret et efficace,
par en bas, sans formules creuses, pour nous sortir par le haut
du gâchis actuel.
Bien fraternellement à toutes et à tous,
José Chatroussat
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