Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n° 121 (21 septembre 2010)

Le tempo du vaudeville qui agite les sommets de l'État et de
la société en France s'accélère. Dans la galerie des
personnages qui s'agitent ou se font secouer, il est dommage
que Laurence Parisot, la cheftaine du Medef, se fasse si
rare en ce moment. Le casting serait complet. À défaut,
c'est la ministre de l'économie et des finances, Christine
Lagarde, qui joue le rôle de porte-parole du patronat...

Mais ne boudons pas notre plaisir. Sarkozy assure le
spectacle à mort jour après jour avec ses porte flingues out
of control. Hortefeux vient de griller les chances de sa
collègue garde des sceaux de devenir premier ministre le
mois prochain en marchant sur ses plates bandes avec ses
rangers. Quand il n'y a plus personne pour garder les sots
du gouvernement ou de l'UMP, ni pour garder raison dans ce
panier de crabes, ce bouillon d'inculture qu'est la droite,
cela s'appelle une crise de gouvernance durable qui
insupporte y compris des membres éminents des corps
institutionnels en particulier dans l'appareil judiciaire.

Il s'agit bien depuis juin d'une crise politique majeure
nous ouvrant potentiellement un bel espace de
contre-attaque. Hortefeux lui-même nous laisse à entendre,
en creux, que seul un attentat islamiste bien sanglant en
plein Paris permettrait à Sarkozy, au gouvernement et à
l'UMP de se sortir du bourbier dans lequel ils se trouvent
durablement.

La petite histoire retiendra que tout a été déclenché par
l'indélicatesse du majordome des Bettencourt révélant par
ses enregistrements les liens mafieux sonnant et trébuchant
entre tous les gens de la haute (bourgeoisie). Depuis que
Louis XVI en fuite s'est fait coincer à Varennes, les riches
et les puissants devraient savoir que les gens de basse
condition peuvent toujours se retourner contre eux au plus
mauvais moment.

En changeant de focale, on s'aperçoit que cette crise
politique est en résonance avec la crise financière qui a
éclaté il y a trois ans et avec la crise sociale larvée (ou
explosive dans certains pays) qui en a résulté. Toutes les
modalités de ces crises poussent inexorablement à des
comportements de fuite en avant qui aggravent la situation.
« Faire de l'argent » en se servant de l'argent des autres
(celui des particuliers et des États) comme s'y adonnent les
banquiers, les assureurs et les fonds spéculatifs, cela
s'appelle de la cavalerie. Ca provoque de nouvelles crises
et ça ne règle pas les précédentes.

Le comportement de Sarkozy relève de la cavalerie dans son
domaine. Pour faire oublier les magouilles et les diverses
manoeuvres de prédation sur le dos des classes populaires, il
« fait du sécuritaire », tout en nous faisant les poches.
Quand il bute sur un nouveau scandale, quand il constate un
déficit de popularité ou de légitimité, il essaie de le
combler par une nouvelle mesure abjecte ou une déclaration
provocatrice. L'escalade nationaliste pour reprendre la main
a conduit Napoléon III à la défaite de Sedan et à sa chute.

L'importance de la grève et des manifestations du 23
septembre et de ce qui se passera ou non dans les jours
suivants sur le terrain social et politique ne provoquera
sans doute pas à court terme la chute de Sarkozy et
compagnie.

Mais il est de toute façon certain que dans la société, un
cocktail très corsé de moquerie, de mépris, de dégoût et
d'exaspération à l'égard de la classe dirigeante peut
s'avérer très dangereux pour elle à moyen terme.
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Nouvelles du futur
De l'art, de l'argent et de certaines gens
Pour une société multiculturelle
Des enfants dans la pampa
Des hommes, des dieux et des doutes
À Kinshasa
Tout un monde lointain
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NOUVELLES DU FUTUR
Nous ouvrons ci-dessous une nouvelle rubrique où nous
livrerons occasionnellement quelques nouvelles du futur.
Rien de sérieux donc. Ces nouvelles sont évidemment sujettes
à caution puisque rien ne prouve qu'elles concerneront des
événements réels ; mais les informations qu'on nous transmet
chaque jour par divers canaux concernant le présent et même
le passé, par leur caractère fragmentaire, manipulé et
scénarisé, ne le sont pas moins. Les nouvelles du futur que
nous entendons livrer à nos lecteurs auront au moins le
grand avantage de pouvoir être contrôlées, invalidées ou
confirmées, partiellement ou totalement, par tout un chacun
dans quelques années.

« Paris, le 8 avril 2017 (Agence de l'Identité Française, ex-AFP) :
Dans un souci de modernisation, de réduction des dépenses de
l'État et de renforcement de la sécurité des Français, le
gouvernement a décidé la fusion des ministères de
l'Intérieur et de l'Éducation nationale. On s'achemine donc
dans les collèges et les lycées vers la création d'un corps
unique de policiers-enseignants dont la formation en trois
mois sera axée sur les techniques de l'information, les
sports de combat et le maniement des armes de poing. Dans le
cadre de la formation continue, ils bénéficieront
ultérieurement de brefs stages les initiant à la psychologie
pavlovienne, la seule reconnue d'utilité publique.
Cette réforme est l'aboutissement logique d'un processus
initié en septembre 2010 avec l'introduction dans une
cinquantaine de collèges « sensibles » d'un
policier/policière en arme. »

« Bruxelles, le 2 mai 2017 (Agence de l'Identité Européenne) :
La commission européenne a pris acte avec satisfaction de
l'unanimité des États membres sur plusieurs points. Ces
États ont décidé de prendre des mesures communes à l'égard
des Roms, des Tziganes, des Gitans et autres gens du voyage.
Dans un souci d'équité et d'égalité, les mesures prises à
l'encontre de toutes ces populations seront identiques :
leur renvoi dans les délais les plus brefs dans leur pays
d'origine, à savoir le Rajasthan.

Les musiques tziganes, gitanes et manouches n'ont pas réussi
à s'intégrer, à s'adapter, à se diluer et finalement à
disparaître dans les valeurs du patrimoine chrétien
occidental qui cimente l'Europe. Les populations désignées
ci-dessus ont refusé de vivre dans des appartements et des
pavillons « comme tout le monde » (si on néglige la
catégorie certes plus nombreuse que jamais des sans abris).
Les citoyens dûment identifiés comme étant « européens de
souche et de sang » qui auraient chez eux des CD de Django
Reinhardt, Bireli Lagrène, Stokelo Rosenberg, Sandor
Lakatos, Camaron de la Isla, Diego el Cigala, etc., sont
priés de les rapporter au commissariat de police le plus
proche de leur domicile et de détruire les fichiers musicaux
de ces louches individus sous peine d'être expédiés eux
aussi au Rajasthan. »

L'agence éclaire ces décisions par le commentaire suivant :

« La percée et la victoire dans la plupart des pays
européens ces dernières années des tendances, partis et
politiciens dits populistes (appellation plus convenable et
consensuelle que « xénophobes » ou « d'extrême droite ») ont
évidemment facilité cette unanimité.
À présent la Commission européenne prépare une demande
d'inscription au patrimoine culturel immatériel de
l'humanité auprès de l'UNESCO, des discours des présidents
Sarkozy et Berlusconi. De son côté le Vatican a fait la même
demande pour les homélies du pape Benoît XVI. »

Revenons au présent. Pour conclure sur ce sujet en musique,
nous vous recommandons d'écouter ou de réécouter une des
très belles chansons de Léo Ferré, « Les Tziganes » ainsi
que de voir ou revoir le beau film de Tony Gatlif « Latcho
drom » (DVD KG édition).


DE L'ART, DE L'ARGENT ET DE CERTAINES GENS
Jean-Jacques Aillagon qui dirige l'institution gérant le
château de Versailles vient d'inviter Takeshi Murakami à
exposer ses oeuvres qui dérivent plus ou moins de
l'esthétique des mangas. Il y a deux ans il avait exhibé à
Versailles les oeuvres de Jeff Koons qui dérivent elles de
l'esthétique de Disneyland et des jouets offerts par les
fast food, avec parfois une bonne louche de pornographie.

Quelques esthètes d'une autre époque, dont le spécialiste du
XVIIe siècle et académicien Marc Fumaroli, se sont offusqués
de la présence de ces créations tape à l'oeil dont le statut
d'oeuvres d'art se discute indéniablement. Dans un échange
très vif sur France Inter avec Aillagon, Fumaroli a fait
remarquer, ce qui est juste, que jamais les Japonais
n'accepteraient d'exposer les personnages mangas de Murakami
au château impérial de Tokyo ou dans un temple de Kyoto.

Effectivement il faut avoir le culot d'un ancien ministre de
Chirac comme l'est Aillagon pour confronter l'esthétique de
Le Nôtre, Le Brun, Mansart et quelques autres à l'esbroufe
clinquante de faiseurs comme Koons ou Murakami. Mais sur un
point Fumaroli a argumenté de façon fort désuète en
s'exclamant que Versailles était un lieu du patrimoine
« sacré ». Il est temps d'informer cet académicien couvert
d'honneurs que dans les sommets de la société française dont
il fait partie, il n'y a plus qu'une seule chose de sacrée :
l'argent et rien que l'argent.

Aillagon veut faire rentrer des sous dans la caisse en
attirant un plus vaste public à Versailles avec l'alibi
d'amuser les enfants et de s'initier à « l'art moderne »
décoiffant. Par ricochet Aillagon rend service au
milliardaire François Pinault dont il a dirigé la collection
au Palazzo Grassi après avoir quitté le ministère de la
culture en 2004. Grâce à l'écrin que constitue Versailles,
la cote des oeuvres de Koons entre autres dont Pinault est si
friand va encore grimper.


POUR UNE SOCIÉTÉ MULTICULTURELLE
Marie Rose Moro est à sa façon une utopiste au bon sens du
terme. Nous devons apprécier les utopistes dans tous les
domaines car ils ouvrent des voies nouvelles, des sentiers
plus ou moins étroits et escarpés pour échapper aux blocages
sociaux, aux mépris, au rejet de l'autre qui génère la
barbarie à visage quotidien. Marie Rose Moro est psychiatre
pour enfants et adolescents et ethnopsychanalyste. Elle est
chef de service à la Maison des adolescents de Cochin à
Paris (Maison de Solenn) et à l'hôpital Avicenne de Bobigny.
Dans son travail avec les enfants de migrants, elle est
confrontée à leurs souffrances intimes qui peuvent se
transformer en repli sur soi, en dépression ou en
agressivité contre soi ou les autres.

Dans « Nos enfants demain, Pour une société multiculturelle »
(éd Odile Jacob, décembre 2009, 250 pages), Marie Rose
Moro explique de façon accessible la démarche de la
psychothérapie transculturelle qui consiste à faire
intervenir enfants de migrants, parents, soignants et
traducteurs. L'approche transculturelle consiste d'abord à
accepter les manières de dire et de faire de chacun et pas à
imposer sa vision du monde.

Elle part du fait que les enfants de migrants qui vivent
entre deux cultures, deux langues, « sont sources de vie et
de connaissances pour nous tous. » Elle considère qu'en fait
tous les enfants « seront confrontés à la diversité des
langues et à la pluralité des cultures. Tous seront des
enfants nomades et des enfants métis. »

Inutile de dire que cela ne colle pas avec la volonté
unilatérale et féroce « d'intégrer les immigrés » ni avec le
moule à prétention universaliste qu'est le plus souvent
l'école en France. Un universalisme qui ne serait pas une
camisole de force psychologique pour les enfants, les
adolescents et les adultes ayant migré intégrerait toute la
diversité des cultures et la complexité des expériences et
des cheminements de chacun. A la place de quoi nous avons
une caricature d'universalisme où ce sont évidemment les
enfants venus d'ailleurs qui doivent assimiler le français
sans retard.

Dans les équipes mises en place par Marie Rose Moro, on
prend en considération la langue première de l'enfant qui
peut être le tamoul, l'arabe, le bambara ou le vietnamien
pour entrer en dialogue avec les enfants de migrants ayant
des troubles psychologiques et des difficultés
d'apprentissage en particulier du français.

On appréciera ses développements d'une grande justesse sur
les problèmes de construction de la personnalité des
adolescents et ce qu'ont de nocifs les « débats » (et la
loi) sur la burqha.

L'auteur vient d'ailleurs de publier un nouveau livre
consacré plus spécialement aux adolescents : « Les ados
expliqués à leurs parents » (éd bayard, 301 pages).

Nous recommandons également la lecture du dernier numéro de
la revue « L'autre » (éd La pensée sauvage) codirigée par
Marie Rose Moro, avec un dossier « Cliniques de l'Asie » et
un entretien avec Alfred Brauner qui s'est occupé pendant de
nombreuses années avec sa femme d'enfants orphelins après la
guerre d'Espagne et après le génocide des Juifs d'Europe.


DES ENFANTS DANS LA PAMPA
La vitalité du cinéma argentin se confirme avec la sortie du
dernier film de Julia Solomonoff, « Le dernier été de la
boyita » dont le sujet très original sur l'identité sexuelle
est traité avec une finesse remarquable.

Un couple qui avait deux filles se sépare. L'aînée
adolescente suit sa mère à la ville tandis que Jorgelina, la
petite, suit son père médecin à la campagne où les deux
soeurs avaient jusqu'alors l'habitude pendant l'été de
s'amuser et de se disputer dans la caravane (la boyita) au
fond du jardin.

L'histoire dépasse bientôt le ton de la jolie chronique
nostalgique lorsque la brune Jorgelina, pétillante et
curieuse de tout, rencontre un jeune garçon blond Mario un
peu plus âgé qui travaille dur pour aider ses parents à la
ferme. Sa mère est douce et triste, cachant un secret
douloureux. Son père est du genre gaucho autoritaire et
taiseux. Il y a toujours du bois à couper, des pieux à
enfoncer, un cheval à conduire dans la pampa et à entraîner
pour la prochaine course organisée sur la localité proche.
Jorgelina et Mario ne sont pas du même monde social mais ils
ont chacun une forme de délicatesse et quelque chose de fier
dans leur façon d'être qui les rapprochent.

On ne peut guère en dire plus sans gâcher ce qu'il faut
découvrir et comprendre par petites touches. Signalons qu'en
plus la campagne argentine sous les lumières de l'été est
superbement filmée.


DES HOMMES, DES DIEUX ET DES DOUTES
Le film de Xavier Beauvois, « Des hommes et des dieux » est
en train de crouler sous les honneurs et d'attirer un public
beaucoup plus vaste que prévu. Il n'y a là aucune raison
pour ne pas recommander à notre tour de voir ce film qui a
de grandes qualités.

Il s'inspire de l'histoire d'un petit groupe de moines
cisterciens venus dans un monastère à Tibhirine en Algérie
et enlevés en 1996 par un commando armé. Le GIA
revendiquera leur exécution mais il reste des points
mystérieux dans ce drame.

À travers le destin de ces hommes, l'un des mérites de ce
film est de remettre en situation la terrible guerre qui a
frappé le peuple algérien pendant près d'une quinzaine
d'années, pris en tenaille entre les exactions des commandos
islamistes et celles des commandos de l'armée algérienne.

Le propos du cinéaste n'a pas été de nous livrer les clefs
essentielles permettant de comprendre les causes et les
enjeux de cette terrible et longue confrontation. Mais
quelques scènes et dialogues suffisent pour comprendre dans
quelle impasse se trouvait la population et devant quel
dilemme se trouvaient les moines ayant choisi de vivre aux
côtés de villageois de l'Atlas, tout en refusant la
protection armée d'un régime corrompu.

Les scènes les plus touchantes sont aussi les plus paisibles
lorsque les habitants musulmans dialoguent avec ces moines
ou les invitent à une fête, lorsque ces derniers vendent
leur miel sur le même marché qu'eux, cultivent leur terre et
quand l'un des vieux moines soigne les malades du village.
Sans aucune emphase, on voit bien que le vivre ensemble est
possible entre humains d'idées, de croyances ou de modes de
vie différents. Quand un commando du GIA survient et égorge
un groupe de travailleurs croates, l'angoisse envahit aussi
bien le village que le monastère. Faut-il partir ou rester ?
La peur de mourir pour rien s'oppose à la peur de renoncer à
la solidarité avec la communauté voisine et de trahir un
engagement en l'occurrence relevant de la foi. Cet
affrontement provoque des doutes et des tensions dans le
groupe et dans la tête de certains d'entre eux.

La démocratie interne entre les moines connaît des moments
difficiles et réussit malgré tout à dénouer les conflits
dans le respect de la position de chacun. On voit bien
comment face à une menace implacable, un groupe ne peut que
se dissoudre rapidement ou se souder. Quelques pointes
d'humour parviennent à se glisser dans cette situation
dramatique, le plus souvent portées par le malicieux frère
Luc, magistralement interprété par Michael Lonsdale, qui
s'endort du sommeil du juste en lisant…les « Lettres
persanes » de Montesquieu !

Quand la question du choix est résolue, le ressort
dramatique se relâche et le temps devient long pour les
protagonistes comme pour le spectateur puisqu'il n'est plus
habité par des doutes et des interrogations. C'est l'attente
des futurs martyrs qui ont accepté cette issue les
rapprochant de leur Dieu. Les prières et les chants changent
alors de signification. Ils ne peuvent plus garder la même
intensité et même en acquérir une plus grande que pour les
spectateurs concernés personnellement par la foi ou par le
sens du sacrifice. Dans cette dernière partie le réalisateur
et ses excellents acteurs ont beau solliciter une admiration
sans bornes pour ces hommes courageux, on reste touché et
intéressé mais forcément à distance de leur sens du
sacrifice religieux, en l'occurrence chrétien, pour plaire,
obéir ou rejoindre un dieu dans lequel on ne se reconnaît pas.

Pour aller même au-delà de cette considération, est-il
nécessaire de se sacrifier pour une entité, un idéal
abstrait ? Vivre intensément pour un monde meilleur, juste
et fraternel, être prêt à mourir pour cela si les
circonstances l'imposent, c'est déjà beaucoup et bien
suffisant. Et tant que cela est possible, choisissons, comme
disait Brassens, de « mourir pour des idées, oui... mais de
mort lente ! ».


À KINSHASA
Dans un chapitre de son livre « Le pire des mondes possibles »
(éd La Découverte), Mike Davis nous avait donné un aperçu
terrifiant de Kinshasa, capitale du Congo anciennement
colonie de la Belgique. Le film documentaire de Renaud
Barret et Florent de La Tullaye nous plonge dans ce même
enfer urbain. Le mot n'est pas trop fort quand on voit les
gamins et les handicapés victimes pour la plupart de la
polio, dormant sur des cartons, vivant de mendicité, de
menus services ou de divers petits trafics. On touche le
fond. « Le pays est foutu » répètent souvent les gosses de
la rue.

En 2004 les réalisateurs ont commencé à tourner dans la rue
des handicapés paraplégiques qui avaient attiré leur
attention par la qualité de leur musique. Sur leurs
tricycles rafistolés, ces hommes tentent de gagner leur vie
en chantant et jouant à la sortie d'un restaurant. Ils
s'entraînent avec beaucoup d'énergie dans le jardin
zoologique pour devenir toujours meilleurs. Ricky est doyen
du groupe qui s'intitule Staff Benda Bilili. C'est lui qui
va intégrer dans l'orchestre un enfant de la rue, Roger, qui
a inventé un instrument à une corde montée sur une boîte de
conserve et un arc de bois et dont il tire une musique
sidérante, virtuose et émouvante.

Après maints déboires et beaucoup de volonté et de
solidarité, le Staff Benda Bilili réussira à enregistrer un
CD et à venir en Europe en 2009. On ne peut qualifier leur
parcours de success story que de façon très relative. Comme
pour les chanteurs de blues qui ont « réussi », leur musique
sera toujours chargée de toutes les souffrances et
humiliations qu'ils ont endurées ainsi que leurs familles et
leurs compagnons de très grande misère.

Un film très émouvant qui donne envie de se révolter contre
ce « pire des mondes » et pas de s'apitoyer.


TOUT UN MONDE LOINTAIN
Le temps ne semble pas avoir de prise sur l'inspiration du
compositeur Henri Dutilleux qui à l'âge de 94 ans continue
de faire naître des oeuvres d'une grande fraîcheur. Comme un
artisan génial, il prend tout son temps pour aboutir à des
compositions dont la structure est à la fois complexe et
limpide. Il aime jouer avec le silence d'où émerge souvent
sa musique pour y retourner progressivement.

À l'écoute d'oeuvres comme Métaboles (1965) ou Mystère de
l'Instant (1989), on constate sa forte filiation avec
Debussy, Alban Berg ou Bartok. Mais Dutilleux a une poésie
qui lui est propre. Il avoue accorder la primauté « à ce
qu'on peut appeler « la joie du son ». Il n'est pas étonnant
que ce compositeur apprécie le jazz et en particulier la
musique de Duke Ellington.

Pour entrer dans l'univers de Dutilleux, nous recommandons
l'écoute de son concerto pour violoncelle et orchestre en
cinq mouvements qu'il a intitulé en référence à la poésie de
Baudelaire, « Tout un monde lointain ». Il l'a composé en
1970 suite à une commande du violoncelliste Mstislav
Rostropovitch. D'autres grands interprètes tels que Xavier
Philipps, Truls Mork ou Christian Poltéra en ont donné
d'excellentes versions. Nous recommandons celle qui
(momentanément) a notre préférence, celle de Boris
Pergamenschikow avec le BBC Philharmonic sous la direction
de Yan Pascal Tortelier (CD Chandos).


Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder

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