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Journal de notre bord

Lettre no 188 (le 31 janvier 2021)

Bonsoir à toutes et à tous,

Nous allons probablement être à nouveau confinés dans
quelques jours. Cela n'a rien d'agréable pour personne
et cela aura des conséquences graves pour beaucoup de gens
et en particulier les jeunes.

Commençons néanmoins par une digression hors de nos
frontières. Il y a en ce moment dans le monde des millions
de gens qui sont enfermés de longue date et pour longtemps,
indépendamment de l'épidémie actuelle. Des millions
d'hommes et de femmes croupissent dans des prisons ou des
camps pour des raisons politiques, comme en Syrie, en
Égypte, en Tunisie, en Iran, en Turquie, en Biélorussie,
en Russie ou en Chine. La liste des pays concernés est en
fait beaucoup plus longue.

D'autre part, bien des personnes ont été condamnées
dans le monde à de lourdes peines d'emprisonnement pour
de petits délits fictifs ou réels, comme la consommation
de drogues ou un vol de peu d'importance. C'est
notamment le cas de nombreux Noirs aux États-Unis, mais
aussi de jeunes arrêtés au faciès dans la plupart des
États occidentaux qui se targuent de ne pas être racistes.
Ajoutons à cela que nombre d'hommes qui ont commis des
actes criminels devraient avoir leur place ailleurs qu'en
prison, en ayant un suivi psychologique et social, voire en
recevant des soins d'ordre psychiatrique.

À cela s'ajoutent quelques millions de femmes qui, dans
certains pays musulmans, sont perpétuellement confinées
dans l'espace familial du fait des interdits d'un ordre
patriarcal et religieux impitoyable et rétrograde.
Songeons aussi aux dizaines de millions d'hommes, de femmes
et d'enfants qui vivent depuis des années dans des camps de
réfugiés, de migrants ou dans des territoires occupés
militairement où les conditions d'existence sont
inhumaines.

Décidément, il y a différents types de « confinement ».
Ceux que je viens d'évoquer sont exposés à
l'arbitraire de gardiens de camps ou de prisons, ou à
l'arbitraire d'hommes violents dans le cadre domestique.
Imagine-t-on ce que cela signifie de viols, de tortures
morales et physiques, d'humiliations de toutes sortes, de
dégradation des rapports humains ?

Ce développement ne vise pas à nous consoler des
conditions malgré tout moins pénibles que nous avons
vécues et que nous allons revivre avec le prochain
confinement. Il vise à nous rappeler que nous faisons
partie d'un ensemble plus vaste qu'on appelle
l'humanité. Et que l'enfermement, l'absence de
liberté et l'impossibilité d'accéder à des biens et
services élémentaires sont le lot d'une importante
partie de celle-ci.
D'une certaine façon, nous sommes partis pour connaître
le sort qui était déjà réservé à des dizaines de
millions d'êtres humains dans le « monde d'hier », et
qui sera celui de nous tous demain si nous sommes incapables
de le changer.
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CONSÉQUENCES DES RÉVOLUTIONS IGNORÉES ET BRISÉES
DE LA DÉMOCRATIE EN PANDÉMIE
AVIS DE TEMPÊTE
UNE SÉRIE ANGLAISE PASSIONNANTE
IN SITU
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CONSÉQUENCES DES RÉVOLUTIONS IGNORÉES ET BRISÉES
Il faut faire un retour en arrière d'au moins dix ans
pour comprendre pourquoi des millions de gens sont
emprisonnés, claustrés, au désespoir et dans la plus
grande misère. Et pourquoi, par voie de conséquence, nous
qui vivons dans un pays riche et impérialiste comme la
France, nous risquons dans l'avenir de connaître des
phases de confinement sévères, des périodes de
prostration, de dépression, de chômage et d'exploitation
inouïe, y compris derrière les écrans de nos ordinateurs.

Car il ne suffit pas de retourner un an en arrière à Wuhan
pour comprendre les causes de la catastrophe sociale qui
s'étale dans le monde entier, qui assombrit pour
longtemps l'avenir de l'humanité et compromet
l'existence de tout ce qui est vivant sur notre planète.
Ce serait, qu'on le veuille ou non, attribuer un rôle
excessif à l'épidémie du Covid et exonérer les classes
dirigeantes de leurs responsabilités depuis des décennies.

Les peuples du Moyen-Orient et du Maghreb se sont soulevés
en 2011 contre leurs régimes dictatoriaux et corrompus. Ces
dictatures bénéficiaient d'un appui sans faille de la
part des grandes puissances occidentales, dont la France.
Les soulèvements en Tunisie, en Égypte et en Syrie,
émaillés de manifestations massives et de grèves pendant
des mois, ouvraient la possibilité de changer notablement
la face du monde.

Nous payons chèrement la défaite de ces soulèvements.
L'approche internationaliste des problèmes et des
responsabilités qu'elle suppose a singulièrement
régressé. Cela a contribué à l'oubli et à
l'isolement des révolutions du printemps arabe.

Le bilan actuel de la défaite des soulèvements
émancipateurs dans les pays arabes depuis 2011 est
écrasant. 400 000 Syriens massacrés par Bachar El-Assad
avec l'appui décisif de Poutine. Des millions de Syriens
parqués dans des camps infâmes au Liban et en Turquie, ou
condamnés à un douloureux exil. La prolifération de
groupes fascistes islamistes qui poursuivent leurs pires
méfaits en Irak, en Afghanistan et au Sahel.

Et pourtant, malgré ce bilan terrible, nous avons entendu
dernièrement des témoignages de participants aux
mobilisations d'il y a dix ans en Tunisie, en Égypte et
en Syrie. Ils et elles sont fières d'avoir été acteurs
et actrices de ces révolutions. Ils et elles affirment avec
aplomb que leur révolution est seulement interrompue. Elle
est vivante dans leur tête. Leurs convictions fermes
représentent un exemple et une lueur d'espoir pour nous
tous.

Les révolutions se préparent essentiellement à bas bruit,
avec des idées pertinentes et percutantes qui se partagent
de plus en plus et finissent par avoir la force de
l'évidence. Individuellement et surtout collectivement,
nous pouvons contester des décisions, ne pas obtempérer,
ne pas nous soumettre, boycotter, manifester, faire grève,
pratiquer le dédain, la moquerie, la colère froide (ou
chaude) à l'égard de tous les tenants du système qui
perpétue le capital. Nous disposons encore de multiples
moyens pour ne pas subir et pour renverser l'ordre
établi.


DE LA DÉMOCRATIE EN PANDÉMIE
La situation créée par l'épidémie du Covid-19 a
incité bien des intellectuels, des universitaires ou des
chercheurs à rester prostrés, à tourner autour du pot ou,
pire, à accompagner plus ou moins consciemment la logique
catastrophique d'un pouvoir macronien de plus en plus
autoritaire et qui incarne de façon conséquente et
imperturbable les intérêts des capitalistes.

Barbara Stiegler, professeur de philosophie à
l'université de Bordeaux Montaigne, s'en démarque et
met les pieds dans le plat dans un tract (édité par
Gallimard) ayant pour titre, « De la démocratie en
Pandémie, Santé, Recherche, Éducation ». Ce texte
vigoureux, très précisément informé, est le résultat de
ses conversations avec ses collègues, avec des soignants,
des amis et des proches. Tous les mensonges, les
manipulations de l'opinion, les stupidités et frayeurs de
l'exécutif, toutes les décisions scandaleuses de Macron
et de son équipe de bousilleurs de la santé, de la
recherche, de l'éducation et des libertés démocratiques
sont passés au crible sans ménagement.

Barbara Stiegler utilise abondamment la notion de
démocratie dans un sens positif, non frelaté. Ceci
appellerait une discussion approfondie sur ce qu'elle
entend par démocratie, de même que son emploi du mot
République avec un R majuscule qui fait florès dans les
milieux de gauche et me semble passablement problématique.
Son appel à résister et à produire un savoir digne de ce
nom dans l'espace public s'adresse tout
particulièrement aux milieux universitaires et
académiques. Mais chacun, quel que soit son âge ou sa
position sociale, peut utilement s'emparer de cette
contribution pour nourrir des débats non seulement
nécessaires, mais vitaux.


AVIS DE TEMPÊTE
Le petit recueil de textes de John Holloway, « Avis de
tempête » (éd Libertalia, 77 pages), est aussi un livre
en prise directe avec l'actualité des dix derniers mois
marqué par le coronavirus. Il peut très utilement nourrir
les débats pour essayer de sortir de l'emprise du capital
et le liquider.

Précisons d'abord que John Holloway a gardé toute sa
force d'indignation. Cela fait du bien après tant de
commentaires tièdes ou frileux sur cette crise dont le
Covid-19 n'a été que le détonateur. L'autre point
fort est, qu'avec sa collègue Edith Gonzalez et leurs
étudiants de l'Université autonome de Puebla au Mexique,
il n'a pas inscrit ses cours de sociologie dans un cadre
étroitement national, comme tant d'autres intellectuels
radicaux, mais à l'échelle du monde. Le troisième point
saillant de ce recueil d'interventions est que l'auteur
ne se focalise pas sur une ou deux facettes de la crise
actuelle, mais prend à bras le corps l'ensemble de ses
données les plus fondamentales, historiquement, dans un
style chaleureux et même parfois poétique. Il utilise
brillamment certaines métaphores pour forcer l'opacité
des apparences trompeuses de la réalité.

Au cours de l'année passée, Holloway s'est saisi de
certains événements pour mettre en évidence les enjeux de
cette nouvelle crise, comme le moment de rupture qu'a
représenté le confinement ou encore l'assassinat de
Georges Floyd assassiné par un policier aux États-Unis. Il
montre en détail le rôle des États recourant massivement
à l'endettement. Il met en évidence ce qu'implique la
destruction de la nature, l'intensification de la
surveillance de l'État et le caractère fictif de
l'accumulation du capital.

Son analyse du rôle de plus en plus vertigineux du capital
fictif l'amène à décortiquer les différents scénarios
envisagés par certains pour sauver le système capitaliste.
La perspective catastrophiste apparaissant la plus
vraisemblable, la recherche du profit étant la dynamique
déterminante qui conduit l'humanité vers son extinction,
il nous appartient d'agréger toutes nos colères, tous
nos mouvements d'insubordination pour exploiter les points
faibles du capital, en finir avec lui et pouvoir enfin
respirer.


UNE SÉRIE ANGLAISE PASSIONNANTE
Vous adorez les séries sur Netflix, Apple TV+, Arte ou
Canal+ Séries ? J'en ai une passionnante à vous
conseiller que vous pourrez savourer même si votre
téléviseur est en panne ou que votre connexion est
défectueuse. Le livre relève d'une technologie
incomparable : il ne s'use pas, il s'ouvre et se ferme
à volonté et il ne consomme aucune énergie. Lire de la
bonne littérature est plus que jamais une activité
essentielle, car il nous faut irriguer les subtils réseaux
de notre affectivité et de notre intelligence qui risquent
de s'assécher dans les conditions actuelles, ou de
s'obnubiler sur les sujets que les informations
médiatisées nous imposent.

Je vous recommande donc vivement la « série anglaise »
intitulée « Middlemarch » de George Eliot (1819-1880). On
peut se la procurer dans toutes les bonnes librairies, en
collection de poche folio ou dans la Pléiade où se trouve
un autre magnifique roman de la même auteure, « Le Moulin
sur la Floss » (édité en folio également).

Comme Dickens ou Balzac, cette romancière s'est astreinte
pour raconter cette histoire située vers 1830, dans une
petite ville au sud de Londres, à livrer les chapitres sous
forme de feuilleton.
Pour autant, la composition de cette oeuvre est d'une
cohérence rigoureuse, sans jamais le moindre relâchement
dans l'intérêt qu'elle procure au lecteur au long de
ses 1090 pages. On s'attache très vite aux différents
personnages qui voient leurs espoirs contrariés ou
réalisés, qui subissent des pressions sociales et y
réagissent avec les divers moyens propres à leur
personnalité. Humour empathique, ironie à l'égard des
comportements mesquins, sens de la nature et de la
métaphore poétique, finesse dans la critique des
hiérarchies, de la bigoterie et de l'agitation
politicienne, éloge de la volonté d'accomplir de grandes
choses, « Middlemarch » est une de ces oeuvres majeures
qui donnent à réfléchir au-delà de sa lecture proprement
dite.

George Eliot, par son propre parcours de vie courageux, par
sa vaste culture dans de nombreux domaines (elle avait
traduit Feuerbach et l'Éthique de Spinoza) et par son
oeuvre romanesque qui n'a pas vieilli, a donné, à son
époque, ses lettres de noblesse au féminisme.


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne un point
de vue sur le film de Claude Chabrol, « Madame Bovary »
avec Isabelle Huppert, et un article sur le musicien John
Coltrane à propos de ses concerts en Europe en 1965 qui
déconcertèrent les critiques et le public. Cet article a
été publié initialement sur le blog « Le Jazz est là »
qui reste très actif en dépit des circonstances actuelles.

Bonne année à toutes et à tous,

José Chatroussat

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