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Journal de notre bord
Lettre no 192 (le 22 janvier 2023)
Bonsoir à toutes et à tous,
Quand les bonnes surprises sont rares, il faut d'autant plus les
apprécier et en espérer d'autres.
L'avenir et les possibilités du mouvement actuel en France
ne s'évaluent pas seulement au nombre des participants,
bien que cette donnée soit de première importance.
Sur le visage réjoui des participants aux manifestations
dans toutes les villes du pays, pouvaient se lire le soulagement,
la bonne surprise d'être aussi nombreux, toutes
générations et tous métiers confondus. Cette
atmosphère de calme fraternité donnait le sentiment
que nous disposons d'une force collective, d'une capacité
d'initiative que nous ne soupçonnions pas.
Tout en évaluant les difficultés pour
réussir à faire reculer le pouvoir, bien des
manifestants se donnent déjà rendez-vous dans la
rue pour le 31 janvier et envisagent bien des actions et des
rencontres d'ici-là et au-delà de cette date.
Si l'unité des centrales syndicales a contribué
à ce premier succès, il ne faut pas perdre de vue
qu'elle a été largement provoquée par les
mouvements de grève autonomes des mois
précédents, notamment ceux des salariés des
raffineries et des contrôleurs de la SNCF. Chacun d'entre
nous a et aura à jouer un rôle dans ce mouvement qui
n'est pas banal et réductible aux mouvements
antérieurs en 1995, 2003, 2010 et 2019.
Le mouvement actuel fera date car il va se développer de
façon imprévisible dans un contexte infiniment plus
dégradé sur tous les plans. Il peut marquer des
points, subir des échecs, s'éteindre ou
s'intensifier dans quelques semaines. Il pose des questions qui
vont bien au-delà de celle des retraites.
La contre-réforme des retraites que Macron s'acharne
à vouloir faire passer est une attaque de plus pour briser
le moral et les capacités de résistance des
salariés et des classes populaires en vue d'agressions
encore plus brutales. Le président actuel, droit pour
l'instant dans ses bottines de luxe, aurait pu se contenter de
laisser en place la contre-réforme des retraites
conçue par la ministre des affaires sociales Marisol
Touraine sous le mandat du président socialiste
François Hollande. Comme l'oubli des méfaits
passés des gouvernants de gauche est une tradition encore
trop ancrée, il n'est peut-être pas inutile de
signaler aux plus jeunes manifestants et grévistes que
Macron a été ministre de l'économie sous
François Hollande. À ce titre, il avait
consciencieusement détruit une bonne partie du Code du
travail et par voie de conséquence, les
possibilités pour les salariés de se
défendre face au patronat.
Pourquoi en rajouter se demandent même certains
commentateurs, inquiets de l'excès de zèle de
Macron ? L'ex-recrue de la commission Attali a bien
mérité du Medef et du cercle des milliardaires pour
en finir avec « les rigidités » de la
société française. Il a bien
contribué ces derniers mois à rendre la condition
des chômeurs intenable sans provoquer de grands remous. Le
renflouement par l'État des grands groupes est permanent.
Les opportunités de fuite fiscale sont parfaitement
huilées.
Alors ? Alors ils doivent bien rire les milliardaires qui
fréquentent à longueur de temps le premier
aéroport d'affaires en Europe au Bourget lorsqu'ils
entendent Macron, Élisabeth Borne, Bruno Lemaire et
compagnie parler d'équilibre des caisses de retraite, de
transition écologique, d'énergies renouvelables, de
sobriété… Leurs jets sillonnent l'hexagone
et la planète sans anicroches. Que les manants se serrent
la ceinture, baissent leur chauffage et crèvent au
travail, en EPHAD ou dans la rue.
Il se pourrait que le rire change de camp et qu'un grand
mouvement d'indignation joyeuse et inexorable reprenne
l'initiative dans toute la société. Car ce n'est
pas seulement la question des retraites qui est explosive. La
hausse des prix prend à la gorge de plus en plus de gens.
Le délabrement du système hospitalier prend des
proportions sidérantes, monstrueuses.
Toutes les mesures rétrogrades et bureaucratiques dans
l'Éducation nationale dégoûtent les
enseignants. Elles visent à tuer dans l'œuf les
capacités créatives et imaginatives des enfants,
à stériliser des ressources qui pourraient
développer leur curiosité et leur esprit critique.
Dans tous les secteurs de la société, de plus en
plus de gens décrochent, tombent malades ou passent, quand
ils et elles le peuvent, à une activité moins
absurde, moins épuisante, plus utile humainement.
À quoi bon travailler pour finalement ne pas atteindre la
date d'une retraite qui recule au fil des « réformes » ?
À quoi bon être en retraite sans moyens
matériels décents et dans un état de
déchéance matérielle et morale ? À
quoi bon vivre si on ne peut pas vivre dignement, en assez bonne
santé et finalement heureux au sein de la
collectivité sociale ?
La critique du travail (ce travail abstrait qui permet au capital
de prospérer aux dépens des vivants et du vivant) a
été analysé depuis longtemps et sous
différents angles par une poignée de penseurs.
À présent, c'est à une critique en actes du
travail pour le profit, à la critique d'un monde barbare
fondé sur la marchandisation de tout ce qui existe
à laquelle nous commençons à assister.
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LA RÉVOLUTION À BERLIN, VIENNE,
BUDAPEST, MUNICH
KNOW WHAT I MEAN ?
HOMMAGE À NOTRE AMI WILLI HAJEK
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LA RÉVOLUTION À BERLIN, VIENNE,
BUDAPEST, MUNICH
Pour échapper aux interprétations convenues et
schématiques des grandes révolutions qui ont
marqué l'humanité depuis trois siècles, il
est important de repérer celles qui n'ont pas eu la faveur
des idéologues.
Le livre récent de l'historien Jean-Numa Ducange, « La
république ensanglantée, Berlin, Vienne : aux
sources du nazisme » (éd Armand Colin) apporte de nombreux
éléments peu connus ou ignorés sur la vague
révolutionnaire qui a failli vaincre l'ordre établi
et tous ses dispositifs en Europe centrale, entre 1918 et
1923.
Nous aurons l'occasion de revenir sur cet ouvrage nous donnant
accès à des expériences de démocratie
« par en bas » du plus grand intérêt et sur des
épisodes qu'il faut connaître pour comprendre mieux
et autrement la catastrophe de 1933 avec l'arrivée des
nazis au pouvoir.
KNOW WHAT I MEAN ?
« Know What I Mean ? Réflexions sur le hip-hop
» de Michael Eric Dyson (éd bpm) est un livre
traduit de l'anglais (États-Unis) par Doroteja Gajic et
Julien Bordier. Ce livre publié initialement en 2007
comble une lacune car Dyson est un intellectuel
noir-américain et un pasteur progressiste, qui propose une
analyse pointue et nuancée du phénomène
hip-hop dans toute son évolution et ses
contradictions.
Le livre se présente sous la forme d'une série
d'entretiens encadrés par une introduction d'une figure
importante du hip-hop, Jay-Z, et un texte final d'un autre
artiste non moins important, Nas. Ces deux artistes
représentent la forme initiale la plus consciente voire
contestataire du rap.
Même si le rap ne correspond pas à votre goût
esthétique, cette analyse de Dyson vous intéressera
car elle aborde cette forme d'expression venant des quartiers
noirs déshérités de New York dans toutes ses
dimensions politiques et sociales. Ici, il n'est question ni de
rejeter ni d'adorer le hip-hop, mais de comprendre comment et
pourquoi il a émergé au début des
années 1980 pour, aujourd'hui, finir par être
adopté et adapté par des jeunes dans de nombreux
pays.
Dyson argumente avec vigueur contre les critiques moralistes,
malveillantes, racistes ou élitistes à
l'égard du rap. Du reste, il met bien en lumière la
diversité et la complexité des paroles des
meilleurs artistes du hip-hop. Mais il n'a aucune complaisance
à l'égard des formes les plus odieuses, valorisant
le machisme, le sexisme et la violence. Dyson nous donne
même des clefs pour comprendre le gangsta rap et le rap
bling-bling, dans le cadre de l'histoire lointaine et
récente de la société capitaliste
américaine.
HOMMAGE À NOTRE AMI WILLI HAJEK
« Alors José, tu écris bientôt une
lettre pour le journal de notre bord ? ». C'est avec une
gentillesse un peu malicieuse que mon ami Willi Hajek n'aurait
pas manqué de me poser la question au
téléphone et d'échanger longuement sur
l'état de la mobilisation dans nos régions
respectives et sur les perspectives de la lutte. Cette lettre, je
la termine le cœur serré car Willi est
décédé le 3 octobre dernier à
l'âge de 76 ans.
En France et en Allemagne, ses amis et ses camarades ont rendu
plusieurs hommages au militant syndicaliste, internationaliste,
traducteur et passeur d'idées émancipatrices. Des
textes et témoignages sur Willi se trouvent sur Internet
ainsi qu'une notice biographique du dictionnaire Maitron.
J'ai connu Willi en 2004 lors d'une réunion de
Carré rouge où il était venu nous
présenter de façon précise les enjeux des
luttes en ex-RDA. Nous nous sommes vus en maintes occasions et en
bien des endroits.
Son dévouement était sans limite. Par exemple,
c'est en grande partie grâce à lui que la
caissière Emmely, qui avait été
licenciée sous un prétexte scandaleux, a finalement
eu gain de cause après une campagne longue et
obstinée.
La curiosité intellectuelle de Willi, sa
générosité et sa délicatesse dans les
relations humaines étaient appréciées par
tous les amis et camarades qui l'ont connu. Je pense en
particulier au regretté Patrick Choupaut qui se
considérait comme un communiste libertaire.
Ma dernière rencontre avec Willi a eu lieu à
Montreuil en mai dernier, sous le signe de la Commune de Paris
qu'il m'avait invité à présenter à un
groupe de ses camarades. Il appréciait
particulièrement les révolutionnaires
internationaux non-autoritaires comme Leo Frankel, Victorine
Brocher, Eugène Varlin ou Gustave Lefrançais.
Je souscris à ce que deux amis m'ont écrit lorsque
je leur ai annoncé la disparition de Willi :
« Il a semé des graines. On les fera pousser.
»
Bien fraternellement et bonne année à toutes et
à tous !
José Chatroussat
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