Culture & Révolution

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Journal de notre bord

Lettre n°111 (3 novembre 2009)

Bonsoir à toutes et à tous,

Nous qui sommes métis, métèques, composites, cosmopolites,
internationalistes, de partout et de nulle part, bref êtres
humains ni plus ni moins, nous prenons acte de la bêtise
dangereuse de la classe dominante française qui réactive le
thème de « l'identité nationale » qu'elle est allée chercher
dans les poubelles de l'extrême droite.

Car il faut vraiment que cette classe dominante soit au bout
du rouleau de ses ressources idéologiques pour avoir recours
avec délectation à cette thématique nauséeuse qui est un des
axes majeurs du sarkozisme. Ce régime de plus en plus
policier s'affirme au fil des mois comme une forme sans
vergogne de lepénisme disposant de toutes les ressources et
séductions étatiques pour entraîner dans son sillage tous
les vieux riches, les nouveaux riches, les grands et petits
assoiffés d'argent, de postes et de prestige.

Faisant état d'une étude du baromètre Barclays-« Les Échos »,
le quotidien économique du même nom peut nous délivrer
cette bonne nouvelle dans son édition du 29 octobre :
« Le moral des riches remonte doucement ». En se goinfrant
sur le dos de l'État et des salariés ajouterons-nous. En se
plaisant à détruire ce qu'il reste de services publics et en
ne reculant devant aucune infamie comme celle de vouloir
racketter les accidentés du travail. Mais ce que la crise a
révélé, c'est que le roitelet de l'Élysée n'est plus aussi
fringant et qu'il est même inquiet. Le nombre de policiers
qui doivent le protéger dans ses multiples déplacements est
en croissance exponentielle. Tous ses conseillers ne
pourront remédier à sa peur viscérale de l'éclatement de
colères sociales sans préavis. Il a eu peur de rencontrer
les ouvriers de Gandrange et a fait un passage éclair et
clandestin dans les parages pour que ses communicants
puissent clamer : « Il est allé à Gandrange ! ». Il a peur
de perdre toutes les élections à venir en dépit de l'état
calamiteux du Parti socialiste et c'est pourquoi il injecte
à nouveau une forte de dose de xénophobie et de peurs
sécuritaires pour droguer l'électorat, pour diviser les
classes populaires sous les applaudissements du Medef.

La grève actuelle des 4 600 travailleurs sans-papiers est
une belle et forte réponse à cette sinistre et très voyante
manœuvre. Cette lutte pour leur régularisation échappe comme
par hasard à une médiatisation sérieuse. Elle est cependant
une bonne claque dans la figure du gang gouvernemental.
D'autant plus que bien des patrons des secteurs concernés
commencent à être en difficulté du fait de cette grève
dynamique et bien organisée où chaque jour des bâtiments
sont occupés en dépit des expulsions musclées. Si ce
mouvement se renforce et reçoit l'appui qui s'impose,
il a de bonnes chances d'être victorieux.
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Questionnaires et questionnement
Les moyens de comprendre
Dans les failles de la domination
Effacement
Multitudes
Herbes folles
Soulages
In situ
New website
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QUESTIONNAIRES ET QUESTIONNEMENT
Un questionnaire est fait en général pour empêcher un
questionnement, ce que les patrons de France Télécom ont
bien compris. Pour éliminer, supprimer ou cacher un problème
et sa solution, il faut le noyer dans des statistiques, une
quantification quelconque. On observe le stress, on le pèse,
on le soupèse, on produit des chiffres sur son augmentation
globale, son recul ici ou là. Les femmes et les hommes au
travail, leur sensibilité, leurs sentiments, leurs
souffrances, leurs liens brisés, tout sera broyé dans le
malaxeur des statistiques, bien évidemment et rigoureusement
« mises à jour ».

L'enquête diligentée par France Télécom met sur la sellette
les salariés alors que c'est au niveau criminogène des
managers et des actionnaires qu'une enquête serrée devrait
être menée. Ce qui conduirait certainement à la
préconisation du licenciement et de l'expropriation de ces
gens-là, et à l'abolition de leurs méthodes d'un raffinement
barbare.


LES MOYENS DE COMPRENDRE
Le documentaire en trois parties de Jean-Robert Viallet
« La Mise à mort du travail » diffusé sur France 3 il y a
quelques jours offrait la possibilité de vraiment comprendre
comment fonctionne toute la machinerie du capital depuis la
strate des gros investisseurs, celles des cadres supérieurs
jusqu'à celle des salariés au bas de l'échelle, qu'ils
soient encore en activité, licenciés ou en passe de l'être.

Trois lieux principaux ont été scrutés par le documentariste
et son équipe. On se retrouve d'abord dans une salle de
tribunal des prud'hommes où des vendeuses d'une grande
surface contestent leur licenciement. Le tournage se
poursuit à l'entreprise Carglass, leader mondial dans le
remplacement des pare-brises. On passe enfin à l'entreprise
Fenwick où des consultants « vendent du comportement » à la
direction pour faire cracher à chaque vendeur un maximum de
rentabilité ; quand ce ne sont pas les ouvriers eux-mêmes
qui doivent trouver « les améliorations » au processus de
travail. Ces efforts ingénieux pour gagner du temps les
rapprochent en fait de leur mise à la porte.

Ce film ne se perd pas en effets chocs sur le spectateur ni
en considérations misérabilistes. Il nous donne tout le
temps nécessaire pour comprendre le fonctionnement
d'ensemble, en particulier par le nombre et la subtilité des
observations, des mimiques ou des propos significatifs
saisis sur le vif. A cela s'ajoutent des commentaires
réellement éclairants de la psychanalyste Marie Pezé, du
psychanalyste et psychiatre Christophe Dejours et du
sociologue Vincent de Gaulejac.

Ce travail d'investigation remarquable mériterait d'être
publié en DVD et d'être vu et débattu largement. Il va
falloir en effet trouver les moyens de contrer sans attendre
toutes les stratégies brutales et perfides visant à dégager
un maximum de profit aux dépens de notre santé et de nos
vies.


DANS LES FAILLES DE LA DOMINATION
Rendons-nous à présent au Nicaragua où nous allons retrouver
parmi d'autres questions celle de la souffrance au travail.
La sociologue Natacha Borgeaud-Garciandia a eu des
entretiens en 2002 et en 2004 à Managua avec des ouvrières
et des ouvriers d'usines textiles de sous-traitances
appelées « maquiladoras ». Elle rend compte de son enquête
et de sa réflexion dans un livre intitulé « Dans les failles
de la domination » (éd PUF, septembre 2009, 167 pages).

Le Nicaragua a eu une histoire très tourmentée avec la
dictature de Somoza et le pouvoir des sandinistes torpillé
par la guerre civile orchestrée par les USA avec les bandes
armées des « Contras ». Le pays en est sorti exsangue. En
1990 le gouvernement de droite victorieux en a profité pour
livrer la main d'œuvre du pays aux multinationales qui ont
installé leurs « maquiladoras » dans des zones spéciales
entourées de grillages et dicté leurs règles. Dans ces
conditions historiques particulières les travailleurs n'ont
pas eu le choix de refuser des conditions de travail féroces
et depuis ils vivent en permanence avec la peur latente
d'être renvoyés et de sombrer.

Comment peut-on tenir sous une domination aussi lourde et
omniprésente puisqu'elle structure la totalité de la vie en
obligeant les familles à s'adapter à ses exigences ? Les
« maquiladoras » mettent en œuvre « un système d'emploi de la
main d'œuvre qui tend à fragmenter tout dispositif de
protestation collective ». Et pourtant au niveau même du
sujet individuel mis au travail, il existe des failles dans
la domination. Natacha Borgeaud-Garciandia s'est surtout
entretenue avec des femmes toutes très différentes dans leur
parcours. Elle s'est intéressée de façon très approfondie à
leur subjectivité complexe, à leurs stratégies de vie au
travail et en dehors de l'usine, entre refus et résignation,
entre lucidité et déni de la réalité. La réflexion de
l'auteur s'élargit aux grandes questions existentielles,
sociales et personnelles qui concernent la domination, la
soumission, la liberté (et finalement notre avenir commun).
Elle reprend d'ailleurs à un moment ce problème que La
Boétie avait génialement soulevé dès le XVIe siècle dans son
texte « Discours de la servitude volontaire ». Elle relève
qu'une subjectivité opprimée de façon flagrante reste habile
et créative, « s'active encore et toujours à survivre et à
se déployer ». La part du politique n'est jamais totalement
évacuable et « la domination, en excédant ses propres buts,
produit de l'imprévisible, ou du potentiellement
imprévisible ».


EFFACEMENT
La démarche de l'écrivain américain Percival Everett ne
consiste pas à s'interroger sur son identité et sur ses
racines. À l'inverse, cela l'irrite considérablement d'être
catalogué comme un écrivain noir se devant d'écrire avant
tout sur les Afro-américains et leurs conditions
d'existence. Le monde de la grande édition prétendant
répondre aux attentes des lecteurs cantonnerait volontiers
bien des romanciers dans une sorte de communautarisme
intellectuel, les femmes parlant des problèmes des femmes,
les homosexuels des problèmes des homosexuels, les Noirs des
problèmes des Noirs et ainsi de suite. Percival Everett qui
est romancier et professeur de littérature en Californie a
publié « Effacement » en 2001 (éd Babel, 2006, 364 pages).
Ce roman est d'un humour cinglant à l'égard des préjugés de
l'intelligentsia, le monde de l'édition, la stupidité des
médias et quelques autres cibles réactionnaires. Le héros,
Thelonious Ellison, est un intellectuel noir, un analyste et
un producteur de narrations trop sophistiqué pour être
compris par ses collègues. Il est bien sûr incapable
d'écrire un best-seller et on lui reproche de ne pas écrire
comme un « black ».

Lorsque des difficultés financières vont tomber sur sa
famille, il va se résoudre à le faire par dépit et par défi,
de façon grossièrement caricaturale et sans révéler son
identité. Damned ! Son « roman » lamentable, totalement
trash sur la vie dans un ghetto noir, va faire un tabac. Il
se retrouve dans une situation impossible.

Percival Everett a réussi un véritable tour de force car son
roman est à la fois émouvant, férocement drôle, d'une
érudition folle et d'une verve parodique inépuisable car de
temps en temps il introduit des dialogues fictifs entre
créateurs célèbres comme Paul Klee, Rothko, James Joyce ou
Oscar Wilde.


MULTITUDES
La crise ne laisse personne indifférent mais on est en droit
d'éprouver une certaine lassitude après une avalanche de
discours convenus et d'analyses qui aident que trop rarement
à comprendre pour agir. Le dernier numéro 37/38 de la revue
« multitudes » (éd Amsterdam) se saisit de la crise sous des
angles originaux ou carrément anti-conformistes. Un
abécédaire de la crise auquel ont participé quarante deux
contributeurs jouant le jeu de l'anonymat, parcourt toute la
revue avec des entrées inattendues tels que Arrogance,
Bistouille, Casseroles (Argentine 2001), Crack-capitalism,
Déboulé, Krise comme Kenya, Pirates, Pollen (crise des
transports), Suicides agraires (Inde), Volkswagen ou
Vieilles (peaux). Le tout est illustré par des photos et des
compositions graphiques d'artistes brésiliens.

Cette livraison de « multitudes » dont la maquette est
extrêmement inventive comprend également deux dossiers, l'un
sur l'habitat non-ordinaire et l'autre sur les politiques du
« care » (en anglais « s'occuper de », « prendre soin de »)
où il est question entre autres du travail domestique et de
la vie morale de la nounou, en l'occurrence originaire
d'Abidjan.


HERBES FOLLES
À 87 ans Alain Resnais refuse de vieillir et de se répéter.
Si vous venez de sortir de la projection de son dernier film
« les Herbes folles », vous êtes peut-être perplexe et un
peu irrité. Voilà qui est tout à fait compréhensible. Nous
entrons dans la mauvaise saison, les soucis personnels et
les incertitudes de toutes sortes se multiplient. Et
tranquillement ce vieux cinéaste malicieux nous raconte une
histoire émaillée d'éléments énigmatiques. Par exemple
pourquoi cette fin qui n'est pas raccord avec ce qui précède ?

C'est éventuellement vexant de ne pas tout comprendre mais
cela a la vertu de maintenir notre esprit en éveil. Quand un
film se place délibérément dans le registre de l'onirisme ou
du fantastique, on comprend les règles du jeu ; cela a
quelque chose d'aussi confortable et rassurant qu'un film
réaliste bien carré. Mais Alain Resnais se moque de nous,
sans méchanceté du reste, en nous promenant et en nous
égarant dans un entre deux à la fois inquiétant, réaliste et
décalé, déterminé et indéterminé.

Plusieurs éléments parmi d'autres sont à saluer et à
savourer dans ce film brillant : une performance d'acteur
absolument sidérante de la part d'André Dussolier, celle de
Sabine Azéma ne laissant pas non plus indifférent, mais
aussi des éclairages, des couleurs et des cadrages d'une
originalité et d'une poésie séduisantes.


SOULAGES
Le peintre Soulages aura tracé son propre sillon sans
s'émouvoir des critiques et surtout des éloges. La
rétrospective qui lui est consacrée à Beaubourg dégage dès
les premières œuvres une impression de puissance raffinée.
On retrouve quelques chose du même ordre chez les grands
calligraphes et artistes asiatiques jouant sur les rapports
entre le noir et le blanc (ou le vide si l'on préfère).

Dans les années soixante-dix Soulages se paie d'audace en
n'ayant plus recours qu'au noir, à l'outrenoir pour
reprendre son expression. Son noir laqué est une couleur aux
nuances infinies par le jeu de la diversité des lumières sur
les lignes, les grattages et les empâtements.

Depuis quelques années les innovations de Soulages sont
parfois moins heureuses ou bien ses variations sont infimes
et donnent l'impression d'un recommencement perpétuel. Mais
l'ensemble est d'une sérénité majestueuse qui aiguise le
regard.


IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne un texte
de Carine Clément sur les élections municipales falsifiées
en Russie et le mouvement de protestation à Astrakhan, et un
article de Solidaires sur le coup de force du gouvernement
mexicain contre les travailleurs combatifs d'une compagnie
nationale de distribution de l'électricité.

NEW WEBSITE
Des camarades britanniques qui s'intéressent de longue date
à la revue Carré rouge et au site « Culture et Révolution »
ont eu la bonne idée de se lancer dans une aventure qui
n'est pas sans points communs avec la nôtre en créant le
site « Culture and Revolution » http://culture-revolution.info/.
Nous souhaitons bonne chance et longue vie à leur site.
Nos lectrices et lecteurs qui maîtrisent plus ou moins l'anglais
se feront un plaisir d'y découvrir des textes de qualité.

Bien fraternellement à toutes et à tous

Samuel Holder
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  mél : Culture.Revolution@free.fr 
 http://culture.revolution.free.fr/
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