Journal de notre bordLettre no 138 (le 6 février 2012)Bonsoir à toutes et à tous, Face à l'effondrement de l'économie, les classes dirigeantes du monde entier n'ont pas d'alternative tandis que les classes populaires en ont une. Paradoxe ? Non, les classes dirigeantes sont le dos au mur. Elles le sont en ce sens qu'elles ne peuvent plus à court terme assurer la survie du système capitaliste qu'en procédant à des agressions de plus en plus nombreuses et de plus en plus brutales, pour récupérer le plus de valeur possible sur le dos des salariés à l'échelle mondiale. En France, les gouvernants annoncent presque chaque jour de nouvelles attaques frontales contre les salariés et la population ayant déjà les revenus les plus faibles : TVA antisociale, destruction des cadres légaux et collectifs du code du travail avec à présent les « accords de compétitivité » par entreprise, imposition de près de 200 000 familles aux revenus très modestes, atteinte au droit de grève dans le secteur aéronautique, etc. La feuille de route est très claire et vaudra pour le successeur de Sarkozy, lequel se reconvertira avec délectation, comme Schröder ou Blair, dans un secteur capitaliste hautement lucratif. Gouvernants, financiers, industriels ou grands propriétaires fonciers, ces gens sont en fait aux abois pour les plus lucides d'entre eux. Ils voient bien qu'ils sont toujours face à une montagne de capitaux aussi fictifs qu'explosifs. Par ailleurs il leur devient de plus en plus laborieux d'assurer la reproduction du capital et de dégager les masses de profits réels qui seraient nécessaires pour pérenniser le fonctionnement de cette machine infernale qui s'écroulera si elle ne continue pas à foncer et à tout défoncer. Comment interpréter autrement leurs appels pathétiques à « relancer la croissance », à « réduire le coût du travail », à supprimer les « dépenses » concernant les services publics, les retraites et les indemnités de chômage ? Par leurs incantations tournées vers « la compétitivité » et « la valeur travail », ils ne peuvent pas mieux avouer que sans notre exploitation, la plus intense possible, sans le travail vivant, le capitalisme meurt ipso facto. Comme la productivité a augmenté ces dernières années de façon extraordinaire dans tous les pays, y compris ceux dits « émergents », la masse des prolétaires nécessaires pour produire les marchandises encore vendables, pour l'instant, doit être drastiquement réduite. La tendance lourde aux licenciements massifs, à la réduction des salaires, à la destruction des secteurs utiles mais pas générateurs de profits, se déploie dans tous les pays, sans exception. Jusqu'où, jusqu'à quand ? C'est nous, travailleurs et peuples du monde, qui fixerons la limite, qui dirons basta, on ne peut plus, on ne veut plus, on passe à d'autres rapports sociaux et ça démarre dès maintenant. Il y a nécessairement une limite à notre acceptation de ce processus de reproduction du capital qui est un processus de destruction de l'environnement, de notre santé et de nos vies. C'est pourquoi nous détenons l'alternative : supporter encore et encore la logique capitaliste dans tous les domaines, ou bien la contester, la refuser, la miner, la briser. On nous a assez répété que nous vivons désormais à l'ère de la mondialisation et qu'il fallait faire avec. Nous allons faire avec, mais à notre façon ! Chaque lutte, chaque grève, chaque mobilisation, révolte, rébellion, révolution doit être pensée et menée dans ce contexte mondial, en sachant que nous avons dans tous les autres pays des frères et des sœurs en lutte qui veulent, comme nous, vivre dignement, librement, heureusement. C'est cette perception qui donnera aux luttes en cours la plénitude de leur sens et un jour toute leur efficacité. ________________________________ Le déplacé Le cercle de Pouchkine Dialogues entre Hispanie et Japon In situ La révolution égyptienne en « live » _________________________________ LE DÉPLACÉ Avec « Le Déplacé » (éd L'aube, janvier 2012, 253 pages), Denis Langlois nous offre un récit très personnel qui a les qualités d'un roman limpide, au plus près des émotions et de la vie des gens qu'il a rencontrés au Liban en 1997. Qu'allait-il faire dans ce pays marqué par quinze ans d'affrontements atroces et où la paix est encore aujourd'hui toute relative ? Denis Langlois a traversé une crise personnelle dont il parle sobrement mais sans détours. Lui, l'avocat des droits de l'homme, le militant antimilitariste de toujours, a senti un jour que son idéal d'un progrès d'ensemble possible, d'une transformation révolutionnaire de la société, avait pris un coup de vieux. Le sens de sa vie s'en trouvant ébranlé, son seul allié fut le hasard qui à la suite d'une rencontre l'a poussé à se rendre au Liban à la recherche d'un certain Elias Kassem dont sa mère avait perdu la trace au cours de la guerre. Sa femme et ses deux enfants avaient été massacrés lors d'un des affrontements entre Druzes et Chrétiens. Au cours de son enquête que le lecteur dévore d'une traite, l'auteur découvre un pays enlaidi par un bétonnage effréné et affaibli, avec une population qui a bien du mal à soigner ses plaies les plus profondes pour « tourner la page ». Denis Langlois aime ce qui est aimable chez les personnes diverses qu'il rencontre. Il affronte toutes les réalités sans faux-fuyants. Il ne croit plus aux grands discours mais le meilleur de ses convictions est intact et s'en trouve même consolidé par cette précieuse expérience. LE CERCLE DE POUCHKINE Le poète et écrivain Alexandre Pouchkine (1799-1837) est peu ou très partiellement connu en France. Autant dire que les poètes russes qui furent ses amis ou ses admirateurs, sont complètement ignorés, eux qui étaient les contemporains de Shelley et Byron, d'Hölderlin et de Henri Heine. Le traducteur André Markowicz a comblé une lacune et réparé une injustice car certains sont de grands poètes. Il a accompli un travail en tous points remarquable en composant une anthologie intitulée, « Le Soleil d'Alexandre, Le cercle de Pouchkine 1802-1841 » (éd Actes Sud, septembre 2011, 574 pages). Comme le mot poésie a une fâcheuse tendance en France à provoquer de l'indifférence ou des bâillements d'ennui, il convient d'ajouter que ce livre a aussi un grand intérêt historique, politique et psychologique. André Markowicz est au demeurant un traducteur d'exception qui a retraduit tous les romans de Dostoïevski et tout le théâtre de Gogol et de Tchekhov avec Françoise Morvan, en gommant tout ce qui pouvait affadir ou édulcorer à l'excès ces auteurs dans des traductions antérieures. À nouveau la réussite est là dans ses traductions de nombreux poèmes de Pouchkine, de Joubovski, de Raditchev ou de Lermontov. On croit sentir le parfum coloré, subtile et sauvage de la langue russe des écrivains du XIXe siècle, sans soi-même connaître un traître mot de russe ! Chaque chapitre s'ouvre par une présentation très documentée, pleine d'allant, où l'on voit que Markowicz est au diapason des passions qui animaient ces poètes, la passion de la liberté, de l'amour, de l'amitié, de la beauté des mots et de la nature. Ces passions ressenties à la vie, à la mort, entraient en violente contradiction avec les désastres liés aux guerres napoléoniennes et surtout, avec les infamies d'un pouvoir tsariste étouffant, humiliant et sanguinaire. Certains des poètes ici présentés étaient directement liés ou impliqués dans le complot des jeunes officiers décembristes du 14 décembre 1825 contre le tsar Nicolas Ier. Dans un contexte tyrannique, la poésie est une arme et une forme de résistance. En mettant le langage en fusion et en puisant à la source vivace des contes russes, Pouchkine et ses amis ont été conduit selon les cas à l'exil, à la prison, à la folie ou à la mort perversement orchestrée par le pouvoir. Leur victoire aura été de transmettre un espoir audacieux, un feu sacré pour la liberté sous toutes ses formes aux générations suivantes. Aujourd'hui l'œuvre de Pouchkine et de ses amis est toujours vivante et nécessaire contre le tsar Poutine et sa bande. DIALOGUES ENTRE HISPANIE ET JAPON Grâce aux bienfaits de l'amitié qui donne à connaître ce qu'on aurait ignoré ou négligé, nous pouvons vous parler d'une expérience unique enregistrée en 2006 et 2007 sous le titre « Hispanie & Japon : Dialogues » (SACD Sony AliaVox). En 1549 le jésuite François Xavier débarqua au Japon à Kagoshima, accompagné de missionnaires portugais. Avant que le christianisme ne soit proscrit au pays du soleil levant en 1613, des documents attestent d'une admiration mutuelle entre François Xavier et la population locale. Le musicien catalan Jordi Savall a imaginé avec des musiciens japonais ce qu'aurait pu être le dialogue musical à l'époque entre les Espagnols et les Japonais. Sur cet enregistrement, la musique japonaise alterne et dialogue avec la musique chrétienne d'Hispanie. Le résultat est impressionnant. Notre attention se maintient dans les hautes sphères jusqu'à la dernière note. L'ombre de la mort est passée sur ce magnifique programme publié au printemps 2011. Il est un hommage au peuple japonais qui a affronté les effets d'un tsunami et d'un désastre nucléaire. En novembre dernier, la chanteuse Monserrat Figueras, dont on entend ici la voix pure et émouvante, nous a quittés, victime d'un cancer foudroyant. Mais il nous reste dans cet enregistrement, pour reprendre les mots de son mari Jordi Savall, « une fascinante rencontre de cultures et de traditions millénaires qui rappellent que la musique a toujours été le langage de l'esprit et du cœur. » IN SITU Il est temps à présent d'aborder les derniers développements des luttes en cours en Égypte et en Syrie qui sont d'une extrême importance. Une fois de plus, nous vous invitons à consulter sur ces sujets (et d'autres bien sûr) le site www.carre-rouge.org ainsi que le site alencontre.org, pour y découvrir des analyses et des notes de conjoncture d'un grand intérêt. Pour accéder à une vision d'ensemble de l'évolution de la situation en Égypte en 2011, nous vous recommandons également l'article de Jacques Chastaing publié il y a un mois dans le dernier numéro de « Variations » sur le thème : « Tahrir is here. Retour des espaces publics oppositionnels ». L'ensemble des textes de cette revue est téléchargeable gratuitement sur le site www.theoriecritique.com. RÉVOLUTION ÉGYPTIENNE EN « LIVE » Un ami nous a informé de l'existence d'un collectif égyptien de cinéastes et vidéastes révolutionnaires, Mosireen, qui édite de nombreuses vidéos intéressantes sur la révolution en Égypte. Nous reprenons ici les précisions transmises par lui qui estime à juste titre que des images sont parfois plus parlantes que des textes, ou en tout cas complémentaires et illustratives. On peut trouver les vidéos et les photos de ce collectif sur le site mosireen.org ou sur www.youtube.com/user/Mosireen/. Leurs vidéos donnent une idée de ce que vivent et voient les Égyptiens (puisque les vidéos de Mosireen sont très regardées). Elles sont bien sûr en arabe mais parfois sous-titrées en anglais. Si parmi nos lectrices ou lecteurs, certaines ou certains maîtrisant l'arabe pouvaient proposer un sous-titrage ou un commentaire en français, ces vidéos parlantes en elles-mêmes prendraient encore plus de relief. Notre ami nous a signalé plus particulièrement trois vidéos : « La première, sous-titrée en anglais, daté du 26 janvier, montre le début (notamment à la sortie de la mosquée Al Ahzar) ou le développement, de manière progressive, de manifestations de différents quartiers, Al Ahzar, Maadi, Heliopolis, Giza, etc. au Caire lors de la journée du 25 janvier qui, au total, a réuni plusieurs centaines de milliers de personnes. Certains journaux disent plus d'un million. Elle se termine place Tahrir (immeuble brûlé et place) : mosireen.org/?p=753. La seconde, datée du 28 janvier, non sous-titrée, montre les bousculades le 25 janvier place Tahrir autour de la tribune des Frères musulmans, lorsque la foule les insulte, (en montrant ses chaussures), leur demande de descendre de la tribune (gestes vers le bas) et crient « À bas le régime militaire » pour couvrir les sonos des Frères musulmans qui passent des chants patriotiques ou religieux : mosireen.org/?p=761. Enfin une troisième vidéo sous-titrée en anglais, montre la manifestation des femmes du 21 décembre dernier : mosireen.org/?p=600 ». [ndlr : traduction automatique du site ici : http://translate.google.com/translate?sl=ar&tl=fr&u=mosireen.org] Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mél. : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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