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Journal de notre bord

Lettre no 190 (le 10 mars 2022)

Bonsoir à toutes et à tous,

La guerre menée par Poutine est abjecte et doit être condamnée comme telle sans réserve. L'État militaro-policier russe n'en est pas à sa première guerre contre un peuple. Ses guerres antérieures, en Afghanistan au temps de l'URSS, en Tchétchénie à deux reprises, en Géorgie, en Syrie, en Ukraine depuis 2014 et récemment au Kazakhstan, ont toutes été ignobles et injustifiables. Mais cette nouvelle guerre va provoquer des désastres allant bien au-delà de la sphère d'intervention de l'armée russe et des intérêts des oligarques.
C'est le monde capitaliste global dans lequel nous vivons qui révèle actuellement toutes ses failles, toute sa pourriture. Il nous jette des défis majeurs auxquels nous ne pourrons pas nous dérober.

Nous sommes effarés devant nos écrans en voyant ce que subit la population ukrainienne. Nous ne pourrons pas durablement être seulement spectateurs ou commentateurs. Nous ne pourrons pas nous contenter de dénoncer, d'asséner des slogans qui finiraient par avoir pour seule fonction d'éviter de comprendre la situation dans son urgence, sa complexité et sa nouveauté.

Bien des hommes et des femmes sensibles à la détresse d'autres êtres humains ont compris spontanément, à leur façon, la gravité de la situation en apportant une aide concrète aux victimes de cette guerre.

Le devoir qui s'impose à nous, avant toute autre considération, est de manifester par nos écrits et par nos actes notre solidarité avec les opposants russes au régime militaro-policier de Poutine et avec le peuple ukrainien qui lutte contre ce même ennemi pour vivre libre et en paix.

Nous n'avons à placer notre confiance dans aucun gouvernement, aucun État, y compris ceux qui prétendent agir pour le bien du peuple ukrainien. Ils sont avant tout soucieux de sauver leur réputation de « démocrates », leurs intérêts et ceux des grands groupes capitalistes. Ils cherchent à embrigader les esprits pour nous entraîner dans diverses guerres économiques et militaires qui seraient tout aussi monstrueuses que celles de Poutine et sa bande de maffieux. Notre confiance va aux mères de famille, aux travailleurs, aux étudiants, aux artistes, à toutes celles et ceux qui résistent vaillamment contre les massacreurs et les oppresseurs en Ukraine et en Russie. Et si nous avons confiance en nous-mêmes, collectivement, nous trouverons les mots et les actions efficaces pour faire barrage à toute cette entreprise barbare qui en annonce d'autres.
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POURQUOI POUTINE A-T-IL DÉCLENCHÉ CETTE GUERRE ?
PARTICULARITÉS DE L'IMPÉRIALISME RUSSE
POINT DE RUPTURE ENTRE LES GRANDES PUISSANCES ?
QUELLES CONSÉQUENCES POUR L'HUMANITÉ ?
QUE POUVONS-NOUS FAIRE ?
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POURQUOI POUTINE A-T-IL DÉCLENCHÉ CETTE GUERRE ?
Cette guerre de Poutine sera peut-être la guerre de trop qui entraînera la chute de son régime. Mais pourquoi l'a-t-il déclenchée ? Il n'est pas facile de répondre de façon satisfaisante à cette question. Je ne vais ici proposer que quelques éléments pour alimenter une réflexion collective.

Devant l'aberration de l'invasion de l'Ukraine, beaucoup de gens ont pensé que Poutine était un malade mental, un fou furieux. Cette donnée n'est pas à négliger, même si elle est très insuffisante pour comprendre les raisons de cette guerre. Cela nous renvoie à une autre question. Quel type de folie explique le comportement de Poutine ?
Tout individu exerçant un pouvoir important, à la tête d'une institution, d'un parti, d'une entreprise ou a fortiori d'un État puissant, a nécessairement le profil d'une personnalité autoritaire, plus ou moins paranoïaque.

Les embardées langagières, les impulsions contradictoires et les revirements brusques d'un Macron n'écoutant que lui-même et accueillant en grande pompe un Trump et un Poutine dans les premiers mois de son mandat indiquent que le régime présidentiel français glisse de plus en plus depuis l'élection de Sarkozy vers un régime autoritaire réduisant de plus en plus les libertés démocratiques.
La rapidité et la brutalité de la décision d'un homme d'État impressionnent et magnifient auprès des esprits faibles ou peu critiques celui qui la prend. On voit bien qu'un chef d'État comme Macron, ou naguère un George W. Bush ou un Tony Blair, éprouve une jouissance typiquement machiste à endosser les habits de chef de guerre.

La démence autoritaire n'est pas l'apanage de Poutine, même si elle a pris chez lui une forme aiguë. Elle est l'expression logique d'un système de domination et d'exploitation des êtres humains et de la nature qu'on appelle communément le capitalisme. Ce système délirant est en crise. Il ne se survit qu'au travers des crises qui font émerger de plus en plus des chefs d'État et des chefs de mouvements politiques autoritaires, mégalomanes, se présentant comme des sauveurs et prêts à travestir grossièrement les faits et à employer les moyens les plus violents sans aucun scrupule.

Il n'est donc pas faux de dire que Poutine est un fou dangereux à condition de le considérer comme un produit logique de la folie du système capitaliste au même titre que ces autres produits que sont Jair Bolsonaro, Narendra Modi, Xi Jinping, Orban, Erdogan, Duterte, Daniel Ortega, Bachar Al-Assad, Fattah al-Sissi, Mohammed Ben Salmane… pour n'en citer que quelques-uns.


PARTICULARITÉS DE L'IMPÉRIALISME RUSSE
Comparé aux impérialismes occidentaux, l'État russe est une puissance impérialiste comportant des caractéristiques particulières. L'éclatement de l'URSS à partir de 1991 a entraîné des changements économiques et sociaux radicaux sans pour autant changer la nature profonde de l'appareil d'État. Après la démission en 1999 de Boris Eltsine à la tête de la Fédération de Russie, Poutine est parvenu à restaurer progressivement un régime autocratique qui s'est intégré au fonctionnement du capitalisme mondialisé, sur le plan des échanges marchands comme sur celui celui des relations avec les autres puissances impérialistes. La Russie a rejoint l'OMC et bien d'autres instances et réunions internationales où on débat entre « grands » de l'avenir du monde.

La couche dirigeante est constituée d'anciens bureaucrates et de nouveaux riches qui ont profité de la décomposition de l'URSS pour s'emparer des richesses de la Russie. Ils ont pu compter sur l'État et ses relais régionaux pour privatiser les entreprises, « monétiser » tous les secteurs de la vie sociale, en bref, profiter des vagues de licenciements, d'expropriation d'habitants, de privatisation de biens jusqu'alors communs. Cette « accumulation primitive » sauvage n'a pas débouché, sauf dans quelques secteurs comme l'énergie, sur un capitalisme productif cherchant à être compétitif et à conquérir des marchés. Les oligarques se sont contentés de piller les richesses et de s'enrichir dans la vente du gaz, du pétrole, des métaux rares, du blé et de l'armement. Ils ont paupérisé les classes populaires et brisé leurs résistances multiples jusqu'en 2010. Par contre, une petite bourgeoisie consommatrice « à l'occidentale » s'est constituée et a pu renforcer le pouvoir de Poutine, ne serait-ce que par sa passivité, à quelques exceptions notables dans le secteur de la culture et des médias indépendants.

Le régime a laissé s'implanter avec plaisir (et de bons profits à la clef) de nombreuses entreprises américaines et européennes. Des deux côtés, tout le monde y a trouvé son compte. Les exportations d'hydrocarbures essentiellement vers l'Union européenne, représentent 40% des recettes budgétaires de la Russie. Toutes sortes d'anciens gouvernants européens comme Schröder ou Fillon se sont glissés à la direction de grands groupes énergétiques.
Les oligarques ont mis leurs fortunes dans les paradis fiscaux et prenaient du bon temps dans leurs palaces et luxueuses demeures à Londres, Courchevel et Monaco. Les immigrés russes investissant le littoral de la Côte d'Azur n'ont pas été importunés sur leurs yachts par la police française, mis dans des camps de rétention et réexpédiés sous bonne garde à Moscou. L'argent accomplit des miracles.

Alors pourquoi gâcher tout ce fructueux partenariat par une guerre importune contre l'Ukraine ? C'est ce que bien des analystes et dirigeants de grands groupes bancaires, industriels ou commerciaux implantés en Russie ou exportant vers le marché russe ont bien du mal à comprendre.


POINT DE RUPTURE ENTRE LES GRANDES PUISSANCES ?
Certains experts en géopolitique marxiste ont trouvé une explication à l'invasion de l'Ukraine par les troupes de Poutine. Depuis trente ans, l'OTAN a trahi tous ses engagements à l'égard de la Russie et n'a pas cessé de multiplier ses manœuvres d'encerclement et de renforcer un dispositif militaire tourné contre elle. Poutine se serait donc senti humilié et menacé. Cette version vise à créer une sorte d'équivalence dans les responsabilités dans la guerre actuelle entre le maître du Kremlin et les dirigeants des puissances de l'OTAN, en premier lieu les États-Unis.

Cette grille de lecture est trop simpliste et ne colle pas avec tous les éléments de partenariat en bonne entente sur le plan économique évoqués ci-dessus. Elle ne tient pas compte non plus des interventions guerrières de la Russie qui non seulement n'ont pas déplu aux autres impérialismes, mais dans le cas de son intervention militaire en Syrie, ont consolidé l'ordre capitaliste mondial. En sauvant la dictature de Bachar al-Assad par ses bombardements en particulier sur Alep, Poutine a fortement contribué à briser la révolution populaire démocratique qui avait commencé en Syrie au printemps 2011. Obama et les autres dirigeants des puissances de l'OTAN l'ont laissé faire le sale boulot.
C'est avec un mélange de tristesse et de colère que j'ai lu depuis deux semaines bon nombre d'éditoriaux et d'articles d'auteurs se réclamant du marxisme révolutionnaire qui ne mentionnent même pas l'intervention contre-révolutionnaire de Poutine aux côtés du dictateur syrien. Camarades, encore un effort pour être internationalistes et exprimer votre solidarité aux Syriennes et aux Syriens révolutionnaires qui ont survécu aux massacres mis en œuvre par Bachar al-Assad et son ami Poutine !

Cela dit, il est incontestable que les grandes puissances occidentales ont profité de l'effondrement de l'URSS pour intégrer à l'OTAN et à l'Union européenne une série de pays ex-soviétiques. Depuis vingt ans, dès qu'un mouvement de contestation de l'emprise de l'État russe est survenu dans un pays de son glacis, comme en Géorgie ou en Ukraine, l'OTAN et l'Union européenne ont répondu présents et ont tenté d'attirer ces pays dans leur giron ; et donc d'affaiblir l'État russe.

Poutine, qui avait contribué à faire élire Trump en influençant une partie de l'électorat américain sur les réseaux sociaux, a cru découvrir en Joe Biden quelqu'un de faible, à la tête d'une puissance déclinante obligée de quitter précipitamment l'Afghanistan dans des conditions désastreuses pour la population de ce pays et tout particulièrement les femmes. D'un autre côté, Biden s'est révélé être un dirigeant beaucoup plus belliciste que Trump à l'égard de la Russie, et qui a effectivement musclé au printemps de l'année dernière la présence des troupes de l'OTAN en périphérie de la zone d'influence russe.

Assis sur un confortable matelas de devises que lui procure la vente de gaz, de pétrole, de produits comme le palladium, le titane, l'uranium, le nickel et d'autres indispensables pour certaines entreprises occidentales, Poutine a donc cru pouvoir se lancer dans l'aventure d'annexer l'Ukraine, voire ultérieurement la Moldavie et d'autres territoires. Il ne pouvait pas, dans sa tête d'autocrate, prévoir la résistance du peuple ukrainien ni le refus des États occidentaux de fermer les yeux comme ils l'avaient fait lors de l'annexion de la Crimée.


QUELLES CONSÉQUENCES POUR L'HUMANITÉ ?
Quatre grands ensembles sont impliqués : les États-Unis, l'Union européenne, la Chine et la Russie. L'attitude de la Chine sera déterminante dans la suite des événements. Poutine est un trouble-fête au moment où l'économie mondiale a été fragilisée par la pandémie depuis deux ans et où la logistique entre la Chine et le reste de ses clients dans le monde a quelques faiblesses.

Cependant, l'État chinois se prépare également à une confrontation avec les États-Unis et leurs alliés aussi bien économiquement que militairement. « Les chemins de la soie » que le capitalisme chinois est en train de déployer en Eurasie et en Afrique devraient plus clairement s'appeler « les chemins du boa constricteur ». La Chine a augmenté son budget militaire dans des proportions considérables. Elle n'a pas caché ses visées d'annexion un jour de Taïwan. L'OTAN a renforcé son dispositif en Asie via l'Australie en particulier. Chacun montre ses muscles pour l'instant.

Si Poutine tient le choc dans ses projets annexionnistes et contribue à affaiblir la puissance des rivaux occidentaux de la Chine, on ne peut pas exclure qu'une alliance Chine-Russie se renforce.

Tous les scénarios sont dans les cartons comme on dit. Mais il est des conséquences déjà palpables à ce début de séisme provoqué par la guerre en Ukraine, qui s'ajoute à d'autres secousses dans les fondations du capitalisme mondial. L'inflation qu'on nous annonçait passagère début janvier devient galopante. Des faillites en cascades et des vagues de licenciements massifs sont probables dans de nombreux pays. Bien des marchés vont fondre plus rapidement que les glaciers. Les pénuries de denrées vitales vont affecter de nombreuses populations.

Même en intensifiant le degré d'exploitation de la force de travail de centaines de millions de travailleurs, le capital ne parviendra pas à faire face dans son processus de reproduction à la menace d'une explosion de l'accumulation de dettes qui n'a fait que croître avec les mesures prises pendant la pandémie du Covid pour sauver les plus grosses entreprises.

Crise écologique terrifiante, crise de la monnaie, crise de l'endettement, crises politiques et sociales réprimées férocement et conflits guerriers de grande ampleur. Voilà ce que « la mondialisation heureuse » du capital réserve au menu de l'humanité.


QUE POUVONS-NOUS FAIRE ?
Les raisons d'espérer résident dans notre capacité dans tous les pays à multiplier les initiatives contre les fauteurs de guerre, ceux qui se sont enrichis grâce à Poutine et son gang. Les élans de générosité envers le peuple ukrainien et le soutien au moins moral pour l'instant aux opposants russes montrent qu'on peut, qu'on doit concrètement abolir les frontières et les clivages entre les individus, les communautés, les peuples et les cultures.

Des collectifs commencent à se mettre en place dans plusieurs pays. Des propositions de manifestations et de boycott s'élaborent. Il faut rompre l'isolement et les préjugés en faisant connaître les actions et les pensées des autres. À titre d'exemple, je recommande de faire très largement connaître le « Manifeste des féministes russes contre la guerre » du 27 février dernier, qui se trouve sur divers sites dont celui de Presse-toi à gauche et alencontre.org.

Nous aussi sommes dans un processus de fuite en avant, un processus internationaliste d'entraide contre la guerre et tous les fauteurs de guerre, un processus de luttes multiples pour sauver l'espèce humaine qui se trouve au bord du précipice.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

José Chatroussat

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