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Journal de notre bord

Lettre no 159 (le 7 juillet 2014)

Bonsoir à toutes et à tous,

Les gouvernants et riches profiteurs de l'économie mondiale
veulent que nous soyons aigris et démoralisés. Ils en
rajoutent dans l'arrogance. Ils déploient tout un arsenal
de mesures politiques et antisociales qui conduisent au
ressentiment et à la démoralisation. Ils manipulent
efficacement les informations dont ils ont pour l'essentiel
le contrôle. Pour l'instant, en gros, ça marche ; et
leurs affaires marchent.

Ce sont parfois des militants de gauche ou d'extrême gauche
qui ruminent les pensées les plus sombres sur le fait que
rien ne va, que l'extrême droite va finir par prendre le
pouvoir, que les luttes sont trahies et ne mènent à rien,
que les ouvriers sont racistes et peu combatifs, que les
jeunes sont égoïstes et dépolitisés, que les vieux
soixante-huitards sont tous rangés des voitures et ne
pensent qu'à leur confort et que les intellectuels servent
le système sans vergogne. Si nous avons cela dans la tête,
plus ou moins, il est grand temps de nous moquer de
nous-mêmes.

Car si nous ressassions de telles généralités
unilatérales, fausses comme toutes les généralités,
l'avenir serait effectivement totalement bouché. Ce serait
aller un peu vite en besogne et surtout aller au devant des
désirs des classes dirigeantes. Ce serait en plus être
complètement à contretemps car depuis deux mois en France
des signes positifs, avant-coureurs de mouvements
importants, se sont présentés sur le terrain des luttes.

La grève des cheminots et cheminotes a étonné tout le
monde par sa durée et par sa capacité à surmonter les
manoeuvres de sabotage des directions syndicales, du
gouvernement, des politiciens de gauche à l'Assemblée et
de la campagne médiatique de calomnies contre les
grévistes. Certes le gouvernement, la direction de la SNCF
et les appareils syndicaux bureaucratisés ont gagné
momentanément la partie. Mais les grévistes ont gagné en
expérience et en respect d'eux-mêmes, par leur claire
conscience des enjeux et une détermination d'autant plus
forte qu'elle s'appuyait sur leur capacité à décider dans
les assemblées générales ce qu'ils et elles voulaient
faire. D'autre part, il y a eu des manifestations de
solidarité de la part des usagers, des intermittents du
spectacle ou d'autres salariés qui, sans être massives,
sont importantes par leur signification dans l'avenir. Ce
que sans doute bien des grévistes auront tiré comme
leçon, c'est qu'il ne faut pas s'en tenir aux AG mais
mettre en place le plus tôt possible des formes de
coordination entre les secteurs en lutte, sans attendre le
déclin de la grève, afin de ne pas être taclés par les
mensonges et les manoeuvres venant de l'extérieur du
mouvement.

Le mouvement des intermittents du spectacle a bien mis en
relief l'importance d'être autonomes, de disposer de ses
propres modalités d'organisation, de discussion et de
décision. Il en va de même avec les postiers du
département 92 qui sont en lutte depuis plus de 150 jours
et qui, avec ténacité et en dépit de mesures de
rétorsion contre eux, réussissent petit à petit à
étendre leur mouvement à d'autres collègues et à
coordonner les actions. Dans le secteur de la santé, 200
représentants de 69 hôpitaux se sont réunis à Caen le 18
juin dernier et ont créé une « Convergence des hôpitaux
en lutte contre l'Höstérité ». A cette occasion, 600
personnes ont manifesté dans les rues de cette ville. Les
salariés de Pôle emploi de Paris Laumière ont obtenu gain
de cause au bout de cinq jours de grève avec la création
de quatre postes en CDI et un poste en CDD. Malgré les
intimidations et menaces de dépôt de bilan, les marins de
la SNCM à Marseille poursuivent leur grève depuis treize
jours. A quoi nous devons ajouter la persistance d'une forte
mobilisation contre le projet inutile et nuisible de
l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Douter de la
combativité d'une partie des salariés et des jeunes
précaires n'est plus de saison et de toute façon ne nous
avance à rien. Le manque criant pour l'instant se situe à
un autre niveau, celui de la capacité à mettre en oeuvre
des procédures de démocratie directe à une large
échelle. En règle générale les salariés les plus
déterminés, les plus en colère, les plus disposés à
lutter de diverses manières ont jusqu'alors compté malgré
tout sur les syndicats existants. Et même s'ils ne leur ont
pas fait confiance aveuglément, ils espéraient les pousser
dans le bon sens. Mais comme on vient de le voir avec les
quelques exemples ci-dessus, un nouvel état d'esprit
commence à voir le jour. Les acteurs des mouvements se
pensent de plus en plus comme des interluttants qui refusent
de se laisser diviser, isoler ou diriger. Les intermittents
du spectacle ont réussi à faire savoir plus largement que
leur combat n'était pas corporatiste et concernait tous les
travailleurs précaires et les chômeurs. Il nous faut
souffler partout sur ces bonnes braises, c'est-à-dire
discuter avant les luttes et pendant les luttes des
initiatives à prendre pour élargir et coordonner les
actions et les mouvements, mettre en commun les bonnes
idées qui font la différence dans les rapports de force.
Sinon ce sont les centrales syndicales qui coordonnent, avec
une habileté incontestable, l'émiettement et la défaite
finale de nos luttes dès qu'elles gênent vraiment le
patronat et le gouvernement.

Quelque chose est en train de se tisser, de s'inventer, en
douce, progressivement, loin de l'agitation du MEDEF et de
ses larbins officiels ou officieux. Des femmes et des hommes
de tous les statuts, de diverses professions et de
différentes générations ont envie de prendre leurs
affaires en main collectivement et démocratiquement. Ce
n'est que l'esquisse d'un mouvement mais il ouvre peut-être
la voie à une mobilisation plus conséquente qui nous
étonnera et changera la donne.
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Comme si nous étions déjà libres
La toujours surprenante Commune de Paris
La dernière frontière
Bird People
Le conte de la princesse Kaguya
Livres pour l'été
In situ
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COMME SI NOUS ETIONS DÉJÀ LIBRES
La lecture du dernier livre de David Graeber traduit en
français, « Comme si nous étions déjà libres » (Lux,
271 pages), s'avère extrêmement stimulante et pour tout
dire nécessaire. La première raison réside dans le fait
que l'auteur, anthropologue et militant anarchiste
américain, a joué un rôle déterminant dans la
préparation et le lancement du mouvement « Occupy Wall
Street » en 2011. Les livres précédents parus en France
sur ce mouvement fournissaient bien des informations
intéressantes et reproduisaient les discours
d'intellectuels et de militants plus ou moins connus. Mais,
non seulement Graeber apporte des éléments
complémentaires précieux et de première main, mais il
analyse avec finesse et précision dans un chapitre
« pourquoi avons-nous réussi ? ».

Les initiateurs ont trouvé clairement leurs sources
d'inspiration dans les soulèvements en Tunisie et Égypte et
dans les mobilisations des indignés en Espagne et de la
place Syntagma à Athènes. Comme partout, ils ont été
pris par surprise par le succès alors que leur souci au
début était surtout d'éviter le fiasco. Graeber relate
les propos d'une amie anarchiste égyptienne, Dina
Makram-Ebeid, qui a participé au soulèvement de la place
Tharir : « ...quand vous y travaillez depuis si
longtemps, vous oubliez que vous pouvez triompher. Vous
passez toutes ces années à organiser des manifestations,
des rassemblements... Et quand il ne vient que 45 personnes
vous êtes déprimé. S'il en vient 300, vous êtes heureux.
Puis, un jour, il en vient 500 000. Vous êtes incrédule,
car d'une certaine manière, vous aviez abandonné l'idée
que ça puisse un jour se produire. » (page 21)

David Graeber ne nous présente pas le mouvement Occupy Wall
Street comme une merveilleuse saga où on enfile les perles
tranquillement. D'entrée de jeu par exemple, les
initiateurs se heurtent aux attitudes sectaires ou
verticalistes de certains militants : « A New York, les
anarchistes les plus puristes et grincheux refusent de se
joindre à nous ; ils se moquent de nous et nous traitent
de « réformistes » {...} une poignée d'étudiants
d'ISO et leurs supporters, une douzaine en général, ne
cessent de faire pression pour que le mouvement se
centralise davantage. » (page 55)

La formulation des idées avancées a revêtu une grande
importance, comme le célèbre « Nous sommes les 99% »
qui est une création collective à la suite de plusieurs
échanges. C'est dans le contexte social et économique
spécifique aux États-Unis, et que Graeber explicite en
détail y compris dans son soubassement historique, qu'un
tel slogan pouvait avoir un sens flagrant et un impact fort.
On voit bien dès lors que le succès d'un mouvement ne
relève pas d'une spontanéité creuse ni d'une préparation
organisationnelle menée par des experts se présentant et
se pensant comme une avant-garde éclairée et
incontournable. Les activistes à l'origine ont beaucoup
réfléchi, écoutent les autres et cherchent à résoudre
les difficultés au travers de procédures de bon sens. Leur
pratique de la démocratie directe en se généralisant
renforce la mobilisation et facilite le développement de
toutes les potentialités créatives des personnes qui s'y
impliquent.

David Graeber livre une série de réflexions très
concrètes sur la façon dont les participants à un
mouvement peuvent prendre démocratiquement des décisions
dans les meilleures conditions, en menant des discussions
conduisant à un consensus tenant compte de la diversité
des points de vue. Il explique de façon convaincante (et
qui étonnera ici en France) que le vote pour décider ne
peut pas être exclu dans tous les cas de figure mais qu'il
doit être évité le plus possible au profit de la
recherche d'un consensus. D'autres questions sont abordées.
Faut-il accepter d'avoir un contact avec la police ?
Comment faire avec les personnes qui perturbent une
assemblée pour une raison ou une autre ? Jusqu'à quel
point peut-on avoir confiance dans la gauche progressiste ?
Fallait-il formuler des demandes précises ? Pourquoi le
mouvement a-t-il trouvé un écho dans la classe ouvrière
américaine ? Telles sont les questions parmi bien d'autres
auxquelles l'auteur répond de façon simple, prudente, et
parfois avec une bonne dose d'humour qui rend la lecture de
cet essai politique d'autant plus agréable.

L'argumentation va donc bien au-delà des problèmes et
apports de Occupy Wall Street que l'auteur inscrit dans un
mouvement planétaire de phénomènes révolutionnaires. Ce
qui le conduit à cette conclusion : « L'ère des
révolutions est loin d'être terminée. L'imagination
humaine refuse obstinément de mourir. Et dès qu'il y a
suffisamment de personnes libérées des chaînes qui
entravent l'imagination collective, on sait que même nos
opinions les plus profondément ancrées sur ce qui est ou
non politiquement possible s'effondrent du jour au
lendemain. »


LA TOUJOURS SURPRENANTE COMMUNE DE PARIS
Certains de nos lecteurs peuvent penser légitimement qu'ils
en savent déjà bien assez sur la Commune de Paris de 1871.
Qu'ils se détrompent. Les chercheurs anglo-saxons en
particulier, estiment que le dossier est loin d'être clos,
ce qui indique que la Commune est toujours bien vivante. En
plus, ces auteurs qui découvrent des aspects inconnus ou
méconnus de cet épisode extraordinaire, nous stimulent
d'autant plus qu'ils ont des points de désaccord entre eux
d'un grand intérêt. On s'en persuadera aisément en lisant
le livre parfois difficile de Kristin Ross, « Rimbaud, la
Commune de Paris et l'intervention de l'histoire
spatiale » (éd Les Prairies ordinaires, septembre 2013).
Kristin Ross est professeure de littérature comparée et
s'appuie fortement sur les travaux de Henri Lefebvre et
Jacques Rancière. Son interprétation fouillée des poèmes
de Rimbaud dans cette conjoncture historique tourmentée est
d'un anticonformisme qui ouvre de nouveaux horizons.

De son côté, l'historien britannique Robert Tombs reprend
toutes les dimensions de la Commune en creusant plus profond
et plus avant le sillon novateur ouvert dans les années
1960 et 1970 par Jacques Rougerie. Dans son « Paris,
bivouac des révolutions, La Commune de 1871 » (éd
Libertalia, 480 pages), Robert Tombs multiplie les angles
d'analyse, mobilise une connaissance approfondie des
archives et discute pied à pied les diverses
interprétations de la Commune et des facteurs qui l'ont
provoquée. Il ébranle, de façon alerte et argumentée,
des évidences et des certitudes. Les mythes sur la Commune
en sortent écornés mais les communards en ressortent plus
vivants et proches de nous que jamais.

Nous aurons probablement l'occasion de revenir sur ces deux
ouvrages qui peuvent être des sources utiles de réflexion
pour comprendre les luttes actuelles, investir les espaces
d'imagination qu'elles ouvrent et résoudre les difficultés
auxquelles nous serons confrontés en y participant.


LA DERNIÈRE FRONTIERE
Howard Fast (1914-2003) est un écrivain juif américain qui
est surtout connu pour son roman « Spartacus », adapté
à l'écran par Stanley Kubrick. Mais son oeuvre est riche
en récits passionnants sur l'histoire des États-Unis, que
ce soit la guerre d'Indépendance avec « Le citoyen Tom
Paine » ou sur la période qui a suivi la Guerre de
Sécession et la création du Ku-Klux-Klan avec « La route
de la liberté ». Son talent pour camper des personnages,
des situations et des paysages a été nourri par les
nombreux métiers qu'il a pratiqués ici et là jusqu'en
1936, expéditionnaire, blanchisseur, boucher, garçon de
courses, terrassier, journaliste... C'est certainement à
cause de ses convictions communistes qu'il occupe une place
aussi modeste, voire inexistante, dans les études sur
l'histoire de la littérature américaine. Passons outre
pour nous plonger dans son roman écrit en 1941 et
réédité dernièrement en format de poche, « La
dernière frontière » (éd Gallmeister, 308 pages).
L'action commence en 1878 dans le Territoire de l'Oklahoma
où les Cheyennes qui ont survécu aux massacres des peuples
indiens ont été relégués. Dans un environnement
totalement inhospitalier où il n'y a rien à chasser avec
la disparition des bisons ou à cultiver en raison de la
sécheresse, ils souffrent de famine et sont atteints par
des épidémies.

Mais le responsable blanc du Territoire, un quaker, a des
consignes et entend les faire respecter ; même s'il est
troublé par la situation inhumaine qui frappe les 300
Cheyennes, hommes, femmes et enfants, qu'il est chargé
d'administrer. Ces derniers n'entendent pas reprendre la
lutte mais simplement être autorisés à regagner leurs
terres d'origine, les Black Hills, à 1 600 kilomètres de
là. Devant le refus buté des Blancs à tous les niveaux
jusqu'à Washington, ils décident de fuir vers le nord.

Commence alors une poursuite hallucinante où la machine
militaire locale se met en branle pour les capturer et faire
respecter la Loi ! Des miliciens blancs veulent s'en
mêler. Des journalistes sont à l'affût de nouvelles
sensationnelles sur une éventuelle et ultime « guerre
indienne ». Mais il n'est pas si simple d'arrêter des
hommes et des femmes qui, non seulement aspirent
désespérément à mener une vie digne et libre, mais
disposent d'un riche savoir-faire lié à leur civilisation
et à leur connaissance d'un espace qui était encore
récemment le leur. Le romancier remarque ainsi : « Un
Blanc peut connaître son cheval, mais un Cheyenne fait
corps avec sa monture. Il est capable de lui faire
comprendre ses désirs d'un geste de la main, d'un mot
murmuré, d'une caresse. »


BIRD PEOPLE
L'essentiel de ce film, « Bird People » de Pascale
Ferrand, se passe dans des lieux qui n'ont rien de
festif : l'aéroport de Roissy, une rame de RER, des
rocades, des hangars, des parkings, un hôtel Hilton suant
le luxe et l'ennui, une zone de terrain vague où des
salariés dorment dans leur voiture à cause des loyers trop
chers. Quand on voit ces salariés au visage tendu et
défait qui se pressent dans le métro, dans le train, dans
les couloirs, qui tapotent sans répit sur leur tablette ou
leur portable, qui se rongent les sangs intérieurement avec
tous les soucis qui les accablent, on se dit soudain :
« Mais c'est nous là qui sommes à l'écran, nous, les
rouages de la machinerie capitaliste, abasourdis par le
travail et le mode de non-vie qui va avec ! » Pascale
Ferrand nous le suggère en douceur, et même en beauté
paradoxalement.

Le film s'organise ensuite autour de deux personnes. Gary
est un cadre américain d'âge mûr, un de ces « bird
people » comme on dit dans les pays anglo-saxons, toujours 
en vol ou en transit avant de reprendre un autre avion. Dans
sa chambre du Hilton de Roissy, il se prépare à prendre un
avion pour Dubaï. Mais la réunion orageuse entre cadres
français de son entreprise censés lui préciser le sens de
sa mission l'a profondément perturbé. Sa vie est
dépourvue de sens. Cela explose dans son cerveau. C'est le
moment totalement inattendu du décrochage. Très
classiquement, l'interprétation générale de ses
collègues et de ses proches est qu'il déprime. Mais non,
il rompt, il arrête tout, il veut vivre autrement.

Audrey est une jeune femme qui fait les chambres au Hilton
pour payer des études qui ne la passionnent guère. On suit
en détail les tâches qu'elle doit accomplir dans chaque
chambre, routinière, épuisante, plus ou moins répugnante.
La critique du travail est toujours dans le viseur de la
réalisatrice, d'autant plus radicale qu'elle aime les gens
qu'elle filme. Audrey aussi va lâcher prise. D'ailleurs en
regardant un chat qui se faufile ou un moineau qui s'envole,
qui n'aurait pas envie d'une autre existence ?


LE CONTE DE LA PRINCESSE KAGUYA
Ce qui frappe avant tout avec le film d'Isao Takahata,
c'est la beauté de ces dessins aquarellés animés qui
enchantent le spectateur, sans aucun moment de lassitude,
pendant 2h17. Sur le plan esthétique, il n'existe pas
d'oeuvre cinématographique équivalente. Mais si ce conte
n'était qu'un prétexte à une démonstration de
virtuosité dans le traitement de belles images et de leur
montage, le spectateur succomberait malgré tout à l'ennui.

S'il ne s'agissait que d'un « conte pour enfants », bien
gnangnan, bien conformiste, les lignes, les couleurs et les
perspectives constamment renouvelées finiraient par nous
lasser. Or, c'est tout l'inverse. L'histoire n'est pas
seulement un hymne à la nature, à la joie de vivre et aux
relations d'affection entre un couple de paysans pauvres et
une petite fille qui survient comme par magie, lovée dans
une pousse de bambou. C'est bientôt l'histoire d'une jeune
fille qui ne veut pas devenir princesse, qui refuse
énergiquement ce destin froid et absurde de femme adulée
et soumise. Elle ne veut pas jouer ce rôle conforme aux
codes sociaux. Comme son vieux collègue Miyazaki des
studios Ghibli (qui vont bientôt fermer), Takahata porte
haut avec ce conte, une morale très actuelle, à la fois
écologiste et féministe.


LIVRES POUR L'ÉTÉ
L'été offre parfois des laps de temps de lecture
importants où l'on se promet de lire des ouvrages dont on a
entendu dire beaucoup de bien récemment ou qu'on a
délaissés à regret au fil des années. Au rayon des
ouvrages de fond qu'il nous va bien falloir entamer ou
terminer, nous avons présentement sur notre bureau de gros
livres qui nous narguent et attendent qu'on s'occupe
sérieusement d'eux : « Commun, Essai sur la révolution
au XXIe siècle » (La Découverte), de Pierre Dardot et
Christian Laval, « Le Postmodernisme ou la logique du
capitalisme tardif » de Fredric Jameson (éd Beaux-arts de
Paris), « L'autre langue à portée de voix » (Seuil)
d'Yves Bonnefoy et « Chili 1970-1973, mille jours qui
ébranlèrent le monde » (Presses universitaires de
Rennes) de Franck Gaudichaud.

Notez bien que des livres de dimensions beaucoup plus
modestes peuvent, mine de rien, nous lancer des défis
difficiles à relever car ils nous obligent par ricochet à
lire une multitude d'autres livres. Prenons par exemple
« Le fil perdu, Essais sur la fiction moderne » (éd La
fabrique, mars 2014) de Jacques Rancière. On se dit :
« Chouette, il n'y a que 140 pages à lire ! » Sauf que
si nous n'avons pas lu les romans de Flaubert, Joseph
Conrad, Virginia Woolf ou les poèmes de Keats, Wordworth ou
Baudelaire, on risque fort de ne pas apprécier les
développements de l'auteur à leur juste valeur. Eh bien,
considérons qu'il y a là une belle occasion pour
découvrir ou redécouvrir de grands auteurs.

Mais, si un certain farniente nous guette et ne nous laisse
que de modestes moments de lecture, il faut en profiter pour
découvrir de bref récits. L'esprit persifleur de
l'écrivain japonais Sôseki (1867-1916) a de quoi vous
séduire avec le recueil « Une journée de début
d'automne » (Picquier poche, février 2014, 133 pages bien
aérées). Nous serions bien tristes si vous n'étiez pas
charmé, entre autres, par son texte « Le moineau au bec
rose ».

Dans une tonalité étrange, faussement gaie et
qu'appréciait beaucoup son contemporain Franz Kafka, on se
dirigera vers les rivages du « Seeland » de Robert
Walser (Zoe Poche, 285 pages). Cet homme originaire de
Bienne en Suisse écrivait comme on flâne, comme un enfant
poète ayant choisi délibérément de ne jamais parvenir à
maturité, de ne pas tenir compte des barbaries de son
époque, ingénument à rebours des obligations sociales,
s'appliquant consciencieusement à « rater sa vie » pour
en définitive laisser à la postérité toute une oeuvre
précieuse et d'une douce et presque dérangeante
originalité. Une nouvelliste canadienne d'une grande
discrétion, Alice Munro, née en 1931, s'est retrouvée
sous les feux de la rampe en recevant le prix Nobel de
littérature l'an dernier. Il faut admettre que le jury
suédois n'a pas eu mauvais goût, même s'il s'est rendu
compte tardivement de son existence. Alice Munro a un sens
remarquable de l'observation des comportements et de la
construction de ses histoires. Dans les huit récits de
« Fugitives » (Points, 382 pages), comme semble-t-il
dans ses autres recueils, ce sont des vies de femmes qui
sont saisies à un carrefour de leur existence où il leur
faut choisir la fuite ou le retour au domicile familial ou
conjugal.

Enfin, Paul Fournel dans « Poils de Cairote » (Points,
308 pages) dresse un portrait de la capitale égyptienne de
novembre 2000 à juin 2003, avec une ironie cinglante et
souvent désopilante. Au cours de cette période, l'auteur
était en poste au Caire comme attaché culturel. Il
s'était imposé comme tâche d'envoyer cinq fois par
semaine, au petit matin avant que la mégapole s'ébranle,
un mail à quatre-vingt-dix-huit amis. L'ensemble de ces
mails portent sur les petits et grands faits qu'il a pu
observer concernant les chats errants, les chauffeurs de
taxi, les gosses, les flics, les cireurs de chaussures, les
prédicateurs, les embrouilleurs de toutes sortes... Toutes
ces impressions et menues réflexions faites à la volée
dressent un tableau qui en dit long sur les réalités
sociales et politiques du Caire. Au passage, ce livre nous
donne involontairement quelques clefs pour comprendre les
événements révolutionnaires qui vont survenir quelques
années plus tard.


IN SITU
Nous avons mis en ligne en mai une critique du film « How
I live now » de Kevin Macdonald.

Bonnes vacances à toutes et à tous,

Samuel Holder

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