Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°112 (16 décembre 2009)

Johnny Hallyday ne pourra donc pas se rendre à la conférence
de Copenhague. Martine Aubry non plus pour cause d'état
grippal. C'est bien dommage pour eux. Fort heureusement le
sublime acteur et le grand écologiste californien Arnold
Schwarzenegger, ainsi que Ségolène Royal, la fringante VRP
des voitures électriques en Poitou-Charentes, sont bien
présents à Copenhague. La planète est virtuellement sauvée.
D'autant plus que Nicolas Sarkozy doit s'y rendre sous peu
avec son petit escabeau pour tirer les oreilles à Barak
Obama au cas où le président américain daignerait faire le
déplacement dans la capitale danoise.

La mascarade de Copenhague bat son plein. Les représentants
des ONG sont nombreux mais on les refoule de plus en plus,
jour après jour, de la salle du congrès. Une poignée d'entre
eux devraient être tolérés comme figurants et caution pour
la séance de clôture avec les chefs d'État. Les manifestants
sont nombreux, jeunes, enthousiastes. Les flics sont là en
nombre pour cogner dessus, comme à Seattle, comme à Prague,
comme à Gênes, comme toujours. On a pu voir dans « Le Monde »
du 5 décembre les trente sept cellules ressemblant à de
grandes cages pour zoo installées dans un ancien dépôt du
brasseur Carlsberg et destinées à « accueillir » les
manifestants arrêtés.

L'urgence répressive contre ceux qui sont conscients qu'on
s'achemine vers une catastrophe planétaire fonctionne bien.
Par contre pour les chefs d'État, de banques et de grandes
entreprises, il est toujours urgent de reporter à plus tard
les mesures pour réduire les dégagements de CO2. Priorité
absolue à leurs profits (dont ceux générés par le commerce
du carbone) et à leurs pouvoirs sans bornes. La conférence
de Copenhague peut donc se terminer aussi bien par ce que
les médias appelleront un échec que par un accord basé sur
des promesses non tenues comme d'habitude, quelle importance ?

Cependant la conférence peut apporter une démonstration
utile auprès de celles et ceux maintenus dans la rue et le
froid par les forces de police. Avant même la prochaine
conférence internationale tout aussi bidon sur le climat, de
nombreux manifestants seront amenés à considérer comme une
chimère stupide un capitalisme « vert » rendu raisonnable
par la pression des protestations.

La nécessité de liquider le capitalisme pour donner une
chance à la planète et à l'humanité de continuer à vivre
finira par émerger comme une évidence.
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Le courage d'en rire
Explorations
Hard Times
À Washington
Réunion de famille
La quiétude dans un jardin
Les cantates du Cantor
In situ
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LE COURAGE D'EN RIRE
Sous le titre « Rire de résistance en Birmanie » le
quotidien « Le Monde » du 21 novembre nous rappelait
utilement la persistante existence des « Moustache Brothers »,
un groupe d'artistes de théâtre opposés à la junte
militaire depuis son arrivée au pouvoir dans un bain de sang
en 1988. Leur petite troupe de danseurs, musiciens et
acrobates issus d'un même groupe familial se produisait dans
les fêtes. Leur spectacle mêlait folklore, burlesque et
satire politique. On trouvera de bonnes informations sur eux
dans le reportage de Géraldine Schwarz sur www.leblogde21.com .

En 1996 lors d'un spectacle au domicile de l'opposante Aung
Son Suu Kyi toujours en résidence surveillée, ils se livrent
à des plaisanteries sur les pannes d'électricité, le travail
forcé et le manque de moyens dans les écoles. À la suite de
quoi ils sont arrêtés et condamnés à 7 ans de travaux
forcés. Grâce à Amnesty International leur peine sera un peu
écourtée mais le leader de la troupe, Par Par Lay en aura
effectué 5 ans et sept mois dans des conditions très dures.
Cela ne l'a pas empêché de manifester à nouveau contre la
junte en 2007 et d'être à nouveau arrêté puis relâché.

Depuis les « Moustache Brothers » continuent leur spectacle
dans un minuscule théâtre difficile d'accès et ouvert aux
seuls touristes étrangers de par le diktat des militaires.
Ils n'ont pas perdu leur humour malgré les mauvais
traitements dont ils ont été victimes. Il leur est arrivé de
jouer dans la rue, sans costume ni maquillage, bravant
l'interdiction, en disant : « nous ne jouons pas, nous
montrons comment ce serait si nous jouions ».


EXPLORATIONS
Les revues qui ne s'installent pas dans une routine dans
leur façon d'aborder les problèmes ne sont pas légions. «
Carré rouge » est une de celles-là. Le dernier n° 42 cherche
toujours et encore à creuser la compréhension de quelques
questions essentielles concernant l'évolution de la société,
du capitalisme, de la condition des salariés et de la
configuration de leurs luttes.

Sans entrer dans le détail du sommaire, nous attirons plus
particulièrement l'attention sur l'entretien avec Pierre
Dardot et Christian Laval qui ont publié « La Nouvelle
raison du monde » sur le néolibéralisme, et sur les
réflexions de Denis Paillard et François Chesnais à propos
de l'autocollant « Rêve générale ».

HARD TIMES
Offrir à un proche un livre sur la crise de 1929 n'est pas
l'idée qui vient spontanément à l'esprit. On pense aussitôt :
« Ras-le-bol de la crise et de tout ce qui la concerne !
Accordez-nous une petite trêve ! ». Sauf que le livre de
Studs Terkels, « Hard Times » qui vient enfin d'être traduit
en français (éd Amsterdam) est un livre extrêmement vivant
sur la façon dont les gens ont vécu la grande dépression des
années trente aux États-Unis. Terkels, un journaliste de la
gauche radicale a recueilli des témoignages qui vont du
tragique au comique, du touchant au consternant, dans la
région de Chicago. Il est allé voir des gens dans tous les
milieux sociaux y compris auprès de ceux qui se sont
enrichis au cours de cette décennie. Il a aussi interrogé
des jeunes n'ayant pas connu cette période pour saisir leur
perception de la dépression au travers en particulier des
réactions de leurs parents.

L'écrivain Arthur Miller recommandait chaudement la lecture
de ce livre. Il faut compléter cet argument de belle
autorité, en signalant que ces témoignages sont illustrés
par 58 photos très parlantes prises à l'époque par la grande
photographe Dorothea Lange.


À WASHINGTON
L'écrivain Dinaw Mengestu a écrit un premier roman à
l'évidence très autobiographique et d'une justesse de ton
remarquable, « Les belles choses que porte le ciel » (éd Le
Livre de Poche).

Dans un quartier à la dérive de Washington l'éthiopien Sépha
se retrouve à la tête d'une petite épicerie qui dépanne à
l'occasion les habitants du quartier en crackers, boîtes de
lait, eaux minérales ou préservatifs. Depuis dix-sept ans
qu'il a quitté son pays dans des conditions dramatiques, il
n'a vraiment pas acquis un sens très développé des affaires
mais il a gardé deux amis fidèles, Kenneth un ingénieur
d'origine kényane et Joseph un serveur d'origine congolaise.
Quand ces trois-là se retrouvent pour vider quelques verres,
leur jeu favori consiste à se poser des colles sur les dates
des divers coups d'État et massacres et sur les noms de
leurs instigateurs qui ont ravagé l'Afrique depuis plus de
quarante ans. Cet esprit de dérision les aide à établir la
juste distance entre leur passé douloureux et leur présent
plutôt tristounet.

Lorsqu'une jeune femme blanche et sa fillette viennent
emménager à côté de l'épicerie de Sépha, l'état de
tranquille prostration dans lequel se maintenait Sépha se
trouve doucement ébranlé. Le quartier change, les relations
changent, c'est l'Amérique !

Un roman émouvant que devraient apprécier ceux qui aiment
les chanteurs de blues, Billie Holiday ou les écrivains
Carson Mac Cullers, Salinger, Dante ou Dostoïevski. Ceux qui
ne connaissent pas tous ces gens-là aimeront de toute façon
cette histoire d'aujourd'hui qui incorpore les aléas de
l'Histoire.


RÉUNION DE FAMILLE
Il n'est pas rare qu'une réunion de famille, surtout dans un
cadre festif ou solennel, soit de nature à secouer le
psychisme des personnes qui se retrouvent ensemble. Tout
devrait théoriquement bien se passer puisque « nous sommes
de la même famille » et aussi selon l'étrange adage que
« finalement, la famille, il n'y a que cela de vrai ! ». Sauf
que les jalousies, les espoirs déçus, les non dits et les
sujets qui peuvent blesser ou fâcher ont souvent tendance à
s'inviter subrepticement lors des réunions de famille. Pour
restaurer l'image de la famille unie et aimante en dépit des
rivalités et des échecs personnels et professionnels,
certains se démènent pour maintenir les apparences alors que
d'autres torpillent cette façade consensuelle ou traînent
des pieds. Le cinéaste japonais Hirokazu Kore-Eda a traité
avec maestria cette question de l'ambivalence du cadre
familial, ressenti comme à la fois vital et étouffant. Son
film « Still walking » qui vient de sortir en DVD (Pyramide)
avec un bonus de 23 minutes est un cocktail d'humour, de
poésie et d'émotions délicates ou grinçantes.

Dans la banlieue aisée de Yokohama, des parents invitent
chaque année toute leur famille dans leur maison pour
commémorer le décès accidentel de leur fils aîné. L'ambiance
pourrait être sinistre et silencieuse mais il n'en est rien.
La mère est une femme au foyer qui a l'esprit caustique et
la langue bien pendue. Les enfants et petits enfants entrent
dans la danse avec leurs soucis, leur spontanéité et aussi
leur envie d'être ailleurs, tandis que le père, médecin à la
retraite, joue le plus longtemps possible les bougons
intraitables.

Nous avions déjà parlé de ce film dans la lettre du 6 juin
dernier. Mais pourquoi se priver de reparler d'un bon film
lorsqu'il passe du grand au petit écran ?


LA QUIÉTUDE DANS UN JARDIN
Les beaux livres ne sont pas nécessairement chers
contrairement à ce qui ressort des sélections recommandées
en fin d'année par les revues et suppléments littéraires.
Aux éditions Picquier poche, nous avions déjà été séduits
par le petit livre de Jacques Pimpaneau, « Dans un jardin de
Chine ».

Dans la même collection vient de sortir un beau petit livre
« Les Paradis naturels, Jardins chinois en prose » avec
trente-huit courts textes de lettrés chinois traduits et
présentés par Martine Vallette-Hémery et agrémentés de
quelques dessins (206 pages).

Les prosateurs érudits qui décrivent ici différents jardins
étaient souvent des fonctionnaires démis de leurs fonctions
ou ayant choisi de les fuir. Certains étaient très riches
mais d'autres étaient des bohèmes parfois itinérants qui
vivaient de leur production artistique et littéraire.

Face aux retournements de pouvoir qui ont ponctué la longue
histoire de la Chine, ils jugeaient nécessaire de garder une
trace écrite permettant de pérenniser ces jardins de rêve
sans cesse ravagés. Leurs descriptions nous entraînent dans
leurs « paradis naturels » ou ceux de leurs amis aux titres
enchanteurs : le jardin de la Forêt fleurie, le Kiosque des
vagues bleues, le jardin de la belle humeur, l'enclos des
Fleurs de pruniers, le jardin du Maître des Filets ou tout
simplement le jardin qui me plaît.

On découvre les principes qui inspirent l'élaboration de ces
jardins : fragmentation de l'espace, courbes, légèreté des
constructions, rôle du minéral et de l'eau, abondance et
diversité des espèces d'arbres et de fleurs disposés en
accord avec le passage des saisons.

Le jardin ne doit pas avoir l'air naturel tout en étant
comme un concentré magnifié de la nature créant une émotion
tout comme la peinture, la poésie ou la nature. Un lettré
écrit : « On a suivi la nature en la rendant plus subtile. »

Le jardin devait aussi avoir sa musique naturelle, chants
d'oiseaux, mouches, grenouilles, cris de singes et bien sûr
le chant de la pluie et du vent.

Un jardin vise à être un refuge, un lieu de quiétude où l'on
converse avec ses amis. Tout en étant un espace recélant
toutes sortes de surprises et d'allusions littéraires, le
jardin chinois était conçu pour établir une relation apaisée
avec le monde.

Un autre excellent livre un peu plus onéreux mais illustré
de nombreuses photos de jardins actuels et de documents en
couleur permet d'assouvir complètement la curiosité du
lecteur sur le même sujet : « Les jardins chinois » de Lou
Qingxi (éd China Intercontinental Press, ISBN 7-5085-0368-6).

La lecture de ces deux livres nous évade en douceur de
l'ambiance frénétique des espaces du consumérisme.


LES CANTATES DU CANTOR
La revue Classica présente ce mois-ci un intéressant dossier
sur Johann Sebastian Bach avec en particulier une
proposition de voyage en Allemagne sur les lieux où le
compositeur a vécu, créé et joué ses œuvres pour nourrir sa
nombreuse famille. A défaut d'aller sur les traces de Bach
entre Noël et le jour de l'an, on peut toujours effectuer un
très beau voyage dans sa musique et grâce à sa musique.

C'est un grand bonheur de découvrir par exemple ses cantates
religieuses, sans parler de ses cantates profanes et drôles.
Ce sont des œuvres relativement courtes mais très variées où
les voix, les hautbois et les flûtes tiennent une grande
place. Bach devait composer une cantate pour chaque dimanche
lorsqu'il était cantor, responsable de la musique religieuse
et de l'enseignement de la musique à Leipzig. Une cadence
infernale de création, d'autant plus que les conseillers
municipaux de cette ville n'appréciaient ni son génie ni son
caractère rugueux et revendicatif à leur égard. Il existe
plusieurs interprétations très belles de ces cantates par
Nikolaus Harnoncourt, Gustav Leonhardt, Philippe Herreweghe,
Ton Koopman ou Helmuth Rilling. Le chef, organiste et
claveciniste japonais Masaaki Susuki en a à son tour proposé
une interprétation attachante avec le Bach Collegium Japan.
Les cantates déjà enregistrées viennent d'être rééditées à
bas prix en quatre coffrets de dix CD chez BIS. S'il ne
fallait en choisir qu'un, il faut écouter le 24e CD
comportant les cantates BWV 8, 33 et 113. Les cantates de
Bach étaient jouées dans des églises d'un format
relativement modeste, la Thomaskirche et la Nicolaikirche.
Il est donc tout à fait convaincant même sur le plan
musicologique que Susuki nous propose des interprétations
aériennes qui ont un caractère presque intimiste et rêveur.

IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne sur notre
site trois textes : « Fabriquer sans patron », un article
sur les travailleurs de l'usine Zanon en Argentine, une
étude intitulée « A propos d'urgence écologique, de
politique de transport et de fret ferroviaire » et enfin un
article publié dans Carré rouge, « Une myriade de luttes sur
fond d'inquiétudes et de colères sourdes ».

Un point de vue sur le film « Vincere » de Marco Bellocchio
va également être mis en ligne très prochainement.

Bien fraternellement et bonnes fêtes à toutes et à tous

Samuel Holder

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