Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre no 137 (le 10 janvier 2012)

Bonsoir à toutes et à tous,

Bonne année à nous, acteurs et actrices des luttes en cours
et à venir, de tous les âges et de tous les pays !

Le cap est assez clair : en finir avec le capitalisme par
tous les moyens possibles et imaginables et inventer autre
chose, dès maintenant, par nos grèves, manifestations,
occupations, réflexions, rébellions, révolutions. Donc, nous
allons détruire les pouvoirs et l'emprise du capital, tout
en créant d'autres rapports sociaux faits d'entraide, de
solidarité, d'esprit festif, de mise en commun des moyens,
des idées et des énergies.

Rien de facile mais ce n'est ni le courage qui manque dans
le monde, ni la volonté de s'affranchir de toutes les
dictatures qui, sous leurs diverses formes, cherchent à
sauver les privilèges du 1 % de la population mondiale qui
se gave sous la protection de militaires, de flics et de
mercenaires politiciens et intellectuels, spécialistes des
mensonges et des diversions égarant les esprits.

Les gens constituant les 1 % en ont bien besoin pour
consolider leur position. Les paradis fiscaux se portent
bien. Le quotidien Les Échos a pu titrer fièrement jeudi
dernier : « Les dividendes des stars du CAC 40 résistent
à la crise. Les grandes entreprises devraient verser 37
milliards d'euros à leurs actionnaires. » Les ventes de jets
privés et de yachts explosent. Les quartiers luxueux sous
haute sécurité des oligarques de tous les pays prospèrent,
que ce soit dans les Hauts-de-Seine, en périphérie de São Paulo,
Dubaï, Los Angeles ou Pékin.

Deux ans après le cyclone qui a ravagé Haïti, des millions
de gens continuent à vivre sous des tentes dans la plus
extrême pauvreté tandis que l'État policier français fait
odieusement barrage au regroupement des familles haïtiennes
et qu'une poignée de riches Haïtiens s'adonnent aux sports
d'hiver dans le Colorado.

Les contradictions éclatent partout, ouvrant la porte aussi
bien à la barbarie, au désespoir qu'à l'émancipation, à la
volonté d'en finir avec toutes les injustices. Les partis et
groupes de droite et d'extrême droite, religieux ou pas,
enracinés dans les appareils d'État, s'agitent dans de
nombreux pays pour attiser des haines nationales ou
communautaires dans les classes populaires. Ils visent à
contrer et à saboter le grand vent de révolte qui se lève
contre un système économique et social intolérable. Les
résistances à leurs manœuvres sont fortes. Rien n'est joué,
que ce soit en Tunisie, en Égypte ou au Nigeria où une grève
générale a éclaté. En Syrie comme au Kazakhstan, la
répression ne vient pas à bout des aspirations des jeunes,
des travailleurs et des pauvres.

Les soulèvements inattendus qui ont inauguré l'année 2011 au
Maghreb, et les mobilisations qui l'ont clôturée aussi bien
aux États-Unis, au Chili, à Mayotte, qu'en Russie ou en
Grèce indiquent suffisamment par leur intensité et leur
extension géographique qu'un mouvement de fond à l'échelle
planétaire a commencé à se produire. Les grands
bouleversements libérateurs sont à venir et nous les
appelons de nos vœux.
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Afin que nul ne bouge
À l'Estaque
Au Havre
Sans domicile fixe
Des gens en Corée du Nord
Freude
Des revues stimulantes
In situ
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AFIN QUE NUL NE BOUGE
En France nous vivons sur un volcan de révolte sociale qui
ne dégage pour l'instant que de petites fumeroles.
L'inquiétude est en hausse. Les prix et les taxes
augmentent. Les ponctions fiscales se multiplient. Le
gouvernement s'en donne à cœur joie. Et il continue avec
obstination à déglinguer les services de santé et d'aide
sociale comme le secteur éducatif.

La déferlante des licenciements prend des proportions
alarmantes. C'est dos au mur que les salariés tentent malgré
tout de rendre les coups ou de sauver leurs emplois.

Les directions syndicales se dérobent et vont même répondre
misérablement à la convocation de Sarkozy. Les politiciens
se bousculent au portillon des entreprises menacées par une
cessation d'activité ou déjà en liquidation pour se faire
bien voir, au sens propre comme au sens figuré. Que nous
vaut cet intérêt subit pour les salariés en difficulté,
personnes habituellement oubliées ou méprisées ? Leur calcul
est qu'il y a là une niche de votes potentiels.

Mais au-delà il y aurait bien quelque chose comme une
crainte chez les gouvernants d'aujourd'hui et de demain.
Pour éviter que les salariés prennent le coup de sang
(surtout avant les élections, ça gâcherait la compétition),
ils font semblant d'avoir des solutions à leurs problèmes.

Mais qu'y a-t-il derrière leur blabla ? « Ruinez-vous en
créant des SCOP avec vos indemnités de licenciements ».
Sympa, non ? « Produisez français » comme disait déjà
Georges Marchais, à quoi Le Pen n'avait qu'à ajouter « avec
des Français ». Et ça nous mène où ce nationalisme
répugnant, cette xénophobie à l'égard des travailleurs
allemands, grecs, chinois, américains, etc. ? Et il mène où
le discours creux sur la réindustrialisation de la France,
sans se préoccuper de ce qu'on produit ni pour qui ni
pourquoi, ni de nos conditions de travail et de vie, en
détournant notre attention du fait que nous ne comptons que
comme producteurs de profits qui n'ont ni odeur ni
nationalité. Est-ce qu'un gros actionnaire se demande si ses
dividendes sont « made in France » ?

Si des centaines de milliers de salariés, de licenciés, de
chômeurs, de mal logés commençaient à se révolter
sérieusement, sans hésitation, en n'écoutant plus aucun
discours de diversion, en n'écoutant que leur bon sens pour
satisfaire les besoins de tous, en collaboration avec celles
et ceux qui subissent le même sort dans les autres pays, les
solutions se trouveraient très vite. Tout le monde aurait un
logement et des revenus corrects pour bien vivre.


À L'ESTAQUE
Trois films sur les conditions de vie des prolétaires sont
sortis sur les écrans ces dernières semaines qui offrent des
angles de vue et de réflexion intéressants : « Les neiges du
Kilimandjaro », « Le Havre » et « Louise Wimmer ». Nous
allons nous arrêter un peu sur chacun d'entre eux, ce qui au
passage ne dissuadera personne d'aller voir « Carnage » de
Roman Polanski, une satire passablement cynique, extrêmement
drôle et bien jouée, de deux couples aisés new-yorkais en
conflit exponentiel à propos d'une bagarre entre leurs
enfants. Ils ont aussi leurs petits ennuis mais leur mode de
vie très confortable n'est pas (pour l'instant) atteint par
la crise.

Ce qui n'est pas le cas des prolos de l'Estaque, près de
Marseille, filmés par Robert Guédiguian dans « Les neiges du
Kilimandjaro ». La première scène est à la fois dérangeante
et étonnante de la part de ce réalisateur. Elle montre une
opération organisée par la CGT sur le port pour tirer au
sort les noms des vingt travailleurs qui doivent être
licenciés pour répondre aux exigences d'un plan de
licenciements. Le responsable du syndicat a des scrupules et
se met dans le lot. Ensuite cela pourrait être une vie
tranquille de préretraité qui vit depuis trente ans avec une
femme qu'il adore, en dégustant ses sardines grillées avec
ses petits-enfants, en bricolant une pergola pour ses
enfants, en sirotant un petit jaune en famille et avec ses
amis sous le soleil méditerranéen.

Tout cela est cassé par un vilain hold-up à domicile. C'est
le temps de l'amertume, des interrogations, du chamboulement
des convictions tranquilles d'avoir été un bon militant
sympathique et dévoué, « qui s'est toujours sacrifié pour
les autres ». À ce moment-là, Guédiguian monte en puissance
et on le suit. Mais il fait bifurquer son histoire avec un
tel réalisme féroce à la Ken Loach qu'il va lui être
difficile de sauver l'âme et la bonne humeur de son
syndicaliste, de sa femme aide-ménagère et de leurs proches
qui ont mené les mêmes combats qu'eux.

Il lui faut donc faire une pirouette pour déboucher à tout
prix vers une fin utopique et gratifiante afin de « ne pas
désespérer l'Estaque » et la classe ouvrière française en
2012. Sauf que sa cascade est ratée. On était prêt à
accepter bien des choses car les acteurs Ariane Ascaride et
Jean-Pierre Darroussin parviendraient à nous émouvoir en
lisant les Pages Jaunes. Mais là c'est trop. Car pour finir
sur un happy end réconfortant de bonté sirupeuse, il lui a
fallu traiter la psychologie de deux enfants laissés en rade
avec une désinvolture inadmissible, comme s'il s'agissait de
deux benêts contents d'avoir du nutella et d'être traités
gentiment par des inconnus.


AU HAVRE
Autre film, autre port, « Le Havre » du finlandais Aki
Kaurismäki. Ambiance beaucoup plus brumeuse et grise au
premier abord. Le réalisateur a le blues grave et il ne s'en
cache pas dans ses interviews. L'époque ne lui plaît pas et
il ne cherche pas à la « comprendre » comme son collègue
Guédiguian qui est perturbé par ses préoccupations
militantes. Kaurismäki, c'est autre chose. Il est en colère,
point barre.

C'est une histoire d'aujourd'hui avec des immigrés cherchant
à gagner l'Angleterre et des flics qui les pourchassent.
Mais le réalisateur y a introduit des personnages, des
objets et des véhicules qui datent de la fin des années
cinquante et du début des années soixante. Il a rajouté à sa
guise du bleu, du vert et quelques pointes de rouge dans le
décor. La ville reconstruite et son vieux quartier des
dockers s'en trouvent magnifiés. En un ou deux plans
superbes, hommage est rendu au tableau de Claude Monet,
« Impression soleil levant » sur le port du Havre.

La solidarité sonne juste, comme une évidence imparable. Le
jeune africain en cavale a une présence, une densité qui
poussent naturellement tout un réseau de commerçants,
ménagères et piliers de bar à agir tranquillement, quand il
faut et comme il faut. Pas trop vite, Kaurismäki déteste la
vitesse, le tempo hystérique de notre époque. Au cœur de
l'action se trouve Marcel Marx (!), un cireur de chaussures
en rupture de carrière littéraire, excellemment interprété
par André Wilms.

Le vieux rocker du cru, Little Bob, se retrouve fugitivement
comme un poisson dans l'eau dans ce conte au réalisme
poétique. Pierre Etaix en médecin bienveillant est parfait.

Quand un cinéaste suit la logique de son cœur et de son
esthétique, tout se tient, y compris qu'une tenancière de
bar vienne à l'hôpital lire une nouvelle de Kafka à sa
voisine atteinte d'un cancer réputé incurable.


SANS DOMICILE FIXE
« Louise Wimmer » du jeune réalisateur Cyril Mennegun
n'emprunte pas les mêmes chemins que ses aînés. Le réalisme
est tel qu'on se trouve à deux doigts d'une étude
documentaire aiguisée sur une femme approchant la
cinquantaine et interprétée par Corinne Masiero.

Louise a connu un divorce qui a laissé de méchantes traces.
Elle fait des ménages chez une bourgeoise et elle fait les
chambres et les petits déjeuners dans un hôtel avec une
jeune collègue. Elle n'a pas d'autre endroit où habiter que
sa voiture. Si elle la trahit, c'est la catastrophe. Elle
met en jeu toutes les astuces et tactiques de survie pour
rester propre, se nourrir, remplir le réservoir de sa
voiture et accomplir son travail a minima. Pour ne pas
sombrer, il lui faut toujours remettre en route la mécanique
d'un corps épuisé mais encore séduisant.

Les bonnes paroles, les promesses, les attitudes
d'apitoiement, elle n'en veut pas. Les coups de mains, la
solidarité non marchandée, d'accord, elle est preneuse.
Louise est constamment tendue, se bat jour après jour pour
obtenir un appartement qui lui passe toujours devant le nez.
Alors parfois elle n'est pas très sympathique, elle craque,
elle fait trop la fête. Elle se dope aux chansons de Nina
Simone, jusqu'à la saturation.

Comme dans le témoignage de Florence Aubenas, « Le quai de
Ouistreham », on saisit que si chacun doit faire preuve de
courage, ce n'est pas le chacun pour soi intégral. Il y a
tous ces petits gestes des autres qui aident à faire la
soudure, qui sauvent de la honte ou du découragement. C'est
la vie pénible et bricolée d'une partie de plus en plus
importante du monde salarié.


DES GENS EN CORÉE DU NORD
Il y des gens en Corée du Nord. On finirait par en douter
tellement il est commode pour les médias d'assimiler un
peuple au régime qu'il subit. Opération d'autant plus facile
que la coterie de privilégiés en place dans ce pays qui
s'appuie sur une armée pléthorique impose sa dictature au
travers d'images, de slogans et de rituels caricaturaux bien
rodés. Il n'y a guère que la propagande qui fonctionne bien
en « République populaire démocratique de Corée ». Mais
derrière ce décorum, il y a des gens avec des problèmes
qu'on découvre un peu au travers de reportages comme ceux de
Philippe Pons dans « Le Monde » récemment mais aussi grâce à
la première traduction en français d'un roman nord-coréen,
« Des amis » de Baek Nam-Ryong par Patrick Maurus et Yang
Jung-Hee (éd Actes-Sud, 244 pages, septembre 2011).

Ce roman a été publié en 1988 à Pyongyang par un homme né en
1949 qui après dix années de travail en usine a étudié
l'écriture à la faculté centrale Kim-Il-Sung pour devenir
dans son pays un écrivain à succès. La préface de Patrick
Maurus signale d'intéressants problèmes de traduction et
resitue ce roman dans une évolution littéraire où les
exploits des militaires ou des géniaux dirigeants du Parti
ont cédé le pas à des héros plus ordinaires.

L'intrigue tourne autour d'une demande de divorce entre une
ouvrière devenue cantatrice et son mari resté tourneur et
cherchant depuis des années à mettre au point une machine
innovante. Le juge local chargé des questions matrimoniales
mène une enquête poussée et cherche à comprendre les raisons
de cette femme et de son mari. Pas de précipitation donc car
se prononcer en faveur d'un divorce équivaut à entériner un
dysfonctionnement social.

Là où les choses se compliquent de façon tout à fait
intéressante pour le lecteur, c'est lorsqu'un cousin bien
placé et quelque peu corrompu veut intervenir auprès du juge
et quand on découvre que ce juge a lui-même des problèmes
dans son couple.

La narration, bien menée et non dépourvue de poésie, est
évidemment corsetée par les contraintes idéologiques
maoïstes et confucianistes ; avec en plus quelques
révérences obligées à la sagesse du Parti et aux principes
harmonieux qui présideraient au fonctionnement de la
société. Cela ajoute une touche d'humour involontaire et
donne une idée des pressions morales qui s'exercent sur les
gens et en particulier sur les femmes. Néanmoins le vécu et
la psychologie des différents personnages, leurs sentiments,
leurs soucis et leurs déchirements, parviennent à se glisser
et à nous toucher.


FREUDE
Par on ne sait quel miracle ou bizarrerie, une chaîne
télévisée nous offre parfois un document qui, profondément,
nous émeut et nous reste en mémoire. C'est un moment de cet
ordre que Arte nous a donné à voir dans l'après-midi du 31
décembre dernier. Un chef d'orchestre japonais (Yutaka Sado)
a accepté de faire chanter ensemble dix mille choristes à
Osaka pour interpréter « l'hymne à la joie » sur des paroles
du poète Schiller et la musique de Beethoven qui conclut sa
neuvième symphonie. En simultané, des survivants du tsunami
à Sendai jouaient et chantaient la même musique. Le chef qui
officie actuellement à Berlin a aussi considéré ce concert
comme un hommage en remerciement aux musiciens européens qui
ont manifesté leur solidarité aux victimes du tsunami et de
la catastrophe de Fukushima.

La difficulté qui, une fois surmontée, a donné une confiance
extraordinaire et bienfaisante aux participants, consistait
à chanter avec force et conviction le premier mot, « Freude
», la joie en allemand. Le chef s'est employé à expliquer en
détail aux choristes le sens humaniste et de fraternité
universel du poème. Il s'est mêlé à la première ligne de
chanteurs et chanteuses pour leur communiquer son énergie et
leur révéler la leur. Le résultat a été beau et pour tout
dire bouleversant. Devant son téléviseur, on ne se sentait
plus en droit de douter des capacités de l'humanité à
surmonter ses épreuves et à créer de belles choses.

La video est visible ici : http://youtu.be/paH0V6JLxSI
plus de détails :
www.suntory.co.jp/culture-sports/daiku/ (autre extrait)
www.suntory.co.jp/culture-sports/daiku/history.html


DES REVUES STIMULANTES
Le dernier n° de la revue Carré rouge est sorti en décembre
dans sa version papier et est à présent en ligne sur le site
www.carre-rouge.org. Dans ce numéro 46, vous découvrirez
des analyses approfondies sur la crise économique mondiale,
le mouvement « Occupy Wall Street » aux États-Unis, les
luttes et problèmes politiques et sociaux en Grèce et en
Chine et un article à propos du « Manifeste pour une santé
égalitaire et solidaire » publié l'automne dernier. L'angle
d'approche de la revue reste celui formulé par l'article qui
ouvre ce numéro : « Quand les « gens » s'occupent de ce qui
les regarde ».

Nous signalons également la sortie à la fin de cette semaine
d'une nouvelle livraison très riche en récits, analyses et
interventions stimulantes de la revue électronique
« Variations », sur le thème : « Tahrir is here. Retour des
espaces publics oppositionnels ». Elle sera téléchargeable
gratuitement sur le site www.theoriecritique.com.


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne sur notre
site l'article de Carine Clément sur « La Russie des
indignés ».

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder
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    cette lettre, écrivez-nous:

  mél. : Culture.Revolution@free.fr
 http://culture.revolution.free.fr/
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