Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre no 141 (le 29 mai 2012)

Bonsoir à toutes et à tous,

La perte de légitimité des gouvernants à l'échelle mondiale
prend une dimension sidérante et très instructive. L'exemple
le plus évident et le plus révoltant est celui de leur
attitude à l'égard du soulèvement du peuple syrien qui
continue avec une énergie toujours plus grande à se battre
pour sa liberté, sa dignité et de meilleures conditions
d'existence.

Depuis quinze mois, le peuple syrien endure massacre sur
massacre par les forces armées syriennes et par les milices
dont les intérêts sont liés au régime de Bachar al-Assad. La
détermination de la population dans tout le pays à présent
est admirable. Le soutien très faible qu'elle reçoit dans le
monde, en particulier des forces de gauche et d'extrême
gauche, l'est nettement moins.

De leur côté, les représentants des États à l'ONU ne
parviennent qu'à murmurer leur feinte indignation. Ils
prétextent de leur impuissance en raison de l'attitude
de la Russie et de la Chine. En fait le clan dictatorial
au pouvoir à Damas aurait pu de longue date être asphyxié
économiquement. Les sommes colossales détenues par ce clan
dans les grandes banques occidentales auraient pu, non
seulement être bloquées, mais aussi commencées à être
reversées à la population syrienne sous forme d'aides
humanitaires diverses. Les États occidentaux ne sont pas non
plus dépourvus de moyens de pression pour dissuader la
Russie et la Chine d'apporter une aide matérielle et
diplomatique à la dictature syrienne.

L'attitude hypocrite des représentants de l'ONU qui
demandent que « toutes les violences cessent » est depuis le
début de cette insurrection fondamentalement pacifique du
peuple syrien, une façon de donner à Bachar al-Assad, son
clan et ses bandes armées, un permis perpétuel de massacrer
les manifestants et même les populations qui ne manifestent
pas, comme on vient de le voir à Houla et à Hama.

Le seul souci des grandes puissances est, comme l'a dit le
ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, que tout
cela ne conduise à « une déstabilisation de la région ». Que
faut-il entendre par là ? Non pas que le régime actuel soit
remplacé par un régime islamiste. L'Arabie saoudite et les
divers États du Golfe persique ont des régimes islamistes
dictatoriaux avec qui les États-Unis et l'Union Européenne
font de bonnes affaires et s'entendent comme larrons en
foire, y compris pour leur vendre des armes.

Non, la menace réelle et tout à fait sérieuse est que le
souffle de la révolution qui s'est levé l'an dernier en
Tunisie et en Égypte et qui a encouragé le peuple syrien
dans ses diverses composantes à se libérer de ses chaînes,
ne finisse par faire place nette de tous les oppresseurs et
profiteurs, aussi bien en Syrie que dans les pays voisins.
Les grandes puissances comptent sur les divisions au sein de
la population syrienne et sur le pourrissement de la
situation. Ce calcul a marché en d'autres temps et en
d'autres lieux, notamment en ex-Yougoslavie. Il est
improbable que cela fonctionne dans le cas de la Syrie.

Car depuis, des millions de femmes et d'hommes, salariés,
chômeurs, jeunes sans perspective, du Maroc au Yémen, de la
Grèce à l'Espagne, de même qu'en Amérique latine, en
Amérique du Nord, en Russie et en Asie, ont repris le chemin
de la contestation du règne des classes dirigeantes
corrompues, le chemin de la lutte contre le capitalisme et
ses dispositifs d'oppression et d'étouffement de leurs
aspirations.
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Crack Capitalism
Occupy Wall Street
Séismes
Molière et les dominants
In situ
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CRACK CAPITALISM
"Crack Capitalism" est le dernier livre de John Holloway qui
vient d'être publié en français par les éditions Libertalia
(464 pages). Construit en 33 thèses, ce livre va
certainement animer des débats parmi les réseaux militants,
les chercheurs critiques, les « indignés », les « occupants »
et autres « désobéissants », toutes celles et ceux qui
aspirent à changer le monde. Il part de constats imparables :
le capitalisme est fissuré. Il est en train de détruire
l'humanité. Nous voulons rompre avec ce système. Comment
pouvons-nous y parvenir ?

Dès la rédaction de son livre en 2009, ce penseur radical
considérait que la révolution ne devait pas être une
question reportée dans le futur. « Elle se pose ici et
maintenant : comment cessons-nous de produire le système par
lequel nous détruisons l'humanité ? »

Les lecteurs pourront constater au passage à quel point la
réflexion ouverte et fertile de John Holloway est en phase
avec les événements qui se sont produits après sa
publication en anglais en 2010, que ce soit dans les pays
arabes, en Espagne, à Tel-Aviv, à New York et Auckland, en
Grèce ou aujourd'hui au Québec. Car ces mouvements, comme
l'ensemble de nos refus individuels ou collectifs de nous
plier aux normes du Capital, sont autant de brèches dans le
système susceptible de nous permettre d'en finir avec lui.

Pour John Holloway, la force des brèches que nous créons
partout, dans de nombreux domaines, réside dans nos
aspirations partagées contre le travail capitaliste et pour
un type d'activité différent : faire ce que nous considérons
comme nécessaire ou désirable.


OCCUPY WALL STREET !
Les ouvrages que nous allons présenter à présent illustrent
avec force les questions soulevées par John Holloway. Même
si vous avez déjà lu un certain nombre d'articles ou de
témoignages sur le mouvement « Occupy Wall Street » de
l'automne 2011 aux Etats-Unis, nous vous recommandons
chaleureusement la lecture du recueil de textes, essais et
témoignages présentés par les éditions des Arènes (« Occupy
Wall Street ! », 291 pages, avril 2012).

On suit jour après jour, les moments enthousiasmants,
éprouvants ou décevants qui ont marqué l'occupation du
Zucotti Park à New York mais d'autres textes nous en
apprennent beaucoup sur les occupations d'espaces publics à
Atlanta, Auckland, Philadelphie et Boston. Les jeunes et les
écrivains radicaux impliqués à fond dans ce mouvement
expliquent de façon vivante, touchante, humoristique aussi,
la façon dont de nouvelles formes de démocratie et de
relations sociales solidaires ont tenté d'être mises en
place. Avec des échecs, des incompréhensions, des
indécisions et des réussites enthousiasmantes.

La question de l'usage de la violence est abordée avec
beaucoup de finesse par Rebecca Solnit dans « Rejeter les
outils du maître... ». On retrouvera également les
interventions de quelques autres intellectuel-les au cours
du mouvement : Angela Davis, Judith Butler, Slavoj Zizek,
Marina Sitrin...

Nous recommandons également la lecture d'un autre recueil de
textes rassemblés par la revue Contretemps qui élargit
l'angle de vue à deux autres mouvements, celui des
Indignados de la Puerta del Sol à Madrid et celui de la
place Syntagma à Athènes (« #indignés ! échos d'une
insurrection des consciences », éd La Découverte, 197
pages). Concernant le mouvement « Occupy Wall Street », un
seul texte fait doublon (celui de Zizek) avec le recueil
précédent, de sorte qu'on lira avec intérêt d'autres
interventions de Rebecca Solnit, de Naomi Klein, David
Gaeber, Judith Butler, Angela Davis, Barbara Ehrenreich et
Mike Davis.


SÉISMES
Nous n'en avons pas fini avec les suites de la catastrophe
du 11 mars 2011 dans la région du Tôhoku, plus connu sous le
nom de la ville de Fukushima. Les drames et prises de
consciences ne concernent pas que la population frappée ni
seulement le peuple japonais. On peut bien dire que le
séisme qui a provoqué le tsunami en a entraîné d'autres :
séismes politiques, sociaux, culturels et existentiels.

De cela rend très bien compte un ensemble de contributions
bénévoles de romanciers, poètes, essayistes et artistes
japonais : « L'archipel des séismes, écrits du Japon après
le 11 mars 2011, sous la direction de Corinne Quentin et
Cécile Sakai (éd Picquier poche). Acheter ce livre, c'est
faire une bonne action puisque les bénéfices seront reversés
aux sinistrés. Mais c'est une autre bonne action de le lire
car on est rapidement impressionné par un flot d'émotions
contrastées, d'arguments très puissants, de révoltes
fulgurantes ou ironiques. Un des textes les plus incisifs
s'intitule « Vapeurs et grincements » de Hosaka Kazushi.
Les souvenirs, les analogies, les impressions personnelles et
les retours sur le passé culturel et social du Japon, tout
indique que le paysage politique et intellectuel du Japon a
été secoué et stimulé. Ce qui en ressort est précieux et
doit être partagé au-delà de l'archipel. La pensée
conformiste n'est plus de saison.

Pour compléter la lecture de ce recueil, on lira avec grand
intérêt le dossier de voix rebelles japonaises dans le n° 48
de la revue « multitudes ». On y apprend beaucoup de choses
sur les manifestations, l'attitude des autorités, l'activité
des militantes et militants antinucléaires ou soutenant les
sans-abri. A Tokyo aussi il y a eu un campement organisé par
« Les Femmes de Fukushima contre le nucléaire », devant le
ministère de l'Économie, de l'Industrie et du Commerce.

Décidément, si nous parvenons un jour à « occuper » le monde
entier, il n'y aura plus de place pour les capitalistes,
leurs flics et leurs armées !


MOLIÈRE ET LES DOMINANTS
La Comédie Française vient de reprendre « Amphitryon » de
Molière dans une belle mise en scène de Jacques Vincey
jusqu'au 24 juin au Théâtre du Vieux-Colombier à Paris.

Au moment où Molière a composé cette pièce, il se remettait
difficilement des attaques violentes contre sa pièce «
Tartuffe » et de son interdiction par le roi. Loin d'en
rabattre dans sa contestation des individus usant d'un
pouvoir abusif pour opprimer ou empoisonner la vie des gens
obligés de les côtoyer, l'incorrigible Molière repart à
l'assaut contre ces gens-là en empruntant un argument
mythologique au dramaturge latin, Plaute.

Jupiter a l'intention de profiter du fait qu'Amphitryon est
à la guerre pour se glisser dans le lit de sa femme Alcmène
en se faisant passer pour son mari. Il utilise un autre
dieu, Mercure, pour garder la porte de la chambre, lequel
Mercure se fait passer pour le valet d'Amphitryon, un
certain Sosie.

Comme dans toutes les grandes pièces de Molière, la comédie
en son point bas, où plusieurs personnes sont trompées et
désemparées, frôle la tragédie avant de reprendre pied dans
la moquerie et de s'acheminer vers une fin positive, plus où
moins crédible, ce qui n'est pas un problème. Molière
s'avère ici extrêmement moderne par sa réflexion sur les
effets de domination et de manipulation, et sur le caractère
fragile de l'identité d'une personne, d'un rôle social,
d'une position établie.

Tous les acteurs et actrices sont excellents mais il faut
signaler le jeu particulièrement époustouflant de drôlerie
et d'humanité de Christian Hecq qui interprète Sosie.


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne deux
articles substantiels : « Au Mexique : les gardiens de la
montagne contre les compagnies minières » et « Les élections
présidentielles en Égypte ». Ce dernier texte sera
prochainement actualisé.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder

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