Journal de notre bordLettre no 131 (le 11 juillet 2011)Bonsoir à toutes et à tous, « Sauver les banques » ou saisir les banques ? Telle est la question vitale qui se pose aux classes populaires en Grèce comme dans toute l'Europe et au-delà. Le gang des financiers et gouvernants flanqués de leurs porte-parole nous assène jour après jour qu'il faut « sauver la Grèce », « sauver l'euro et l'Europe » alors qu'il ne s'agit que de sauver en premier lieu la mise des banques et deuxièmement de pérenniser la croissance de leurs profits et de leurs activités prédatrices. Les « plans de sauvetage » sont en fait des plans de braquage des peuples. Les manifestants en Grèce, place Syntagma à Athènes, ont subi une répression sévère le jour où un nouveau plan de destruction de leurs revenus vitaux et des services publics a été adopté par le Parlement local avec la bénédiction de la Banque Centrale Européenne et du FMI. À cela s'est ajouté comme bonus pour tous les capitalistes intéressés, un plan de privatisation d'entreprises publiques grecques. Par ailleurs, il n'a pas été question d'imposer les armateurs et l'Église orthodoxe. Les popes et les gros affairistes sont sacrés comme nos patrons du CAC 40 qui ici échappent à l'impôt, sans parler des « aides publiques » qu'ils empochent. Les manifestants en Grèce ont résumé leur point de vue en une formule brève, claire et raisonnable : « On ne doit rien ! On ne vendra rien ! On ne paiera rien ! ». Ce slogan est étayé par des arguments qui ont été développés notamment par le Comité grec contre la dette. Il propose un contrôle et un audit des livres de la dette publique. Cette exigence qui se prolongerait tout naturellement par le contrôle de tous les livres de compte capitalistes relève des mesures de sauvetage de la société qui est en train de se détériorer sous les coups de boutoir du capital. Avant d'être en mesure de prendre des mesures concrètes de grande ampleur dans ce sens, il nous faut au minimum disposer d'une solide argumentation pour réduire en miettes les affirmations, formulations et mensonges de l'adversaire. À cet égard, le petit livre de François Chesnais qui vient de sortir, « Les dettes illégitimes, Quand les banques font main basse sur les politiques publiques » (éd Raisons d'agir) explique clairement comment se sont créées ces fameuses dettes, par qui et à qui elles profitent. Les données et arguments qu'il fournit peuvent s'avérer très utiles dans le cadre d'une campagne à la base, du type de celle menée pour désosser l'argumentaire du Traité Constitutionnel Européen et la furieuse injonction des classes dominantes à nous demander de l'approuver. L'enjeu brûlant (avant de devenir carbonisant) est de nous faire payer leurs dettes, au péril de notre santé, de l'éducation, de la recherche, de notre logement et de toutes nos capacités individuelles et collectives à vivre décemment. Au risque de peiner ceux qui se passionnent pour les compétitions électorales organisées par la bourgeoisie française et ses institutions, il nous semble que l'urgence est plutôt, ici et maintenant, d'argumenter et de lutter aux côtés des travailleurs et des jeunes des autres pays européens pour annuler toutes les dettes illégitimes, voire odieuses. Nous pouvons nous passer des capitalistes. Leur faiblesse est qu'ils ne peuvent pas en dire autant. ____________________________________ La tourte aux épluchures de patates Train de nuit pour Lisbonne Célébrations de la nature La belle meunière In situ _____________________________________ LA TOURTE AUX ÉPLUCHURES DE PATATES Nous n'allons pas vous communiquer la recette de cette tourte pour temps de pénurie. Mais pour passer quelques bonnes heures de lectures fraîches et pétillantes, rejoignez « Le Cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates » de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows. Ce roman épistolaire paru en mars 2009 (éd Nil, 395 pages) vient d'être réédité en collection de poche. L'aventure commence à Londres en janvier 1946 où Juliet Ashton, jeune chroniqueuse qui a accédé à un certain succès au cours de la Deuxième guerre mondiale, cherche un sujet de roman. Il va petit à petit lui être fourni par les lettres que lui envoient des habitants de Guernesey. Sous les bombardements à Londres, avec son lot de privations, de drames et aussi de petits épisodes comiques, Juliet n'imaginait pas que les habitants des îles anglo-normandes avaient eux aussi connu la faim mais, de plus subi l'occupation par les troupes allemandes, d'où des humiliations et des épisodes de répression féroce. Mais l'échange ne commence pas sous ces auspices dramatiques mais ceux de l'humour. Juliet apprend qu'à l'occasion d'un dîner de cochon rôti consommé clandestinement par un groupe d'habitants, une jeune femme avait eu la présence d'esprit de faire croire aux autorités allemandes qu'il s'agissait d'un cercle littéraire. Qu'on soit valet (se faisant passer pour le propriétaire en fuite), fermier ou couturière, il n'y avait plus d'autre choix ensuite que de constituer réellement un cercle littéraire et de dénicher tous les livres disponibles ! Chacun y prit goût à sa façon. Il y avait celui qui s'en tenait à un livre de Sénèque, un autre qui n'hésitait pas à traiter Marc-Aurèle de « vieille radoteuse », celles et ceux qui découvraient avec enthousiasme Shakespeare, les sœurs Brontë et plus tard Jane Austen. « À force de lire, de parler de livres et de nous disputer à cause d'eux, nous en sommes venus à nous lier étroitement les uns aux autres. » C'est un roman extrêmement drôle, dramatique aussi, avec une foule de petites inventions et observations pertinentes qui mettent de bonne humeur. Il y a de vilaines personnes, stupides ou odieuses, et aussi des gens libres de tout préjugé et formidablement généreux. Guernesey est décidément un endroit très tonique, grâce à cette correspondance pleine de charme et d'émotions vraies. TRAIN DE NUIT POUR LISBONNE Pascal Mercier est un écrivain et philosophe suisse de langue allemande. Nous vous souhaitons un grand plaisir de lecture avec son roman, « Train de nuit pour Lisbonne » (10/18, 510 pages, 2008). Plusieurs métaphores sont possibles pour parler de ce livre puisqu'il y est question d'un voyage en train, de parties d'échecs, d'un parcours dans les livres et les langues anciennes ou lointaines, et d'une enquête sur un inconnu, un médecin de Lisbonne à la personnalité extraordinaire. S'il s'agit d'une partie d'échecs, on est heureux qu'elle dure longtemps et on est sûr d'y gagner beaucoup. S'il s'agit d'un voyage en train, on n'est pas pressé qu'il se termine et on se pénètre de multiples sensations et réflexions, avec un plaisir rare. Le point de départ se situe à Berne en Suisse. Raimund Gregorius, un professeur de latin, de grec et d'hébreu, se retrouve un matin en situation de sauver une jeune femme qui veut se jeter par-dessus le parapet du pont de Kirchenfeld. Elle lui a juste révélé qu'elle était « português », pour s'éclipser un peu plus tard. Ce passionné de langage découvre ensuite un petit livre étrange paru en 1975 d'un auteur portugais inconnu. La lecture de quelques lignes de ce livre, aux même sonorités chuintantes et veloutées de la langue portugaise, est un choc pour Gregorius. Elle va faire définitivement bifurquer sa vie studieuse, bien remplie mais routinière. À cinquante-sept ans, Gregorius abandonne collègues et cours brillants devant des élèves subjugués, pour tenter de découvrir sur place, à Lisbonne, qui était cet Amadeu de Prado aux réflexions si profondes. Pourquoi a-t-il exercé une telle fascination sur ses proches ? Gregorius découvre des personnalités étonnantes et aussi des aspects de ce qu'a été la dictature de Salazar et la vie d'un réseau de résistance, avec ses amitiés, ses ruses, ses malentendus et ses déchirures. Il n'est peut-être pas prudent de dire que ce roman est philosophique car cela en fera fuir plus d'un, préférant éviter un récit respectable mais ennuyeux. Ce serait dommage. Ce roman a incontestablement une dimension philosophique et même poétique. Ce n'est pas seulement Gregorius qui sort de sa routine mais aussi le lecteur, confronté à des personnages intenses, passionnés et d'une complexité qui les pousse au-delà d'eux-mêmes. CÉLÉBRATIONS DE LA NATURE Nous partons à présent en Amérique du Nord au XIXe siècle pour savourer les « Célébrations de la nature » de John Muir (éd José Corti, 350 pages, 2011). Le naturaliste John Muir gagne à être connu. Quelle santé ! Cet homme-là pouvait aller par monts et par vaux en Californie ou dans la Sierra Nevada sans matériel de camping, même pas de couverture et très peu de nourriture. Né en 1838 en Écosse, il avait émigré aux États-Unis avec ses parents où après une jeunesse à la fois studieuse et laborieuse dans le Wisconsin, il décida après un accident de travail qui avait failli lui faire perdre un oeil, de découvrir la grande nature de l'ouest américain. John Muir est un magnifique pionnier de la lutte écologique dans tous les meilleurs sens du terme. Il faisait véritablement corps avec la nature et suscitait partout autour de lui non seulement son respect mais son amour cette nature grandiose et souvent redoutable. C'est grâce à sa lutte acharnée que plusieurs régions ont été sauvées de la destruction et transformées en parcs nationaux, en particulier la vallée du Yosemite en Californie. Il était un connaisseur hors pair des régions qu'il arpentait, avec un sens aigu de l'observation que ce soit les glaciers, les séquoias, les mouflons, les écureuils ou les oiseaux. Il se trouve que John Muir écrivait également avec un talent à la fois d'artiste et de scientifique comme en atteste ce recueil de « Célébrations de la nature » qui viennent opportunément compléter d'autres descriptions et récits de voyages déjà édités. LA BELLE MEUNIÈRE La fusion entre musique et poésie ne fonctionne pas toujours de façon convaincante. La difficulté est de ne pas considérer le texte du poème comme un prétexte ou un simple support à la musique ni de se laisser dominer par le poids du texte. C'est le génie tout particulier du compositeur Franz Schubert d'y être parvenu dans ses lieder. Un jeune ténor allemand, Jonas Kaufmann, s'est lancé dans une nouvelle interprétation du cycle de lieder de Schubert intitulé, « La Belle Meunière » sur des poèmes de Wilhelm Müller, avec Helmut Deutsch au piano (« Die schöne Müllerin », CD Decca). C'est une réussite totale. Les critiques musicaux se tenaient évidemment en embuscade car il existe d'autres belles interprétations, notamment celles « historiques » de Dietrich Fischer-Dieskau et de Fritz Wunderlich. Mais la sienne est différente et ne pouvait qu'être saluée sans réserve. Jonas Kaufmann, dont la présence scénique dans les opéras est extrêmement convaincante, s'est identifié à ce jeune homme amoureux de la belle meunière et de tous les éléments de la nature qui l'entourent. Il exprime avec beaucoup de nuances et d'engagement tous les sentiments de l'amoureux, de la joie exultante à la douce mélancolie en passant par la colère et l'amertume. IN SITU Bien des jeunes Égyptiens restent mobilisés place Tahrir au Caire et probablement dans bien d'autres lieux de ce pays. Nous avons mis en ligne une critique du film « Microphone » d'Ahmad Abdallah. Des jeunes jouant du rock ou du hip-hop à Alexandrie ? Voilà qui nous sort de certains clichés et donne une idée de leur aspiration à s'exprimer et à vivre librement. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mél. : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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