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Journal de notre bord

Lettre no 185 (le 22 mars 2020)

Bonsoir à toutes et à tous,

Le livre de Naomi Klein, « La stratégie du choc » sorti
en 2008, avait pour sous-titre « la montée d'un
capitalisme du désastre ». Peut-il exister un autre
capitalisme que celui-là ? Évidemment non. L'actualité
du monde l'illustre amplement.
La catastrophe sanitaire en cours n'a bien sûr pas été
souhaitée par les grandes puissances capitalistes. Elle
impacte les productions, désorganise les réseaux de
logistique, fait chuter la consommation de marchandises et
ébranle tout l'édifice du capital financier. Mais on peut
en revanche se demander si le coronavirus n'est pas arrivé
à point nommé pour régler momentanément quelques
problèmes de fond concernant l'économie mondiale. Il ne
peut qu'inciter les gouvernements qui ont eu à faire face
à des contestations et révoltes ces derniers temps à
renforcer leurs dispositifs de répression et de bourrage de
crâne pour dominer leurs populations.
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UNE CRISE QUI TARDAIT À VENIR ET S'AJOUTE AUX AUTRES
UN TROP PLEIN DE POPULATION ET DE SECTEURS NON RENTABLES
VERS UNE ÉCONOMIE DE GUERRE ?
DÉMANTELER LE CAPITALISME OU PÉRIR
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UNE CRISE QUI TARDAIT À VENIR ET S'AJOUTE AUX AUTRES
Les crises s'enchaînent et leurs effets destructeurs
s'accumulent. Pollution en tout genre, réchauffement
climatique, incendies gigantesques, inondations
dévastatrices, catastrophes industrielles diverses,
massacre depuis neuf ans du peuple syrien, etc. Et à
présent, se surajoute la pandémie du Covid-19.
Il manquait une crise à l'appel qui, étonnamment, avait
été repoussée par divers artifices : la crise du
système financier mondial. La précédente remontait à
2007-2008. Il était inévitable que, pour une raison ou une
autre, une nouvelle crise éclate. En effet, une bulle
spéculative gigantesque s'est rapidement reconstituée et
développée après que les États ont épongé les dégâts
de la crise de 2008 au profit des banques et des grandes
entreprises transnationales.
Les krachs financiers et les crises économiques qui
s'ensuivent sont les modes de régulation « normaux »,
intrinsèques au capitalisme. C'est ce que les savantissimes
Thomas Piketty, Frédéric Lordon et quelques autres qui
voudraient améliorer le capitalisme par des mesures
« raisonnables », pour partager les richesses autrement,
n'ont toujours pas compris et ne comprendront jamais.
Imaginer qu'on puisse se débarrasser du capitalisme
dépasse leur entendement. Ils s'accrochent donc à la
perspective nulle et non avenue d'un impossible retour à
l'État providence.

Partout dans le monde, le capital ne peut pas faire autre
chose que de s'accumuler et d'assurer les conditions de
sa reproduction. Et donc d'exploiter la force de travail
de la majeure partie de l'humanité. Non pas par la seule
volonté démoniaque de quelques gredins à la tête des
États et des grandes entreprises, mais pour dégager une
masse de plus-value, de survaleur, absolument vitale à la
survie du système. Cela fonctionne automatiquement. Les
politiques et mesures étatiques néolibérales et
protectionnistes accompagnent et sécurisent ce processus,
mais elles ne le produisent pas.

Le problème crucial et permanent auquel est confronté le
capital réside dans le fait qu'il ne parvient plus depuis
des décennies à dégager suffisamment de plus-value sur le
dos du prolétariat mondial. Et cela, en dépit de ses
méthodes d'exploitation à la fois féroces et raffinées
qui ont pris une grande ampleur grâce à l'introduction
de l'informatique dans tous les coins et recoins de la
production, de la distribution et de la consommation.
Dans la mesure où le capital ne parvient pas à se nourrir
de suffisamment de valeurs d'échange réelles, il se
nourrit de valeurs fictives, escomptées, dans la sphère
financière spéculative qui a pris une dimension
démesurée. À intervalles irréguliers, le château de
cartes des valeurs fictives, actions et obligations et
autres produits financiers s'écroule et provoque une sorte
d'infarctus dans le circuit de production des valeurs
réelles.

Ces considérations peuvent apparaître arides et sans
intérêt face à nos difficultés actuelles. Cela fait
partie du confinement intellectuel et politique dans lequel
trop de gens cherchent à nous enfermer. En d'autres termes,
on cherche à nous faire rêver d'un retour possible de
« l'État providence ». Ce serait faire preuve d'une
grande naïveté qui nous coûterait cher que de croire
qu'ils (les gouvernants) « vont enfin comprendre » que
désormais il ne faut pas détruire ou affaiblir les
services publics et les protections sociales. Les vibrantes
envolées de Macron à cet égard sont un hommage du vice à
la vertu qui ne manquent pas de sel. Mais cette concession
langagière et temporaire a la même valeur et la même
saveur que les discours lyriques de Sarkozy après la crise
de 2008 mettant en cause « le capitalisme sauvage » ou
ceux de Hollande affirmant que « mon adversaire, c'est le
monde de la finance ».

Non seulement il n'y aura pas de retour à « l'État
providence », mais il faut se préparer à combattre un
État qui nous serrera la vis et la ceinture de façon
encore plus sévère que ces dernières années. Nous devons
plutôt chercher les moyens de nous passer complètement de
l'État qui est une machine aussi nocive qu'incompétente.


UN TROP PLEIN DE POPULATION ET DE SECTEURS NON RENTABLES
Pour comprendre le comportement des gouvernements, leurs
décisions ou leur absence de décisions, il n'est pas
inutile d'examiner ce dont le capital a besoin et ce dont
il peut se passer sans aucun problème, et même en se
portant mieux.
Le système n'a pas besoin qu'autant de gens restent en vie
sur la planète. La pandémie actuelle peut bien tuer
quelques centaines de milliers de personnes, voire de
millions de personnes dans les semaines et les mois à
venir, le capitalisme ne s'en portera que mieux. Parmi les
« inutiles » et ceux qui coûtent trop cher au système,
il y a la population des plus de 70 ans qui, non seulement
ne produisent pas de valeur, mais à qui il faut verser une
retraite ou un minimum social. Que beaucoup de « nos
aînés » disparaissent, ce sera autant d'économisé pour
les caisses de retraite, la Sécurité sociale et les
« dépenses de dingue » en personnel et en matériel
pour les Ehpad. Les jeunes générations récupéreront plus
tôt que prévu leur part d'héritage, ce qui à terme
débloquera une partie de l'épargne de façon bienvenue
pour « relancer l'économie ».
Par ailleurs, ce que certains appellent honteusement « la
question migratoire » trouvera en partie sa solution pour
les États lorsque le virus aura frappé dans tous les pays
les campements et les centres de rétention réservés aux
migrants. D'une manière générale, « les populations
fragiles », les handicapés, les sans-abris, les
populations sans protection sociale comme aux États-Unis ou
déjà plongées dans la misère de par le monde risquent
d'être plus particulièrement frappées par cette
pandémie. Ce n'est pas ce qui risque de déprimer les
places boursières, au contraire.

L'objectif prioritaire des grands patrons et des
gouvernants est de sauver les profits à tout prix, ce
qu'ils cachent hypocritement sous l'expression « faire
tourner l'économie ». On retiendra l'injonction
proprement criminelle de plusieurs ministres à l'adresse
des salariés ne pouvant pas être télé-exploités à se
rendre au travail pour produire coûte que coûte, au péril
de leur santé ou de leur vie. Nous en sommes à un stade
où tous les médecins (à l'exception du ministre de la
santé et du directeur de la santé, fidèles mercenaires de
Macron) sont révoltés par cette attitude irresponsable de
l'État vis-à-vis de l'ensemble du spectre des
problèmes posés par l'épidémie.

Comme dans le cas de la crise de 1929, l'élimination de
nombreuses petites et moyennes entreprises va se produire.
Leur paralysie progressive entraîne déjà un drainage de
profits importants vers certains groupes comme Amazon,
Facebook, Google, Apple, etc. Le réseau des librairies en
France risque de ne pas s'en relever, de même que le
secteur des activités culturelles indépendantes des
mastodontes comme Disney ou Netflix. L'État fera valoir
la situation « difficile pour tout le monde et demandant
des sacrifices à chacun » pour ne plus rien subventionner
du tout dans ce secteur comme dans celui des associations.
On voit également que dans le secteur de l'alimentation
et des produits de première nécessité, ce sont les
grandes surfaces qui ramassent la mise aux dépens des
petits producteurs et des petits commerçants.


VERS UNE ÉCONOMIE DE GUERRE ?
Dans ces conditions, il est difficile de ne pas craindre
qu'une économie de guerre se mette en place un jour, avec
des mesures de rationnement et des suppressions de congés
payés partielles ou totales pour rattraper « le temps
perdu ».
En effet, il nous faut revenir un instant sur la crise
financière en cours et ses effets que les États cherchent
à endiguer en promettant d'injecter dans les tuyaux de
l'économie des sommes considérables. D'où peuvent bien
venir ces centaines de millions d'euros, de livres ou de
dollars dont parlent Macron, Merkel, les dirigeants de
l'Union Européenne, Boris Johnson ou Trump ? Les
avaient-ils cachés dans des coffres inconnus du grand
public ? Non, il y a fort à parier qu'ils font marcher la
planche à billets et qu'ils provoquent un endettement
vertigineux des États pour sauver comme d'habitude les plus
grandes banques et les plus grandes entreprises.
Des milliards d'argent fictif se sont volatilisés ces
dernières semaines sur toutes les places boursières, ce
qui purge en partie la sphère financière. Mais ces sommes
vont faire place à des quantités d'argent tout aussi
fictif garanties par les États. Cette inflation des dettes
souveraines devra être ensuite garantie autrement pour
être crédible : par des coupes sombres dans les budgets
sociaux, les secteurs non rentables, par la nationalisation
des entreprises en faillite (mais nécessaires à « la
relance ») et par une surexploitation des travailleurs qui
auront traversé vaille que vaille la crise sanitaire
actuelle. Le bénévolat et les heures supplémentaires
seront fortement sollicités ou rendus obligatoires dans de
nombreux secteurs.


DÉMANTELER LE CAPITALISME OU PÉRIR
Le coronavirus se charge actuellement tout seul de bloquer
l'économie. Du coup, Macron et Édouard Philippe ont dû
reporter à plus tard leurs sales coups contre les retraites
et contre l'indemnisation des chômeurs, ce qui est
toujours bon à prendre.

Mais nous ne pouvons plus nous contenter à l'avenir de
« faire pression », de vouloir nous « faire
entendre » ou « faire reculer » le gouvernement. Ce
que nous pouvons obtenir sur le terrain des exigences et des
revendications auprès du pouvoir est limité en dépit de
notre combativité. Il ne s'agit plus d'espérer un blocage
de l'économie provoquant de grands reculs, mais de mettre
en oeuvre un contrôle général, une prise en main de
l'économie par nous-mêmes ; en se passant de l'État qui
n'est même pas capable de fournir à temps des tests, des
réactifs, des masques, des respirateurs et des tenues
protectrices.

Grâce à la solidarité entre voisins, à la débrouille
collective de bon sens, grâce au dévouement sans limite
d'une partie de la population, nous constatons que nous
pouvons résoudre des problèmes urgents bien mieux que les
ministres et les préfets. Dans le feu des actions
nécessaires, les critères de rendement, de productivité,
de concurrence, pour tout dire les critères qui découlent
de l'asservissement à l'argent s'évanouissent comme
par enchantement. Nos actions d'entraide de toutes sortes
matérielles et morales permettent d'envisager une autre
façon de vivre ensemble, une autre économie débarrassée
de l'argent et de l'exploitation, une société sans
État et sans inégalités sociales.

L'opportunité d'entreprendre durablement et jusqu'au
bout le démantèlement du capitalisme s'offre à nous.
C'est très probablement une des dernières chances à
saisir avant l'écroulement général de la vie en
société.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

José Chatroussat

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