Culture & Révolution

Sommaire

Liste par thèmes

Journal de notre bord

Lettre no 129 (le 3 mai 2011)

Après concassage et tamisage du réel par les grandes
machines médiatiques, nos yeux et nos oreilles se trouvent
gavés, saturés par des personnages douteux, repoussants ou
sans intérêt. En vrac depuis des jours et des semaines, il
n'y en a eu à la radio et à la télévision que pour Ouattara,
Gbagbo, Jean-Paul II, Marine Le Pen, Sarkozy, Kadhafi,
William et Kate, le dérisoire et néanmoins coûteux couple
princier, et à présent le « bon client » médiatique est le
défunt Oussama Ben Laden. On appelle cela traiter
l'actualité, ce qui aboutit à maltraiter les auditeurs et
les spectateurs. Les noms et les images de ces gens-là
circulent à cadence rapide, nous envahissent le cerveau,
s'effacent soudain pour prendre la place d'autres du même
acabit. Mais certains reviennent au galop et pour longtemps,
Sarkozy, Marine Le Pen, etc. Ce n'est pas seulement parce
qu'on parle en abondance de ces gens-là que notre perception
du monde s'en trouve obscurcie. C'est parce qu'ils occupent
trop de place. C'est parce que les mensonges sur eux sont
massifs, arrogants ou subtils, qu'il s'agisse de les
encenser ou de les pourfendre. Le mensonge par omission est
en particulier une arme de déformation massive de la réalité
passée et présente.

Prenez Jean-Paul II et sa béatification le 1er mai à Rome
(en présence de Fillon, Juppé et Guéant, bonjour « la
laïcité à la française » !). Les grands médias semblent
avoir oublié que ce personnage papal a couvert avec
obstination pendant des années les agissements des prêtres
pédophiles et qu'il a été moralement responsable de la mort
de milliers victimes du sida dans le monde par son
acharnement à combattre la contraception.

Prenez Allassane Ouattara. C'est celui qu'on nous a présenté
comme « le bon » face au méchant Gbagbo. Les grands médias
ont fait l'impasse sur les états de service de Ouattara
comme mercenaire au service du FMI y compris comme premier
ministre, sur son coup d'Etat raté et sur les exactions
passées et actuelles de ses bandes armées qui ne sont pas
moindre que celles commises par les bandes de Laurent Gbagbo.

Prenez Ben Laden. On glisse en souplesse sur son passé d'ami
de la CIA, de mercenaire au service des États-Unis dans la
guerre en Afghanistan contre l'armée dite soviétique.
Parallèlement on encense Obama alors qu'il n'a toujours pas
fermé le centre de Guantanamo où des centaines d'hommes,
dont bon nombre d'innocents, ont été détenus sans droits,
dans des conditions inhumaines. On le félicite alors qu'il
va poursuivre avec ses collègues occidentaux la guerre en
Afghanistan qui martyrise les populations de ce pays, sans
affaiblir les Talibans. D'un autre côté, les gens de qualité
et de générosité ne peuvent pas faire l'actualité des grands
médias ou alors de façon extrêmement réduite et furtive. Ils
trouvent parfois refuge dans des médias plus modestes,
radios, sites ou revues. C'est ainsi qu'on a pu entendre ce
2 mai à l'émission « Les Pieds sur terre » sur
France-Culture, une femme ivoirienne, Oumou Kouyaté,
militante des droits de l'homme, vivant à Paris, se ranger,
ni du côté de Gbagbo, ni du côté de Ouattara, mais du côté
du peuple ivoirien qui aspire à la paix.

C'est ainsi qu'on peut découvrir dans le dernier numéro de
« Courrier international » en page 56, le portrait de Tsutomu
Yamaguchi, un poète japonais décédé l'an dernier qui
dénonçait courageusement au soir de sa vie l'abomination du
nucléaire. Il avait été irradié à Hiroshima et quelques
jours plus tard à Nagasaki en août 1945. Un New-Yorkais de
30 ans, Chad Diehl, avait fait sa connaissance et a décidé
de poursuivre son combat et de faire connaître ses poèmes.

Les inconnu(e)s des grands médias, ce sont par exemple les
gens au Nord de Moscou à Khimki qui luttent avec
détermination contre la destruction d'une forêt par un
chantier autoroutier franco-russe, et ce sont les
Tunisiennes qui luttent ardemment pour le droit des femmes
dans un contexte à la fois menaçant et exaltant depuis la
chute du régime de Ben Ali. Les gens qui comptent et qui
luttent sur cette planète ne passent pas à la télé. Mais ils
façonnent vraiment un autre monde.
________________________________

Après l'apocalypse
Les rêves dansants à Wuppertal
Entre deux eaux
In situ
À ne pas manquer
_________________________________

APRÈS L'APOCALYPSE
Il y a vingt cinq ans, le 26 avril 1986 à 1h 23, la
catastrophe de Tchernobyl a commencé et elle n'est pas
terminée. Une femme a recueilli les paroles de survivants et
surtout de femmes qui ont perdu leur mari ou leur fils, des
pompiers volontaires, des travailleurs de la centrale ou de
jeunes soldats envoyés à la mort rapide ou lente sur le site
de la centrale. Cette femme biélorusse s'appelle Sveltana
Alexievitch. Le livre qui a été publié en français s'appelle
« La supplication : Tchernobyl, chronique du monde après
l'apocalypse » (éd J-C Lattès, rééd. J'ai lu, 2004). Ce
livre a été lu en feuilleton de cinq épisodes de 25 minutes
la semaine dernière à l'émission Fictions/Le Feuilleton de
Brigitte Masson sur France-Culture. Comme ce livre est
épuisé et difficile à trouver, il est fortement recommandé
d'aller écouter ou de podcaster ces épisodes sur le site de
France-Culture. Les drames humains sont là, accablants, dits
sobrement, se gravant immédiatement dans notre mémoire.

Il faut en prendre connaissance. Tout nous y incite : la
récente catastrophe de Fukushima et l'impudence des
gouvernants qui passent outre. Pour faire vivre les profits
de l'industrie nucléaire (et de bien d'autres secteurs
dangereux), ils nous préparent sereinement bien d'autres
catastrophes.


LES RÊVES DANSANTS À WUPPERTAL
La chorégraphe allemande Pina Bausch (1940-2009) est née
dans un petit village de la Ruhr. Elle a terminé sa vie et
son parcours artistique dans une ville industrielle de cette
région, Wuppertal. Wim Wenders a réalisé un film avec ses
danseurs que nous n'avons pas encore vu. Mais un autre film
a été fait sur son travail.

En 2008, quelques mois avant sa mort, elle a décidé de
reprendre un de ses spectacles les plus connus, « Kontakthof »,
avec des adolescents de Wuppertal ayant 14 ans et plus et
n'ayant jamais dansé de leur vie.

Le réalisateur Rainer Hoffmann a filmé cette magnifique
expérience dans un film intitulé « Les Rêves dansants, sur
les pas de Pina Bausch » (1h 30 minutes, édité en DVD). Une
des plus anciennes danseuses Jo-Ann Endicott ainsi que
Benédicte Billiet avaient créé cette pièce avec Pina Bausch
trente ans plus tôt. Nous assistons à une rencontre
d'adolescents avec l'art original de Pina Bausch mêlant la
danse au théâtre. Il s'y exprime les rapports entre hommes
et femmes, des rapports d'attirance et de crainte de
l'autre, de manipulation, d'agressivité ou de tendresse. On
touche inévitablement à l'intime de chacune et chacun de ces
adolescents dont la jeune existence est parfois déjà marquée
par des épreuves ou des drames. L'une vient de Bosnie, un
autre est Tsigane, une est Allemande d'une famille « sans
problème » mais elle a perdu son père...

Les répétitions ont lieu dans un vieux cinéma désaffecté et
plutôt hideux en l'absence de Pina Bausch mais avec ses deux
assistantes d'une attention de tous les instants.

Quand enfin la rencontre arrive entre ces jeunes et la
chorégraphe, il se passe quelque chose d'indéfinissable et
qu'on appelle parfois l'aura d'une personne. Au demeurant
Pina Bausch ne manque pas d'être exigeante avec ces jeunes
qui doivent monter sur scène devant un public. Mais quand
tout est en place et que le lien artistique et humain
s'établit entre les adolescents et les trois femmes qui ont
travaillé avec eux, le sourire qui apparaît sur le visage de
Pina Bausch fait venir les larmes aux yeux des spectateurs.


ENTRE DEUX EAUX
Dans les années vingt du siècle dernier, trois compositeurs
blancs aux États-Unis s'engagèrent dans une étrange
aventure, celle de créer un nouveau genre musical,
le « jazz symphonique ».

Le plus connu était George Gershwin, fils d'immigrés juifs
russes qui s'était passionné pour la culture des Noirs au
point d'écrire un opéra qui leur est complètement dédié,
« Porgy and Bess ». Les deux autres protagonistes du « jazz
symphonique » était le compositeur Ferde Grofé et le
violoniste et chef de big band Paul Whiteman qui a compté
dans sa formation de grands interprètes tels que le
cornettiste Bix Beiderbecke ou le vibraphoniste Red Norvo.

C'est pour l'orchestre de Whiteman que Gershwin a composé en
1924 sa fameuse « Rhapsody in Blue ».

Le pianiste Jean-Yves Thibaudet et la chef de l'Orchestre
Symphonique de Baltimore, Marin Alsop, ont choisi de
l'interpréter dans la version initiale de Ferde Gofré pour
jazz-band, de même que pour le Concerto en Fa (CD Decca
2010). Ce sont des versions plus toniques et variées que les
versions délibérément symphoniques composées par Gershwin
ultérieurement. Les ayants droit du compositeur ont interdit
pendant longtemps qu'on joue les versions originales. Ils
ont fini par assouplir leur position, d'où ce disque
complété par de séduisantes variations sur « I Got Rhythm »
écrites par Gershwin en 1934.

Jean-Yves Thibaudet explique qu'il s'est situé résolument
entre deux eaux - le classique et le jazz - pour exprimer
toutes les saveurs de cette musique. Il faut du swing mais
aussi les couleurs délicates d'une musique qui n'est pas
sans apparentements avec celle de Ravel, qui du reste était
aussi fasciné par le jazz. Le pianiste a toutes les qualités
requises et son jeu évoque parfois celui de Fats Waller ou
d'Art Tatum, des pianistes de jazz qui d'ailleurs adoraient
la musique classique.

Il y a dans toute cette musique quelque chose de fleuri et
persifleur qui rend optimiste, comme par exemple de se
promener sans soucis, début mai à Central Park ou dans
n'importe quel jardin ou campagne proche de chez soi.


IN SITU
Depuis la dernière lettre, nous avons mis en ligne des
textes qui vont vous faire découvrir bien des réalités et
problèmes peu abordés ou sous un angle particulier, en
Russie, en Chine, au Yémen, en Libye et en Égypte.

Nous venons de publier un entretien avec Carine Clément qui
vit en Russie, sur la bataille de Khimki contre un chantier
auto-routier que nous évoquions dans la première partie de
cette lettre.

Concernant la Libye, il s'agit d'un texte intitulé « La
lutte du peuple libyen : quelle solidarité ? » paru
également sur le site de A l'encontre et de Carré rouge.

L'article sur « Pleure, ô reine de Saba » de Khadija
al-Salami nous entraîne dans un Yémen qui ne correspond pas
à nos idées préconçues sur ce pays (à supposer que nous en
ayons).

Le point de vue sur « Taxi », une chronique très vivante de
l'écrivain égyptien Khaled al Khamissi, nous relie tout de
suite à l'actualité bouillonnante du Caire.

« Le Show de la vie » de la romancière chinoise Chi Li nous
attache à la réalité quotidienne ardue et combative d'une
Chinoise d'en-bas.

Vous trouverez très prochainement un point de vue développé
sur le film britannique, « We want sex equality ». C'est un
film extrêmement réjouissant sur la lutte d'ouvrières d'une
usine Ford en 1968 pour obtenir l'égalité des salaires avec
leurs collègues hommes. Mais c'est aussi un film qui appelle
quelques réserves sur la manière de présenter le
gouvernement travailliste de l'époque. Quoi qu'il en soit,
c'est un film à voir, bien joué et bien mené.


À NE PAS MANQUER
Dans les jours qui viennent, le n°45 de la revue Carré rouge
va sortir dans sa version papier. Vous y trouverez des
textes avec des faits et des arguments sortant de la routine
ou du déjà connu sur les luttes en cours en Russie, en
Égypte et en Libye, ainsi qu'une présentation du prochain
livre de François Chesnais sur la vulnérabilité du système
financier et l'illégitimité des dettes publiques (à paraître
dans la collection Raisons d'agir). Une discussion concerne
le livre d'Alain Bihr, « La logique méconnue du Capital »
(éd Page2) et enfin une contribution d'Annie Coll incite à
lire Hannah Arendt, « une philosophe méconnue des
révolutionnaires ».


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

_______________________________________

  Pour recevoir ou ne plus recevoir
    cette lettre, écrivez-nous:

  mél. : Culture.Revolution@free.fr
 http://culture.revolution.free.fr/
_______________________________________

< O M /\

URL d'origine de cette page http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_129_03-05-2011.html

Retour Page d'accueil Nous écrire Haut de page