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Journal de notre bord

Lettre n° 125 (19 janvier 2011)

Bonne année à toutes et à tous !

La révolution sociale est de retour dans ce siècle. On la
croyait morte ou moribonde depuis la dernière décennie du
vingtième siècle et elle est là, bien vivante, surgissant
par surprise en vraie blagueuse de l'histoire (il faudrait
dire aussi blogueuse) dans un pays où les habitants
eux-mêmes n'en reviennent pas encore, alors qu'ils en sont
les acteurs. Oui, vive la révolution tunisienne,
démocratique, sociale, tout à la fois tragique et joyeuse,
confiante et inquiète !
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L'ébranlement du monde
Les premiers acquis de cette révolution
Les pilleurs de tous les pays
Par-dessus les frontières
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L'ÉBRANLEMENT DU MONDE
Certes, depuis le début de ce vingt et unième siècle, il y a
eu profusion de mouvements d'émancipation, des révoltes de
la faim, des débuts d'insurrection contre des régimes
oppressifs et corrompus, des manifestations, des grèves à
répétition et même une grève se généralisant comme en
Guadeloupe et en Martinique il y a deux ans.

Depuis la « guerre de l'eau » à Cochabamba en Bolivie en
2000 et le soulèvement en Argentine en 2001-2002, les
peuples, les paysans, les salariés et les dépourvus de tout
dans grand nombre de pays n'ont pas cessé de clamer qu'ils
voulaient vivre libres et dans des conditions matérielles et
humaines dignes de ce nom. Ce fut déjà le cas au début de
l'année 2008 en Tunisie dans le bassin minier de Gafsa.

On l'a vu et on le voit toujours du Mexique à la Birmanie,
de l'Iran à la Palestine, du Bangladesh au Mozambique. On le
voit y compris depuis deux ans dans les pays de la vieille
Europe, de la Grèce à l'Islande, de la France à l'Espagne,
de Rome à Dublin, de Stuttgart à Londres…

L'ébranlement du monde est un fait patent mais que nous
n'arrivons pas encore clairement à nous représenter, ni dans
son ampleur ni dans sa nouveauté. C'est difficile après
vingt ans de revers, d'endoctrinement néolibéral, de
formatages politiciens, de sinistrose due à la montée du
chômage et de la misère, avec en prime quelques ruminations
grincheuses à l'égard des jeunes, réputés individualistes et
dépolitisés. Des jeunes qui sont aux avant-postes dès que
les choses deviennent sérieuses, comme on l'a vu dans les
grèves à Shenzhen en Chine, dans les rues de Buenos Aires ou
de Téhéran, et ces dernières semaines dans les rues des
villes tunisiennes. Ils y étaient le jour dans la rue. Et la
nuit, les cyberactivistes étaient devant leur ordinateur
pour informer, mobiliser et torpiller les sites officiels
du régime du dictateur.


LES PREMIERS ACQUIS DE CETTE RÉVOLUTION
Dépêchons-nous de tirer quelques leçons de cette première
victoire en Tunisie car il y aura plus tard suffisamment de
temps et de bons esprits pour tirer « les leçons de la
défaite » de la révolution tunisienne. Le bonheur d'avoir
conquis sa liberté de haute lutte ne peut être volé par
personne. Même si de graves difficultés devaient survenir,
il laissera des traces durables et constituera une référence
aussi bien dans le reste du Maghreb qu'en Égypte, Jordanie,
Syrie ou Yémen.

La population tunisienne sait qui veut lui voler sa
révolution et elle n'a pas l'intention de se laisser faire.
Des comités de quartier ont été créés. Chacun savoure la
possibilité d'intervenir librement. La réactivité est très
grande. Chaque action, chaque manifestation vise à
démanteler complètement les structures de la dictature et en
premier lieu le RCD [Rassemblement constitutionnel
démocratique, ndr]. Personne qui espère dénicher une place
dans un futur gouvernement ne peut s'aventurer à rechercher
un compromis au nom de « l'unité nationale » avec les
tortionnaires et les pilleurs des richesses du pays sans
être automatiquement disqualifié. Cette révolution est une
défaite pour l'impérialisme français qui avait ses aises en
Tunisie après avoir dû concéder l'indépendance. Elle
contribue grandement à discréditer le régime de Sarkozy qui
s'apprêtait à sauver la dictature de Ben Ali « par le
savoir-faire de nos forces de sécurité » et par l'envoi de
grenades lacrymogènes, gilets pare-balles et autres
matériels « made in France » actuellement en souffrance à
Roissy !

Cette révolution est un bon coup porté au racisme anti-arabe
et à la haine des musulmans. La sordide théorie du « choc
des civilisations » est expédiée concrètement dans les
poubelles de l'histoire puisque dans une région du monde
peuplée d'Arabes et de Musulmans, une révolution
démocratique vient de se produire qui n'a pas l'air de
beaucoup réjouir les gouvernants européens…

Le peuple et les travailleurs tunisiens peuvent être
légitimement fiers de ce qu'ils ont accompli et ils n'auront
pas envie de se laisser forger de nouvelles chaînes par un
régime dictatorial islamiste. De ce point de vue cette
révolution est aussi un bon coup porté aux Islamistes qui,
à l'instar des partis d'extrême droite en Europe comme le
Front National, cherchent à capter la colère des couches
populaires pour installer leurs dictatures.

Il est révélateur (et dans un sens comique) que Ben Ali,
que tous les gouvernants de droite et de gauche en France,
depuis François Mitterrand jusqu'à Sarkozy, nous
présentaient comme un rempart contre l'islamisme, soit allé
se réfugier en Arabie saoudite, là où est installée une des
principales dictatures islamistes avec laquelle les groupes
industriels français dont Dassault font d'excellentes
affaires. Mais il suffisait que Ben Ali se prétende laïc
pour avoir un permis à perpétuité de piller son peuple,
de le bâillonner, de torturer ses opposants.


LES PILLEURS DE TOUS LES PAYS
Il y a deux ans, Strauss-Kahn, le chef du FMI fut décoré par
Ben Ali. Il félicita le dictateur et déclara : « En Tunisie
les choses fonctionnent correctement. » A présent nous
espérons vivement que c'est la révolution en Tunisie qui va
bien fonctionner, contre le FMI et la Banque Mondiale,
contre l'emprise de tous les groupes industriels et
bancaires qui ponctionnent les richesses de ce pays et
enfoncent toujours plus bas les revenus et les conditions de
vie des travailleurs, des jeunes sans emploi ni perspective,
et de toute la population.

S'il est probable que plus de 90 % de la population aspire à
un régime démocratique, il est évident que cela doit se
créer non seulement avec leur participation directe et
permanente mais avec une nouvelle économie sous leur
contrôle démocratique. Les gens n'ont pas versé leur sang,
subi la peur policière et toutes sortes de répression à la
suite de grèves et de soulèvements locaux ces dernières
années comme à Gafsa, pour que rien ne change ou même pour
que les choses empirent dans leur vie quotidienne.

Les clans de Ben Ali et de sa femme avec leurs ramifications
ne sont pas les seuls à avoir pillé les richesses et à avoir
exploité la population. Les groupes capitalistes
transnationaux et notamment les banques françaises et
suisses, les grands groupes dans le textile et le tourisme
ont ramassé une grosse mise ; ils ont réduit les salaires à
la baisse et licencié en toute impunité. Le peuple tunisien
n'aura pas la force à lui seul de briser cette emprise et
c'est pourquoi il est vital que le vent de révolte et
d'espoir qui s'est levé dans cette partie du Maghreb
s'étende vers d'autres pays et en particulier les pays
européens où se nichent les grands groupes capitalistes.


PAR-DESSUS LES FRONTIÈRES
Plutôt que d'être seulement et activement solidaires de la
population tunisienne, (ce qui est la moindre des choses),
il est peut-être plus fructueux et plus porteur d'espoir de
nous sentir aussi acteurs de cette révolution qui a commencé
en Tunisie le 17 décembre dernier par la volonté désespérée
d'un jeune vendeur de fruits et légumes d'une ville de
l'intérieur, inconnue des circuits touristiques. Car cette
révolution a besoin d'aide. Des jeunes en France s'emploient
à débusquer les propriétés du clan de Ben Ali pour que ces
biens reviennent dans les mains du peuple tunisien.

Mais elle va aussi s'étendre de façon ouverte ou
souterraine, avec des reculs et des avancées. Elle va se
propager de façon inattendue à d'autres pays. Un manifestant
tunisien âgé installé en France disait tranquillement samedi
dernier avec un grand sourire : « Maintenant, c'est Moubarak
qui doit sauter, mais aussi Berlusconi…et Sarkozy ! »

C'est tout naturellement que cette révolution d'aujourd'hui
provoque chez des gens hautement concernés ces sauts
audacieux de l'esprit par-dessus les frontières.

Cette révolution est suspendue dans un présent incertain et
fragile. Mais elle peut aussi devenir un pont modeste mais
solide entre un passé de luttes glorieuses de travailleurs,
de jeunes et d'intellectuels courageux vers un futur commun
où il fera bon vivre pour tout le monde sur cette planète.


Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder

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