Journal de notre bordLettre n° 122 (15 octobre 2010)La Sarkozie a du plomb dans l'aile semble-t-il. D'accord ils sont encore tous bien droits dans leurs souliers vernis. Mais leur trouble s'exprime par bien des lapsus. Des sénateurs centristes déboussolés ont même fait une erreur de vote hier sur une des dispositions essentielles de la contre-réforme sur les retraites. Ce serait pour notre bien que Fillon, Sarkozy et leurs godillots au Parlement et au Sénat veulent dégrader le régime de nos retraites, pas le leur évidemment. Et encore ce n'est qu'un premier volet, modeste à leurs yeux, qui en appellera d'autres dans les mois et années qui viennent. Ces ultralibéraux prétendent maintenant, la bouche en coeur, vouloir sauver « le régime par répartition », en nous faisant crever au travail ou au chômage, avec une pension minable pour celles et ceux qui atteindraient quand même la retraite. Ainsi nous serions des millions à ne pas savoir ce qui est bon et ce qui est bien pour nous, toutes générations confondues. Eux le savent ! Et pourquoi donc ? Les membres du gang sarkozien sont arrivés au monde avec une cuiller d'argent sur la langue et depuis tout leur est dû : les postes de commandement de l'État cumulés aux très rémunérateurs postes d'avocats d'affaires, les postes de membres des conseils d'administration des entreprises du CAC 40 et, last but not least, une kyrielle de résidences luxueuses, des yachts et des comptes en banques en Suisse et autres paradis fiscaux. Quand on est muni de tout cela, on sait ce qui est bon pour les salariés, les chômeurs, les mères de famille, les jeunes, les handicapés et les accidentés du travail qu'ils ont imposé avec ce cynisme gourmand des aristocrates de l'argent. Pour les banquiers comme ceux de la Société Générale, c'est agréable et ça peut rapporter gros d'avoir de bonnes connexions avec l'Élysée, le fisc et même l'appareil judiciaire comme on vient de le voir encore dans l'affaire Kerviel. Jetons à présent un rapide coup d'œil du côté de la camarilla du Parti socialiste. Ce n'est tout de même pas un hasard s'il a fourni autant de transfuges et de conseillers de haut vol au gang sarkozien : Besson, Kouchner, Attali, Rocard... D'autre part Dominique Strauss-Kahn a été nommé à la tête du FMI avec l'appui enthousiaste de Nicolas Sarkozy. Mais l'arbre DSK ne doit pas cacher la forêt des notables et avocats d'affaires de ce parti dont les liens avec les milieux financiers et industriels sont d'une solidité et d'une loyauté résistant à l'épreuve des alternances gouvernementales et des mouvements sociaux. Au reste quand Martine Aubry a déclaré il y a six mois sur RTL qu'il faudrait sans doute que l'âge de la retraite passe à 61 ou 62 ans, ce n'était pas un lapsus. D'ailleurs les chefs du PS ne cachent pas la nécessité à leurs yeux de rallonger le nombre d'annuités de travail à 42 alors que les licenciements repartent de plus belle et que le chômage de longue durée est en progrès constant. Si le Parti socialiste fait mine d'accompagner le mouvement avec bienveillance, c'est uniquement dans l'espoir de rentabiliser son attitude actuelle aux prochaines élections présidentielles. Hésiter à mettre les pieds dans le plat sur cette question serait s'exposer à nouveau à d'amères déconvenues et faire bon marché des leçons de l'histoire depuis trente ans. Pour faire vite, rappelons seulement deux faits. Mitterrand n'a pas du tout modifié les institutions de la Ve République ce qui a ouvert la voie à la mutation absolutiste sarkozienne. Jospin et Fabius ont privatisé à tour de bras, ont facilité la précarité et la flexibilité de l'emploi et ne sont pas revenus sur la contre-réforme des retraites du secteur privé décidée par Balladur en août 1993. Ces rappels ont un lien avec le mouvement de fond actuel de grèves, de manifestations et d'assemblées diverses où des salariés, des lycéens et des étudiants rediscutent des questions vitales pour eux et l'avenir de la société. Le mouvement de septembre-octobre 2010 est profond. Il ne doit pas être un simple tremplin aux ambitions d'un Parti socialiste qui, revenu au pouvoir, mènerait une politique brutale semblable à celle de leurs collègues « socialistes » actuellement aux manettes en Grèce et en Espagne. Au travers de l'exigence du maintien de la retraite à 60 ans et du retour à 37, 5 annuités, quelle que soit notre génération ou notre statut, nous exprimons dans la rue et dans tous les endroits que nous investissons que le joug du capital financier et son comportement dément sont devenus intolérables. Nous exprimons chacun à notre façon, avec notre diversité, que nous voulons vivre autrement, ensemble et humainement. ________________________________ En mouvement pour une autre vie Le président des riches Dangerosité du capital Entre nos mains In situ _________________________________ EN MOUVEMENT POUR UNE AUTRE VIE Il apparaît qu'une certaine fièvre sociale existe dans plusieurs pays européens comme cela continue en Grèce, en Espagne, au Portugal et aussi en Allemagne avec la forte mobilisation de la population et des jeunes à Stuttgart contre un projet aussi pharaonique que destructeur de l'environnement d'une nouvelle gare souterraine. En France le mouvement est à présent très préoccupant pour le gouvernement et le patronat. Ils ne peuvent déjà plus compter sur leurs médias et leurs experts en com pour renverser la majorité de l'opinion. Ils peuvent espérer avoir un répit avec les vacances scolaires qui débutent dans une semaine mais c'est un calcul très aléatoire. Pendant le mouvement contre le CPE, les vacances de février ont été mises à profit efficacement par les jeunes pour redonner ensuite un élan victorieux au mouvement. Après la journée de grèves et manifestations de mardi prochain, le « front syndical » comme disent les journalistes pourraient éventuellement se lézarder. On imagine que Chérèque, le dirigeant de la CFDT, pourrait mettre les pouces. Mais osera-t-il le faire sans avoir un flot d'adhérents s'évadant dans la nature, vers Solidaires ou vers la CGT ? Il vaudrait sans doute mieux pour lui qu'il réussisse à convaincre Thibault de la CGT et d'autres de commencer à battre en retraite à défaut de gagner sur le dossier des retraites. Si le mouvement actuel en France ne fait pas chaque jour automatiquement tâche d'huile en nombre de grévistes, il se développe et s'enracine dans de nombreux endroits. Il s'inscrit déjà dans une durée telle et des formes variées qu'il n'est plus entièrement contrôlable par les directions syndicales et qu'il permet aux idées et aux aspirations de chacun d'émerger. L'espace public oppositionnel au régime de Sarkozy et aux capitalistes est en pleine expansion. Une question vitale pour l'avenir du mouvement et pour ce qu'on peut en escompter est celle de son contrôle et de son expression démocratiques. Plus il y aura de comités élus, d'assemblées locales, d'assemblées interprofessionnelles ou intergénérationnelles et de coordinations, et plus nous disposerons des moyens de transformer durablement et en profondeur cette société. LE PRÉSIDENT DES RICHES Essayons d'imaginer comment les événements actuels seront perçus par les historiens dans vingt ans. Ils relèveront peut-être que, tandis que le général de Gaulle était allé se faire réconforter par le général Massu en Allemagne au plus fort du mouvement de 68, Nicolas Sarkozy est allé en septembre 2010 au Vatican chercher encouragement et inspiration auprès du pape, en quémandant un chapelet en rab avant de partir. Il n'y a pas de petits profits, ça doit pouvoir se négocier au prix d'une Rolex. Si les historiens du futur veulent cerner comment fonctionnait le régime de Sarkozy, ils pourront très utilement lire le livre qui vient de sortir de deux sociologues, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, « Le président des riches, Enquête sur l'oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy » (éd Zones, 223 pages). Les auteurs qui s'inspirent des travaux et concepts de Pierre Bourdieu ont abandonné toute réserve universitaire. Ils n'ont plus aucune chance de poursuivre leurs enquêtes dans les endroits huppés de la haute bourgeoisie. C'était du dernier chic pour certains riches d'inviter ce couple de chercheurs. Mais là, ils balancent sévèrement et de façon vivante, tout ce petit monde de copains et de coquins au pouvoir. Au passage quelques figures ou ex-figures importantes du Parti socialiste sont signalées comme liées aux réseaux affairistes. Le simple rappel des faits, des mesures et magouilles prises au niveau de l'Élysée, de Neuilly et des gens du CAC 40 est proprement sidérant. Le chapitre consacré au « Grand Paris » et une foule de faits de corruption peu connus indiquent clairement vers quel désastre nous mène la haute bourgeoisie. Que tout cela ait fini par provoquer un grand mouvement de révolte ne pourra pas étonner les historiens du futur. DANGEROSITÉ DU CAPITAL Les boues rouges qui ont dévasté une partie de la Hongrie et s'écoulent dans le Danube ont illustré, après la pollution gigantesque provoquée par BP dans le golfe du Mexique, à quel point les capitalistes de tous les pays sont des irresponsables. Dans chaque cas de ce genre, des ouvriers, des habitants sont tués ou gravement blessés, des espèces et des éco-systèmes sont détruits. Sur un mode qui relève davantage du gag délirant, « Le Canard enchaîné » de cette semaine nous apprend qu'au mois de mai dernier, « des ordinateurs en folie ont fait perdre 1 000 milliards à Wall Street en vingt minutes ». Le bug a commencé à la Bourse de Chicago. Les ordres d'achat et de vente d'actions se faisant par milliers en quelques microsecondes, il suffit qu'un ordinateur robot programmé pour cela s'emballe pour que de façon automatique, les autres ordinateurs lui emboîtent le pas. D'où ce mini-krach qui a obligé les autorités boursières concernées d'annuler toutes les transactions passées pendant vingt minutes par ces ordinateurs sophistiqués out of control. L'importance des sommes en jeu dans ce court laps de temps donne une idée de l'ampleur du capital fictif. L'incident signale les très mauvaises surprises qui nous attendent si la machine capitaliste continue à être lubrifiée avec la sueur et le sang de la communauté humaine mondiale. ENTRE NOS MAINS D'entrée de jeu il faut souligner que le film de Mariana Otero a un beau titre qui colle très bien à son propos comme au mouvement actuel qui s'est développé contre la casse des retraites : « Entre nos mains ». A tous les niveaux, l'avenir est entre nos mains. La réalisatrice a suivi jour après jour dans une petite entreprise où l'on fabrique de la lingerie féminine près d'Orléans, le travail et les réflexions quotidiennes des ouvrières et des employées confrontées à une décision à prendre. L'entreprise est en faillite. Une solution pour ne pas perdre son emploi consisterait à créer une coopérative, une Scop (Société coopérative et participative). Sauf que pour cela, chaque travailleuse doit consentir à une mise de fond correspondant à au moins un salaire. Il n'y a en plus aucune garantie que la Scop réussisse à se maintenir sur un marché très concurrentiel comme disent certains économistes. Le spectateur suit avec un intérêt soutenu leurs hésitations, le chemin de leurs pensées qui les conduit petit à petit à élaborer un point de vue commun, par-delà leurs différences culturelles et leurs différences d'âge. Face à la délicatesse de ces femmes et à leur inventivité dans la transformation des tissus qui passent « entre leurs mains », il y a la brutalité des grandes surfaces en connivence avec l'ancien patron (qui n'a pas voulu être filmé). En accord avec les salariés de l'entreprise qui ont en plus de jolies voix, Mariana Otero a choisi une fin en chanson. Un film à voir d'urgence, entre une assemblée et une manif. IN SITU Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne un texte déjà « ancien » (rédigé le 3 octobre dernier) sur la situation politique et sociale en France telle qu'elle s'est cristallisée depuis l'affaire Woerth-Bettencourt en juin dernier. Nous allons mettre en ligne ce week-end plusieurs textes en provenance de Russie sur une mobilisation très déterminée depuis deux ans, en périphérie de Moscou, pour sauver la forêt de Khimki que veulent détruire des affairistes et des gens au pouvoir pour construire une autoroute. Bien fraternellement à toutes et à tous Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mél. : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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