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Journal de notre bord

Lettre no 135 (le 10 novembre 2011)

Bonsoir à toutes et à tous,

Ces derniers temps les hommes d'Etat s'usent aussi vite que
certaines mauvaises marchandises que les patrons nous
obligent à produire ou à consommer. Exit Papandréou en
Grèce, exit Berlusconi en Italie à la suite de José Socrates
au Portugal et de Tony Blair en Grande-Bretagne. La grande
déroute des politiciens ne fait que commencer. Car les
« opposants » ne se précipitent pas d'un cœur léger pour
s'emparer de la patate brûlante que représente par temps de
crise l'exercice de l'État. Il y a des coups à prendre comme
le savent par expérience les politiciens grecs qui doivent
se cacher ou se déplacer bardés de flics pour se protéger de
foules en colère qui les virent de coins tranquilles comme
de tribunes officielles.

Que sont-ils d'autre au juste ces hommes d'État du G20 que
des huissiers mandatés par les banques pour s'emparer de nos
maigres ressources ? Ils viennent et reviennent avec leurs
mesures et plans d'austérité qui s'enchaînent en rafale dans
tous les pays européens et au-delà. Qu'ils se conduisent en
hystériques, en marioles obscènes ou en croque-morts
impassibles ne change rien de fondamental à leur fonction.
À la longue, à force d'être injuriés, détestés, haïs comme on
l'a vu en Grèce et en Italie, il faut que d'autres huissiers
plus « frais » (de gauche ou de droite quelle importance)
émergent d'un scrutin quelconque. Il faut qu'ils soient tout
aussi impitoyables avec les peuples et serviles avec les
grands groupes et actionnaires qui se cachent sous un
curieux vocable, « les marchés ». Comme si les capitalistes,
les banquiers, les grands patrons, les riches, les grands
bourgeois, les dominants, peu importe comment on les nomme,
avaient besoin de s'abstraire de la scène du monde.

Les « marchés » ont peur, les « marchés » sont insatisfaits
et demandent plus de sacrifices ! Cela a un côté puissances
infernales mythologiques qu'on ne peut ni cibler ni contrer.
En conséquence nous les Danaïdes d'aujourd'hui, serions
condamnées à remplir sans fin un tonneau sans fond dont le
diamètre ne cesse de croître et que des économistes bien
renseignés sur les fétiches du capital appellent avec
respect et terreur, « les dettes souveraines » (ou
publiques). On peut donc aussi bien renverser ce tonneau
tout de suite, le réduire en miettes, nier son existence
suspecte et de toute façon ne pas sacrifier nos vies à le
remplir jusqu'à qu'épuisement, misère et mort s'en suivent.
Car voilà notre destinée commune si nous acceptons de payer
ces dettes créées par le capital aussi bien financier
qu'industriel et commercial.

La population grecque en a pris pleinement conscience et
c'est pourquoi le mouvement « Je ne paie pas » prend de plus
en plus d'importance au fil des mois et se traduit par des
actes concrets pour ne pas payer des taxes, des forfaits
hospitaliers et des péages, pour rétablir le courant à des
citoyens qui ne peuvent pas payer leur facture d'électricité
augmentée d'un impôt immobilier, etc.

Loin de la Grèce mais tout près des préoccupations de ses
citoyens, le vent de la contestation du système se lève et
se renforce aux États-Unis. Le mouvement Occupy Wall Street
touche de plus en plus de villes et se diversifie dans ses
formes. Le 2 novembre dernier, la ville portuaire de Oakland
a connu une journée de grève générale à la suite d'un assaut
brutal par la police faisant un blessé grave. On trouvera un
récit et des informations détaillées sur le site
http://www.occupyoakland.org en anglais et sur le site
http://alencontre.org en français.

Les étudiants, les salariés, les retraités et les chômeurs
qui se mobilisent dans plusieurs pays ont des questions à
discuter et à élucider. Ainsi en Europe, certains proposent
de sortir de l'euro. Cette proposition n'arrangerait rien.
Il faut plutôt nous préparer à sortir du monde de l'argent
car sous le règne de la livre sterling, du dollar, du peso,
du yen ou du yuan, la vie des travailleurs n'est pas
meilleure ni plus assurée à ce qu'on sache. Il nous faut
sortir de l'emprise du capital en arrêtant d'assurer sa
survie. Car sans notre collaboration, le capital ne peut pas
se reproduire, il est appelé à mourir.

Les moyens et les solutions ont commencé à se présenter en
Tunisie puis en Égypte, place Tharir et ailleurs. Ces deux
révoltes inespérées ont encouragé d'autres mouvements
d'occupation comme celle du Capitol à Madison dans le
Wisconsin en février dernier, puis la place Puerta del Sol
et place Syntagma…

Occuper tout ce qui nous appartient, tout ce qui nous
revient, tout ce qui nous est nécessaire pour débattre, nous
connaître, nous renforcer collectivement, nous projeter vers
un autre vivre ensemble : les places, les quartiers, les
bâtiments publics, les entreprises… Une lutte multiforme,
sans frontières, de tous les opprimés, exploités, ruinés de
tous les pays commence à se dessiner. Là se trouve l'espoir
d'en sortir et de refonder nos existences sur d'autres
valeurs que celles du fric, de la concurrence, de la
compétitivité et de l'évaluation tous azimuts.
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Poursuivre le désastre ?
De Sunset Park à Zuccotti Park
L'exercice de l'État
La sagesse du faiseur de chanson
In situ
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POURSUIVRE LE DÉSASTRE ?
On entend parfois des considérations étranges. Il faudrait
ainsi continuer à construire l'EPR de Flamanville car ce
serait trop bête qu'autant d'argent ait déjà été investi
pour rien, sans compter les emplois dans le secteur. Tiens
donc, c'est très coûteux, ces nouvelles centrales nucléaires
? Oui, mais à la fin des fins, il paraît que l'électricité
revient moins cher. Comprenne qui pourra. En plus il
faudrait continuer le gâchis sans trop se faire de bile sur
les risques. Et cela après Fukushima. Hauts les cœurs !
Continuons le désastre humain et financier avec notre futur
président François Hollande ! Les patrons de la filière
nucléaire applaudissent bien fort.

C'est l'exemple même d'un raisonnement cynique pour nous
faire avaler n'importe quoi. C'est un peu comme si on
proposait de continuer à produire de l'amiante (certains
pays le font), du mediator et des mines antipersonnelles
parce que, vu les coûteux investissements déjà effectués
pour produire tout cela et étant donné que ces secteurs
représentent de nombreux emplois, ce serait franchement
dommage d'arrêter de telles productions. Et puis n'oublions
pas la force de frappe nucléaire française qu'il faudra
toujours entretenir et remplacer comme un parlementaire
socialiste spécialiste de l'arsenal militaire hexagonal l'a
déclaré dans « Le Monde ». Certes pour payer tout ce
nucléaire civil et militaire, il faudra tailler encore dans
les budgets des services publics, il y aura toujours plus de
gens sans emploi, sans logement et sans couverture sociale
mais ils auront un beau bouclier nucléaire et des centrales
de la dernière génération.

Il y a trente ans le slogan du Parti socialiste était
« Changer la vie » mais il ne précisait pas dans quel sens.


DE SUNSET PARK À ZUCCOTTI PARK
Les États-Unis sont décidément toujours aussi riches en
écrivains de grande valeur, attentifs aux mouvements de la
société et de l'histoire de ce pays. Nous avons conseillé le
mois dernier la lecture du roman « Freedom » de Jonathan
Franzen. Celui de Paul Auster, « Sunset Park » (éd Actes
Sud, 320 pages) offre un autre regard. Sa lecture s'impose
de façon encore plus évidente pour plusieurs raisons,
politiques, psychologiques et esthétiques.

Son récit se situe entre 2008 et le printemps 2009. Autant
dire qu'on est dans la phase chaude d'une crise économique
et sociale qui était déjà à l'œuvre depuis l'été 2007. Les
jeunes gens qui sont au cœur de ce roman ont compris que la
course du rat dans le labyrinthe de la réussite matérielle
auxquels on les conviait naguère est dénuée de sens. Mais
les parents, comme ce père à la tête d'une petite maison
d'éditions au bord de la faillite, le savent presque autant.

Le lecteur reçoit le choc de la crise sociale en pleine
figure dès la première page. Miles Heller, vingt-huit ans,
a trouvé, après une série de petits boulots aux quatre coins
du pays, un emploi de déménageur de logements en Floride,
pour le compte des banques locales. Il évacue avec ses trois
collègues les innombrables objets et débris laissés par des
familles expulsées, suite à leur faillite et à la saisie de
leur maison.

Les trois autres jeunes qu'il aura l'occasion de retrouver
dans une maison squattée à Brooklyn bricolent leur vie comme
lui, avec les moyens du bord. L'excitation pour faire de
l'argent, consommer à tout va, ce n'est pas leur longueur
d'onde. La leur est plutôt celle de la création, du respect
mutuel, de l'amitié et de l'amour. Ce qui ne va pas toujours
de soi.

Pour accomplir sa passion personnelle (faire de la musique
dans un groupe de jazz rock, mener à bien une thèse
articulée autour d'un film d'après-guerre ou chercher une
expression graphique originale), chacune et chacun doivent
travailler dur à côté. Pour manger et guère plus. Pas moyen
de se payer un loyer, d'où le squat minable que chacun
arrange au mieux. Ce sont à la fois des précaires,
prolétaires, étudiants et artistes. Des jeunes qu'on imagine
tout à fait, en cet automne 2011, impliqués dans le
mouvement Occupy Wall Street.

Comme ce roman est sorti à New York en 2010, on est
impressionné par l'extrême sensibilité de Paul Auster à ce
qui se passe dans la tête de ces jeunes, de leurs parents ou
beaux-parents, sans qu'il ait eu besoin d'attendre pour
prendre du recul. L'hypothèse vient à l'esprit qu'il était
sans doute plus disponible que d'autres à comprendre
l'intelligence, les blessures, les idées à contre-courant et
la colère des hommes et femmes de cette jeune génération qui
cherchent à réaliser leurs rêves dans le présent et l'avenir
proche (et non dans un avenir bouché ou indéterminé). Dans
un tout autre moment historique, ce fut aussi le cas du
jeune étudiant Paul Auster en 1968, à l'université Columbia
de New York.

« Sunset Park » donne l'impression que le romancier a
renouvelé son inspiration de façon heureuse, tout en restant
fidèle à lui-même, le grand écrivain en résistance de « Moon
Palace », de « Léviathan » ou de « La musique du hasard ».
Son style coulant va droit au but, avec une tension et une
souplesse du récit où le mouvement des âmes est plus
attachant que jamais. Au même titre qu'on parle de
profondeur de champ, il y a ici également une profondeur de
l'histoire des États-Unis où des liens intimes se tissent
entre les gens vivant la crise d'aujourd'hui et les héros de
jadis du base-ball ou les rescapés muets de la Deuxième
guerre mondiale, comme de toutes les guerres, du Vietnam,
d'Irak ou d'Afghanistan.


L'EXERCICE DE L'ÉTAT
Le film de Pierre Schoeller, « L'Exercice de l'Etat » (1h 52),
est un thriller politique réussi sur toute la ligne
tant par son scénario, son découpage et sa distribution. On
commençait à être sérieusement lassé par tous les efforts de
dérision bas de gamme qui, à force, ne font ni chaud ni
froid à Sarkozy et sa bande. Le réalisateur aborde la vie
interne du gouvernement sous un angle beaucoup plus dense et
implacable. Il y a tout lieu de penser qu'il restera
pertinent avec un changement de président et qu'il pourrait
tout aussi bien s'appliquer à celui qui a précédé celui en
place actuellement à l'Élysée. On peut même remonter à la
présidence de Mitterrand si on en croît Michel Rocard, très
fier d'avoir été un de ces cow-boys gouvernementaux, en
délicatesse avec son président.

La caméra se place au coeur du champ des forces
gouvernementales en suivant les tribulations quotidiennes du
ministre des transports entre « le terrain », son bureau et
sa voiture de fonction. Les autres sont traités au
téléphone. Un train de vie sous tension où il faut avant
tout soigner son image et ses propos relayés par les médias.
Qu'il se rende sur les lieux d'un accident ou qu'un collègue
le tacle par des déclarations contradictoires aux siennes,
l'obsession est « la communication », cette forme aussi
idiote que raffinée du mensonge d'État perpétuel.

D'autant plus que les luttes intestines font rage entre
ministres. L'équilibre de chacun est perpétuellement
instable entre une future promotion ou un futur limogeage.
Un ministre, avec son chef de cabinet et sa ribambelle de
conseillers, a aussi parfois une idée ou une conviction
auquel il tient, le temps d'y renoncer sous la pression d'en
haut. Parfois la réalité des gens extérieure à son habitacle
confortable lui explose au visage. De quoi vomir parfois, y
compris pour un ministre.

Pierre Schoeller a complexifié son histoire de façon très
intéressante en introduisant un chômeur embauché pour
quelques mois comme chauffeur du ministre. Le silence de ce
prolo est déroutant, assourdissant pour ce ministre qui lui
assène avec bienveillance ce que, bien sûr, il doit penser.
Ces gens d'en haut croient tout savoir, ce qui les perdra
d'une manière ou d'une autre

La réalité du gouvernement actuel de Fillon-Sarkozy est
certainement plus brutale et caricaturale que ne la présente
ce film. Mais le choix de rester en retrait d'un cran de la
bouffonnerie sarkozienne fait beaucoup mieux ressortir les
failles du pouvoir et son caractère terriblement autiste par
rapport à la réalité sociale. C'est ce qui est nécessaire à
un gang gouvernemental pour manipuler l'opinion et habiller
de phrases trompeuses des décisions consternantes.


LA SAGESSE DU FAISEUR DE CHANSON
Dans un petit recueil de 106 pages, « La Sagesse du Faiseur
de Chanson » (éd JC Béhar), Georges Moustaki nous livre en
toute simplicité et sans fausse modestie ses rencontres, ses
plaisirs, ses déconvenues et ses fiertés au cours de sa vie
de chanteur et de compositeur.

Il commence dans les premières pages par l'épisode le plus
dur : un jour de janvier 2009 à Barcelone, il doit annoncer
au public qu'il ne chantera plus à cause d'une maladie des
bronches dont on ne guérit pas. « Le public réagit par un
silence ému, plus bouleversant que les plus grandes ovations ».

Mais le pathétique n'est pas de mise dans ce livre. Le
chanteur préfère de beaucoup parler de tout ce qui a fait le
charme de sa vie, ses amitiés, ses amours, la musique, sa
jeunesse dans un milieu cosmopolite à Alexandrie en Égypte
où l'on parlait indifféremment plusieurs langues. « Ainsi le
français se mélangeait au grec, à l'italien, au turc etc.,
avec des ponctuations arabes, des anglicismes, et parfois
des mots dont on ne savait pas si c'était de l'arménien, du
persan ou du serbe. » « Par la suite j'ai appris l'arabe,
l'hébreu, le portugais, l'anglais et l'espagnol. » Côté
« identité nationale », « le métèque » Moustaki laisse
grandement à désirer, ce qui nous plait sans restriction.

Sans prendre la pose du chanteur engagé, il aura été aussi
de tous les bons combats contre les dictatures et les
oppressions. Dans certaines de ses chansons, comme « Sans la
nommer »,il a réussi à marier poésie et politique avec un
naturel qui traverse les époques.


IN SITU
Nous avons mis en ligne un texte sur les récents événements
en Égypte qui va à l'encontre des interprétations biaisées
et complaisantes à l'égard de l'armée égyptienne véhiculées
par les médias français et les « experts » de ce pays. Ce
texte a pour titre « Les soi-disant conflits confessionnel
en Égypte ou le parti pris des médias français ».

Très prochainement, nous allons mettre en ligne un texte qui
offre une interprétation des élections en Tunisie et de la
situation politique dans ce pays qui, là encore, va
fortement à rebours de l'interprétation dominante. Ce texte
a pour titre : « Tunisie: des élections qui masquent mal la
colère sociale ».


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
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  mél. : Culture.Revolution@free.fr
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