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Journal de notre bord

Lettre no 170 (le 28 janvier 2016)

Bonjour à toutes et à tous,

Les sordides manœuvres propres à l'exercice du pouvoir
se sont traduites par deux petits épisodes significatifs
qu'il est assez éclairant de mettre en parallèle. L'un
s'est produit à Athènes il y a six mois, et l'autre à
Paris il y a 48 heures.

Lorsque Tsipras et ses amis ont effectué brutalement le
« tournant de la rigueur » contre le peuple grec
l'été dernier, cela n'a pas traîné pour que ces
gentlemen se débarrassent d'une personnalité très
populaire, au bon sens du terme, parce qu'elle cherchait
à lutter vigoureusement contre la corruption dans tous les
rouages et institutions de l'État grec. Il s'agissait
de la présidente du Parlement grec, Zoé Konstantopoulou,
qui a été débarquée. La plupart de ses anciens
collègues de Syriza n'ont rien dit lorsqu'elle a été
traînée dans la boue par des députés et médias
réactionnaires ne lésinant pas dans le répertoire des
injures sexistes.

Dans le cas de Christiane Taubira, les choses se sont
présentées dans un ordre différent pour aboutir au même
résultat : la mise à l'écart, en obtenant sa
démission, d'une gêneuse, ayant avalé bien des
couleuvres, mais hostile au tout dernier développement de
la dérive droitière du gouvernement. Elle avait gagné
l'estime des gens de gauche, notamment pour son courage
face aux mobilisations homophobes de la droite et de
l'extrême droite, et face aux attaques odieuses contre sa
personne au sein même du Parlement. On se souvient que
devant la campagne raciste dont elle a été la cible,
Hollande, Valls et compagnie ont brillé d'abord par leur
silence, puis par la mollesse de leurs réactions.

Les mises à l'écart de ces deux femmes sont
symptomatiques d'une évolution qui affecte la plupart des
gouvernements en Europe et au-delà. Le but clairement
affiché est d'écarter toute contestation à tous les
niveaux, de purger toutes les institutions de la présence
des personnes ayant encore un peu de décence, de volonté
de défendre, même de façon prudente ou atténuée, un
point de vue progressiste, de gauche, de bon sens, sur un
sujet ou sur un autre. Dans ces conditions, comment
pourrait-on s'étonner que les « éléments
subversifs » qui veulent défendre l'environnement
naturel, et les salariés combatifs, ces éléments rebelles
des « classes dangereuses » pour les intérêts des
milliardaires, deviennent de plus en plus des cibles
privilégiées pour l'appareil d'État.

Ainsi, le Parquet, conformément aux désirs du quatuor
Hollande, Valls, Macron, Cazeneuve, a obtenu la condamnation
à neuf mois de prison ferme de huit ouvriers de Goodyear
pour avoir agi en état de légitime défense de leurs
emplois contre leur patron licencieur. Pour couper court à
toute velléité de certains de faire de Christiane Taubira
une admirable icône de gauche, il serait bon de garder en
mémoire que c'est au moment où elle était encore en
poste, comme Garde des Sceaux, qu'une telle condamnation
scandaleuse est intervenue, sans qu'elle ait réagi.

Après de multiples poursuites en justice de syndicalistes
ou de manifestants, de multiples perquisitions brutales et
arbitraires, de refoulements en nombre toujours croissant de
migrants et de personnes sans papiers (à faire pâlir de
jalousie Sarkozy), parler seulement de virage
« sécuritaire » est un euphémisme, alors qu'il
s'agit de plus en plus de transformer le régime en un
État policier permanent pouvant intervenir sur tous les
terrains. Il suffirait de lister l'arsenal des mesures de
contrôle des médias et de répression des personnes mis en
œuvre dans d'autres pays comme la Pologne, la Hongrie, la
Slovaquie, la Turquie, le Royaume Uni ou l'Espagne, pour
constater que l'évolution autoritaire du gouvernement
français ne brille que faiblement par son originalité.
Elle s'inscrit dans une tendance globale des États à
restreindre les libertés des citoyens, à stigmatiser et
réprimer les étrangers ou citoyens d'origine
étrangère, et à détruire les ultimes protections et
acquis légaux des salariés.

Par certains aspects, il y a malgré tout une sorte
« d'exception française » sur laquelle il n'est pas
inutile de porter notre regard. Sur un fond d'abstentions
qui tourne autour de 50 %, la France détient l'extrême
droite la plus importante électoralement en Europe. Elle
pèse sur la droite (qui se dit de droite), et elle pèse
sur le gouvernement de droite de Valls (qu'il qualifie
lui-même de social-libéral plutôt que de
social-démocrate). Tout se passe comme si la petite bande
hystérique et cafouilleuse qui tient les rênes du pouvoir
préparait énergiquement le terrain pour qu'un jour, si
d'aventure l'extrême droite accédait au pouvoir, elle
soit pleinement satisfaite de l'État policier qui lui
sera livré sur un plateau, avec la Constitution et
l'arsenal de lois ad hoc amoureusement concoctés par
Hollande et Valls. L'instauration d'un état d'urgence
permanent, constitutionnalisé, d'une « déchéance
nationale » dont la connotation xénophobe sera inscrite
dans le marbre, et une police ayant totalement la bride sur
le cou pour perquisitionner brutalement n'importe qui ou
pour tirer dans le dos de n'importe quel quidam « qui la
menace », ce sont des mesures de long terme aux
conséquences catastrophiques que le gouvernement actuel met
en place avec frénésie.

Il y a une logique sous-jacente déterminante qui enserre la
politique de Hollande et Valls. La lutte contre le
terrorisme islamique est un prétexte fallacieux, comme
beaucoup de gens l'ont compris. Alors pourquoi cette
propension au tout sécuritaire ? L'État français est
en fait de plus en plus actif pour protéger et développer
une seule liberté, celle des renards dans le poulailler,
celle des grandes entreprises prédatrices, expertes en
licenciements massifs et en évasion fiscale. Ce qui fait
encore un peu l'originalité politique et sociale de la
France, c'est qu'en dépit de fortes attaques depuis
plus de trente ans, les protections sociales et les services
publics ne sont pas encore complètement démantelés. Or,
le gouvernement actuel, aussi méprisable et dévalué
qu'il soit, est encore le mieux placé pour y parvenir
avec la complicité de bureaucrates syndicaux. Il y a encore
une fenêtre de tir avant une explosion sociale. Le
journaliste de droite Franz-Olivier Giesbert se félicitait
dernièrement sur France Culture que ce gouvernement
s'attaque enfin au code du travail, car les gouvernements
de droite n'avaient pas osé le faire.

Hollande, Valls et Macron prennent donc très au sérieux
leur tâche de mercenaires du capital, en s'attaquant aux
droits des salariés et des chômeurs, en pouvant se flatter
d'avoir vendu plus de rafales, plus d'Airbus et plus de
centrales nucléaires que leurs prédécesseurs, à des
régimes sanguinaires comme l'Iran ou l'Arabie saoudite.
Eux et leur parti vont perdre lamentablement toutes les
élections pour les vingt ans à venir, mais qu'importe :
ils seront fiers d'avoir été de valeureux serviteurs de
la bourgeoisie impérialiste française et d'avoir
dégagé le terrain pour leurs successeurs à l'Élysée
et à Matignon. Mais ce scénario risque d'être
chamboulé par les multiples colères sociales et politiques
qui se lèvent déjà en ce mois de janvier et qui nous
donnent de fortes raisons d'espérer une contre-offensive.
Ce début d'année indique à quel point va être
particulièrement musclé le conflit entre les forces et
tendances émancipatrices et les forces et tendances
réactionnaires. Personne ne peut savoir ou pronostiquer à
quel point nos forces créatrices et nos forces de
résistance encore trop dispersées peuvent devenir
puissantes.
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En Chine et au-delà
Demain
Le luxe de la lecture
La légende d'une servante
Pierre Boulez, rêveur et constructeur d'une révolution
A l'écoute de Pierre Boulez
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EN CHINE ET AU-DELÀ
Film après film, Jia Zhang-ke construit une œuvre majeure
et très dense sur la société chinoise et son évolution
depuis vingt-cinq ans. Après notamment « Platform »,
« Still Life », « The World » et « Touch of
Sin », on retrouve dans son dernier film, « Au-delà des
montagnes », cette ampleur de vue qui lui permet à la
fois de nous rendre attachant ou poignant le moindre détail
de la vie intime de ses personnages, tout en pointant dans
quel contexte mondialisé leurs relations humaines se
trouvent ternies, déstabilisées ou détruites par le
règne de l'argent.

Le film se déploie en trois séquences qui marquent des
moments du développement furieux du capitalisme chinois,
1999, 2014 et 2025, c'est-à-dire un dernier volet
d'anticipation relativement proche. Tout commence dans une
ville industrielle du nord de la Chine, Fenyang, la ville
d'origine du cinéaste. Deux amis encore jeunes sont
amoureux de la belle Tao. L'un des jeunes prétendants est
dopé par ses appétits de richesse et de pouvoir. Si la
séduction de son argent ne peut suffire à lui faire
obtenir ce qu'il veut, il estime que la violence peut y
pourvoir. On a là, au niveau d'un individu, la matrice
d'un processus qui s'est ensuite développé à une
vitesse foudroyante dans tout le pays.

Ce jeune arriviste, qui a de quoi racheter la mine locale et
licencier qui il veut, se retrouve en rivalité frontale
avec son ancien ami, qui lui n'a pour ambition que de
gagner honnêtement sa vie comme mineur de fond. En
choisissant étourdiment de se marier avec le riche
flambeur, Tao va tisser son malheur car elle perdra la garde
du fils qu'elle aura avec lui. Le père a joyeusement
décidé de le prénommer Dollar. Invention exagérée du
réalisateur ? La fiction n'a fait que devancer la
réalité puisqu'on a appris depuis, à l'occasion
d'un fait divers dramatique en Chine, qu'un père
fortuné avait prénommé son fils, Cash...

Le réalisateur s'interroge sur l'état désastreux de
la Chine et du monde, non en documentariste, mais en artiste
inventif, préoccupé par l'évolution de relations
humaines qui partent en vrille. C'est ce qui ressort de la
dernière partie qui se passe en Australie en 2025, dans un
décor urbain aseptisé faisant contraste avec les villes
polluées de Chine, mais où le déracinement et la perte de
sens de l'existence sont vécus de façon non moins
douloureuse.


DEMAIN
S'il faut dénoncer les méfaits du capitalisme et mener
des luttes contre les puissances qui dévastent
l'environnement, cela n'empêche pas d'agir et
d'imaginer des solutions pour essayer d'en sortir.
C'est dans cet état d'esprit délibérément confiant
et même optimiste, que Mélanie Laurent, Cyril Dion et
leurs amis ont conçu leur documentaire, « Demain »
(1h58), qui nous emmène de l'Inde à la Californie, en
passant par Detroit, l'Angleterre, le Danemark, l'île
de la Réunion, la Finlande, l'Islande ou la Normandie,
pour nous montrer quelques expériences concrètes en cours,
en rupture avec la logique du profit. La petite bande de
trentenaires part donc examiner sur place comment
développer un potager au cœur d'une bourgade, comment
développer la permaculture et l'agroécologie dans des
terrains urbains en friche, comment faire fonctionner une
coopérative produisant de l'énergie renouvelable,
comment créer une monnaie locale ou comment pratiquer une
pédagogie épanouissante. Les faits sont là : ça marche.
Certains pourront faire la moue ou déplorer le manque de
radicalité de certains discours ; mais au stade où nous
en sommes, il vaut mieux accueillir à bras ouverts toutes
ces propositions, argumentaires et suggestions qui peuvent
nous aider à sortir de l'ornière actuelle.


LE LUXE DE LA LECTURE
Puisque nous avons encore le droit de lire de très bons
romans, essais ou pièces de théâtre, il serait dommage
que nous renoncions de nous-mêmes à faire usage de cette
liberté, de ce luxe qui change la vie. Lire un roman, par
exemple, peut sembler futile, non prioritaire, alors que
cette activité participe de notre équilibre fondamental,
de notre prise de distance nécessaire avec des réalités
telles qu'elles nous sont livrées de façon abrupte,
simplifiée et brutale par de multiples biais. Seul, dans un
environnement si possible silencieux, la lecture d'un
roman procure un bien-être précieux fait de concentration
sur d'autres destins que le nôtre mais qui nous interroge
sur le nôtre, d'ouverture vers les autres, vers un
langage autre.

Pour entrer dans la forêt épaisse des œuvres essentielles
de la littérature, on peut très utilement et agréablement
consulter le livre d'Olivier Barrot, « Un livre un jour,
un livre toujours, Les essentiels d'une bibliothèque
idéale » (La Martinière, 2014, 416 pages). L'auteur
assure sur France 3, depuis 1991, une émission d'une
durée de trois minutes pas plus pour présenter
intelligemment un livre et son auteur, ainsi qu'une
émission hebdomadaire « Un livre toujours » depuis
2009. Ce fin et grand connaisseur de la littérature
mondiale, du théâtre et du cinéma nous présente, de
façon brève et vivante, dans cette anthologie personnelle,
les 200 œuvres qu'il emporterait en priorité sur une
île déserte. Chaque présentation comporte une
illustration graphique liée, souvent avec originalité, au
contenu du livre. Il y a bien ici ou là quelques
appréciations discutables (le consensus n'est pas de
rigueur en la matière) et une petite poignée de livres que
j'aurais personnellement remplacés par d'autres, mais
il faut reconnaître qu'Olivier Barrot a évité
différents écueils : le snobisme, la superficialité et
l'élitisme. Quant aux chefs-d'œuvre qui laissent des
moments d'intense bonheur dans la vie d'un lecteur, ils
sont presque tous au rendez-vous.


LA LÉGENDE D'UNE SERVANTE
La romancière américaine Paula Fox, 92 ans, n'a connu
une grande renommée que tardivement, grâce aux
interventions enthousiastes d'un jeune collègue en
littérature, Jonathan Franzen. Paula Fox est effectivement
une romancière puissante et singulière. On en jugera à la
lecture de « La légende d'une servante » (Folio,
2007, 500 pages, traduction de Marie-Hélène Dumas).
L'héroïne, Luisa, passe son enfance dans les années
1930 à San Pedro, une petite île des Caraïbes où
règnent les grands propriétaires de plantations sucrières
d'origine espagnole. Son père, un homme fermé, est le
fils d'un propriétaire ruiné, et sa mère une indigène
domestique courageuse dont la vie est minée par la
pauvreté et ses déceptions. La plantation est un
environnement à la fois sensuel, magique et cruel. La jeune
Luisa capte les sensations et perçoit aussi le mépris
social, le racisme, les rivalités familiales à fleur de
peau qui confinent parfois à la folie.

Pour fuir l'île menacée par une révolution, le père
décide abruptement d'emmener sa femme et sa fille Luisa
à New York. Mais l'existence dans le « Barrio » ne
permet pas d'accéder à des conditions décentes quand on
a un père qui se trouve le plus souvent dans un état de
prostration, incapable d'initiative, contrairement à son
frère fanfaron également exilé qui fait semblant
d'avoir accédé au « rêve américain ». Par
opposition à son père qui voudrait lui voir suivre des
études et pour échapper au carcan familial, Luisa choisit
d'être domestique, comme sa mère en définitive. « Le
travail était l'hameçon que je devais avaler pour être
sauvée. » Luisa nourrit un rêve qui l'aide à tenir :
retourner un jour à San Pedro.

C'est au travers de la vie de domestique de l'héroïne
qu'on découvre différents profils d'employeurs que
Paula Fox met en scène le plus souvent sous un mode
satirique sans pitié. Elle montre en finesse les liens
ambigus qui se créent entre employeurs et employés, chacun
se trouvant confronté à ses déceptions, ses élans, ses
attachements à un fils, à des animaux, à des objets, et
souvent à son narcissisme aliénant. Comme ce roman se
déroule jusque dans les années 1970, il nous livre aussi,
sous un angle particulier, un tableau très intéressant des
États-Unis pendant la Seconde guerre mondiale, le
maccarthisme, la guerre du Vietnam et les années de lutte
pour les droits civiques.


PIERRE BOULEZ, RÊVEUR ET CONSTRUCTEUR D'UNE RÉVOLUTION
Sous les couches de commémorations qui s'abattent sur un
créateur lorsqu'il disparaît, on peut craindre que son
œuvre ne soit tranquillement engloutie, digérée et
oubliée. C'est un peu l'impression désagréable que
donnaient les pages abondantes et convenues dans les
quotidiens « Libération » et « Le Monde »
consacrées à Pierre Boulez. Les articles nécrologiques
rédigés de longue date avaient eu le temps de refroidir
avant même la mort de Pierre Boulez et ils ne donnaient
guère envie d'aller découvrir son œuvre. Visiblement,
la figure de David Bowie a fait bien davantage entrer en
transes les rédactions de ces deux quotidiens ou de
« Télérama ». Le look de Pierre Boulez (de même que
celui d'Henri Dutilleux) n'était, il est vrai, guère
attractif pour tous les médias en comparaison des looks
successifs de Bowie.

Que personne ne s'imagine cependant que Pierre Boulez
n'a jamais entretenu aucun rapport avec la nébuleuse
pop-rock, puisqu'à la surprise générale, il fut amené
à diriger des compositions qu'il jugeait intéressantes
d'un certain Franck Zappa. Dans un entretien en 2001 à la
Revue des Deux Mondes, il déclarait d'ailleurs : « On
me demande assez souvent ce que je pense de la musique pop,
du rap, de la techno. J'aime leur vivacité, leur
vitalité qui s'exprime de façon brute, car ces
musiciens-là n'ont pas reçu les moyens de s'exprimer
autrement. » Avec une verve polémique implacable, il
mettait en l'occurrence en cause le fait qu'en France
« on apprend à écrire, à lire, mais pas à écouter et
à regarder. » Il pestait contre « la « mal bouffe
musicale » distribuée à tire-larigot, et on appelle ça
démocratisation. Je crois aussi que les politiques ont leur
part de responsabilité. Beaucoup de politiciens sont des
illettrés musicaux malgré un vernis littéraire... »
Ça ne s'est pas arrangé depuis.

Sur le fond, dans ses compositions, ses écrits et ses
actions dans son domaine, c'est bien Pierre Boulez qui
était dérangeant et révolutionnaire. C'est le fil rouge
de sa vie qu'il a exprimé et auquel il est resté
constamment fidèle par détestation de toute routine et
tout ressassement : « La recherche, c'est la forme la
plus résistante, et parfois la plus folle, de l'utopie,
{…} c'est ce qui me permet, plus encore me pousse
irrésistiblement à rêver ma révolution au moins autant
qu'à la construire. »

Par chance pour Pierre Boulez (et pour nous auditeurs et
lecteurs), il y a eu en France à plusieurs époques
quelques esprits libres et audacieux qui surent reconnaître
en lui le créateur novateur à qui il fallait porter
attention et donner carte blanche. Ce fut le cas en
particulier d'Olivier Messiaen comme pédagogue,
d'Antoine Goléa comme musicologue (« Rencontres avec
Pierre Boulez », Julliard, 1958) et de Jean-Louis Barrault
et Madeleine Renaud dans la compagnie desquels il fit ses
débuts et resta pendant des années comme responsable de la
musique. Ils lui permirent également d'organiser des
concerts dédiés à des œuvres du XXe siècle. Barrault
évoquait avec humour et admiration en 1954 la métamorphose
de Boulez « accouchant de lui-même » : « Ce jeune
chat, qui jouait parfois à la panthère enragée, est
devenu l'homme que nous pressentions, sans rien perdre de
sa virulence. »

On trouvera dans le catalogue coédité par Actes Sud et la
Philharmonie de Paris de l'exposition du printemps dernier
à la Cité de la Musique, un ensemble de textes
remarquables sur les différentes facettes de la carrière
et de l'œuvre de Boulez, avec de belles reproductions de
Cézanne, Paul Klee et Nicolas de Stael qui étaient parmi
ses peintres de prédilection. Pour aller encore plus avant
dans la découverte de Pierre Boulez, il faut lire
« Pierre Boulez à voix nue » (France Culture/Symétrie,
2008) et écouter ses cinq entretiens (sur deux CD qui
l'accompagnent) avec Véronique Puchala.

A L'ÉCOUTE DE PIERRE BOULEZ
Commencer à écouter Pierre Boulez comme chef d'orchestre
dirigeant les œuvres de Debussy, Ravel, Stravinsky,
Bartók, Varèse et Alban Berg est sans doute la meilleure
façon de se préparer à recevoir et apprécier les œuvres
de Boulez lui-même. Par sa modernité, sa musique ne se
livre pas facilement à l'auditeur qui doit faire un
effort pour aller vers elle. Et à sa grande surprise, il
peut tout à coup être sensible à un monde poétique hors
des sentiers battus. C'est la sensation qu'on peut
fortement éprouver en écoutant le CD Deutsche Grammophon
qui regroupe « Sur Incises » par l'Ensemble
Intercontemporain, « Messagesquisse » par le
violoncelliste Jean-Guihen Queyras et « Anthèmes 2 »
par la violoniste Hae-Sun Kang.

Signalons enfin une très belle interprétation en concert
de « Pli selon Pli » qui est encore disponible sur le
site de France Musique :
http://www.francemusique.fr/emission/les-lundis-de-la-contemporaine/2015-2016/soiree-hommage-pierre-boulez-01-11-2016-20-00

Bien fraternellement à toutes et à tous,

José Chatroussat

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