Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n° 116 (mardi 20 avril 2010)

On a beaucoup glosé à une époque sur l'effet papillon, le
battement d'ailes de l'un d'eux en Asie pouvant provoquer de
proche en proche une tempête en Amérique. A présent l'effet
volcan est bel et bien au cœur de toutes les conversations.
Il est vexant qu'un simple phénomène de la nature ait
empêché le meilleur candidat de la droite désunie pour 2012
et encore Président d'assister aux funérailles de son
homologue polonais à Cracovie. Il est désagréable que des
hommes d'affaires aient été retardés pour signer des
contrats, des traders bloqués qui risquent d'être remplacés
par des concurrents, des compagnies aériennes qui perdent
des sommes énormes, quémandent que les contribuables, via
l'État, viennent les renflouer.

Les désagréments provoqués par un volcan ont balayé d'un
grand revers médiatique la tragédie qui frappe toujours le
peuple haïtien. La voix des femmes, des hommes et des
enfants haïtiens sans abri, traumatisés, amputés, sans
alimentation digne de ce nom, cette voix n'atteint pas les
États, soucieux uniquement de sauver leurs riches
ressortissants, leurs compagnies aériennes, leurs banques,
leurs actionnaires qui ne font rien mais sont tout dans le
monde actuel.

Comme tout se tient, toute résistance contre la dictature du
fric qui détruit les fondements de la vie sociale a sa
pleine légitimité : la grève des cheminots en France, la
résistance de la population grecque contre un plan
d'étranglement par le FMI et les banques, la grève chez Nike
au Vietnam, le refus de voir passer au laminoir de Sarkozy
et Parisot les retraites, etc.

Leur rhétorique nous la connaissons trop bien, jusqu'à la
nausée. Ministres, conseillers, politiciens, économistes
libéraux, ils commencent tous leur discours par : « Il ne
faut pas se raconter d'histoires, il va falloir… » ou bien «
Tous les experts sont d'accord pour dire que… » ou encore,
plus brièvement : « Les chiffres sont là… »

Nous ne savons pas de quelles histoires ils veulent parler,
de quels experts il s'agit ni avec quels chiffres truqués
ils veulent nous intimider et nous faire céder. Mais, sans
que l'on sache quand ni comment, ils auront le déplaisir
d'être confrontés à l'explosion d'un volcan social.
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Grand angle
Le choix du petit
Le bateau
La cuisine de l'âme
Benjamin Péret
Définitivement moderne
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GRAND ANGLE
Le dernier numéro de la revue Carré rouge s'ouvre sur
plusieurs pays : la Russie, l'Iran, Haïti et la France sur
l'enjeu des retraites abordé par Bernard Friot. L'article de
Carine Clément sur le mouvement ouvrier et syndical l'an
dernier en Russie permet d'avoir un tableau d'ensemble
nuancé, en particulier en prenant en compte les différences
régionales à l'intérieur de la Fédération de Russie.

L'étude très dense sur l'Iran de Nadine Floury et François
Chesnais prend à la fois la dimension historique nécessaire
pour comprendre les combats depuis près d'un an contre la
dictature théocratique et de nombreux faits qui pour une
bonne part proviennent de militants iraniens en exil en
France ou en Grande-Bretagne.

Outre un article sur les rapports entre Haïti et les
États-Unis, ce numéro se conclut par la poursuite d'une
discussion de l'économiste Louis Gill avec les analyses de
Michel Husson et d'Alain Bihr sur la crise.


LE CHOIX DU PETIT
La revue Variations publie en accès gratuit sur internet
(http://www.theoriecritique.com) un numéro 13/14 dont le titre est
intrigant : « Le choix du petit ». Lucia Sagradini, qui a
coordonné ce numéro et y a contribué par un bel article bien
senti, « Subjectivités rebelles et identité nationale »,
s'en explique dans la présentation. Chaque contributeur a
fait une brève proposition pour illustrer ce thème.

Il est question d'une foule de problèmes, arguments, angles
de vue et souvenirs personnels dans ce numéro dont nous
n'avons encore lu qu'une petite partie. Il y est question de
politique, de pédagogie, des industries culturelles, du
vieillissement, des avant-gardes politico-artistiques des
années 60, de l'Amérique Latine et de bien d'autres thèmes
encore. Si vous êtes curieux, laissez-vous emporter.
« Le choix du petit » est un bon choix.


LE BATEAU
Nam Le est un jeune écrivain australien d'origine
vietnamienne qui vit à présent aux États-Unis. Il n'a pas
voulu adopter la position de l'écrivain s'étalant sur les
malheurs du peuple vietnamien. Son premier recueil de
nouvelles « Le bateau » (éd Albin Michel, 351 pages) a une
vraie puissance d'expression pour raconter des destins
terrifiants. Tout gamin, il a été lui-même un de ces boat
people fuyant le Vietnam dans des conditions terribles qui
sont évoquées dans la dernière nouvelle de ce recueil.

Un thème récurrent est celui de la fuite ou de la tentative
de fuite devant la mort (« Revoir Élise »), devant le vide
d'une existence (« Ici Téhéran ») ou face au sort cruel d'un
jeune tueur à gages colombien (« Cartagena »). La nouvelle
« Hiroshima » sent un peu le procédé d'écriture mais
« Halflead Bay » située dans un port de pêche des États-Unis
est d'une grande justesse psychologique.

Le tableau du monde et de l'histoire contemporaine
qu'offrent ces nouvelles est particulièrement sombre. On ne
saurait en faire grief à Nam Le qui affronte des sujets
cruels avec véracité et sans aucun pathos. On espère
toutefois que les éloges peut-être un peu trop dithyrambique
de la critique ne vont pas trop l'enfermer dans cette veine.


LA CUISINE DE L'ÂME
Fatih Akin est un cinéaste allemand d'origine turque dont
nous avons déjà dit le plus grand bien à propos de « Head-on »
et de « De l'autre côté ». Il est retourné à Hambourg, la
ville où il a grandi, pour tourner « Soul Kitchen » (1h39).
Quelques ingrédients de base d'un film tragique se trouvent
dans le scénario : Zinos, un jeune restaurateur d'origine
grecque est installé dans une friche industrielle et il
enchaîne déboire sur déboire. Son amie Nadine part pour
Shanghaï où elle a trouvé un travail. Son frère qui est en
semi-liberté veut être embauché pour la forme. Un cuisiner
gitan talentueux mais irascible fait fuir la clientèle. La
faillite menace. Zinos en a plein le dos au sens littéral
puisqu'il se retrouve avec une hernie discale. C'est
justement parce qu'il y a beaucoup d'éléments
potentiellement dramatiques que cette comédie délectable a
beaucoup d'épaisseur.

Dès qu'une bonne occasion se présente, Fatih Akin est
corrosif à souhait contre la bêtise d'où qu'elle vienne,
avec la férocité des promoteurs immobiliers ou avec
l'arrogance des flics. En dépit de bien des ennuis de toutes
sortes, il y a dans cette société des gens ouverts qui
veulent bien boire, bien manger, bien faire la fête, bien
s'aimer et bien rire entre amis, avec en plus de la bonne
musique. Sans se préoccuper si on est « de souche » comme ci
ou « d'origine » comme ça. Du reste, il est amusant de
savoir que le meilleur ami et coscénariste du réalisateur
« d'origine turque » est l'acteur principal Adam Bousdoukos
qui est « d'origine grecque », lequel se fait soigner dans
le film par une kiné « d'origine turque ».

Dans une interview, Fatih Akin a dit très justement que le
cinéma devait aussi être « un lieu qui donne de l'espoir et
la force d'avancer », ce qui est le cas avec ce film où il
est question d'être bien ensemble sans préjugés. La bande
son est en plus un régal. La soul music accompagne très
logiquement les hauts et les bas de la « Soul Kitchen ». Les
spectateurs sont priés de rester assis pendant tout le
défilé du générique final car ce serait dommage de rater
toutes les inventions graphiques qui bouclent cette comédie
en beauté.


BENJAMIN PÉRET
Le poète surréaliste Benjamin Péret ne va pas tomber dans
l'oubli. En dehors du recueil de poèmes « Le grand jeu »
(Poésie/Gallimard), on pouvait aussi trouver chez les
bouquinistes un pamphlet « Le déshonneur des poètes » contre
l'enrôlement de la poésie sous une bannière partisane, mais
plus difficilement les autres textes de Péret, en
particulier « l'Anthologie de l'amour sublime ».

Bonne nouvelle donc, l'Association des amis de Benjamin
Péret vient de publier pour le cinquantenaire de la
disparition du poète deux ouvrages : « Benjamin Péret et les
Amériques » et une réédition de « Je ne mange pas de ce
pain-là » (éd Syllepse). Ce texte disponible en librairie
est présenté sur le site de cette association :
http://www.benjamin-peret.org.

Les mots « grinçant » ou « sarcastique » sont faibles pour
caractériser la façon dont Benjamin Péret s'en prenait au
patriotisme, au militarisme et au cléricalisme.


DÉFINITIVEMENT MODERNE
S'il existe une médiathèque bien fournie non loin de chez
vous, nous vous conseillons d'emprunter un CD (Impulse)
intitulé « Out of the Cool » d'un certain Gil Evans. Sans
plus attendre vous le glissez dans le lecteur et vous vous
laissez envoûter.

Le premier morceau est intitulé « La Nevada » ou si vous
préférez « Snowfall », ou encore la chute de neige. Dès les
premières secondes, cette musique est prenante, très
moderne, avec des coloris surprenants en partie dus à la
présence d'un tuba, d'une flûte et d'un basson. Cela
commence par quelques accords de piano, la pulsation
enveloppante d'une contrebasse, le titillement d'une guitare
électrique, l'intervention discrète et acidulée des
trompettes, un thème obstiné au piano repris par les
trombones, des percussions complexes et propulsives, des
solos lyriques. On n'en finirait pas de décrire cette
musique enregistrée en 1960 qui nous raconte une histoire,
un film panoramique avec beaucoup de rebondissements et de
changements de tempo. La suite est de la même facture. À la
fin, allez, on se remet « La Nevada » ? Cela devient alors
un de ces indicatifs personnels qui marquent les bons
moments de la vie.

Gil Evans était l'homme des rencontres entraînant ses
invités vers des sommets. Avec Miles Davis, ce fut « Miles
Ahead », « Sketches of Spain », « Porgy and Bess », « Quiet
Nights » (CD Columbia)... En 1970 , Jimi Hendrix ne put
honorer son rendez-vous prévu avec Gil Evans pour cause de
décès. Cependant Gil Evans a joué la musique d'Hendrix en
diverses occasions. L'une des plus marquantes en public se
produira en 1987 avec le chanteur Sting, qui était dans un
grand jour, à l'Umbria Jazz Festival (voir plusieurs
extraits sur U Tube). Pour renouveler l'alchimie de sa
musique, Gil Evans était preneur aussi bien du rock, de la
pop, du free jazz, de la musique brésilienne que
fondamentalement du blues.

Il y avait un air de bonté tranquille sur le visage de ce
grand canadien tout maigre. Sa personnalité ressort bien
également dans les deux CD enregistrés en 1980 où au piano
il dialogue avec un autre rêveur, le saxophoniste alto Lee
Konitz : « Heroes » et « Anti - Heroes » (CD Verve).

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
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