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Journal de notre bord

Lettre n°110 (5 octobre 2009)

Bonsoir à toutes et à tous,

Allons-nous tenir encore longtemps avec cette marée montante
du chômage et cette dégradation constante des conditions de
travail ? Le doute s'installe qui nourrit la colère. Les
jeunes avec ou sans diplôme qui ne trouvent pas de travail
vont s'apercevoir avant longtemps de la vaste supercherie
que constitue l'organisation de cette société et de son
économie.
Les salariés craquent car les patrons et les grands chefs
les acculent dans des positions indignes et intenables.

Ce n'est pas seulement à France Télécom que des salariés se
sont donnés la mort sur leur lieu de travail. Au ministère
de l'équipement les « suicides » sont tout aussi nombreux
mais les grands médias n'ont pas voulu faire de la peine à
l'ami de Sarkozy, le ministre Borloo, en jetant une lumière
trop vive dans ce secteur. Ajoutons que ces « suicides »
qu'il est très difficiles de faire admettre comme étant des
accidents du travail sont en fait des assassinats et qu'ils
se produisent dans tous les secteurs d'activité comme nous
en avions déjà parlé à propos de ceux survenus chez PSA et
chez Renault (voir la lettre n°79 du 14 mars 2007).
Du reste, il est tout à fait insuffisant de dire que ce sont
des assassinats. Car tout en mettant en cause comme il est
absolument nécessaire de le faire les méthodes
d'exploitation des équipes managériales, cela cantonne
encore ces salariés décédés dans le seul statut de victimes.
Or pour plusieurs d'entre eux, il y a une autre dimension.
Ils et elles se sont révoltés, ont laissé des messages
et ont porté un doigt accusateur vers les coupables de leur
assassinat. Cela nous pousse à engager un vaste combat pour
en finir avec un système qui nous considère comme des
choses, comme un stock de ressources à exploiter à des
seules fins d'accumulation de profits. Le grand refus d'être
des mercenaires d'une entreprise, d'être de la chair à
profit commence déjà à se manifester au travers de diverses
réactions. Il est clair que ce n'est qu'un début.
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Problèmes de coordination
Paysages décroissants
Temps sauvages
Rien de personnel
Rosa, la vie
Création utopique
In situ
Citation
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PROBLÈMES DE COORDINATION
Pour nos lecteurs étrangers et pour les lecteurs français
qui ont vingt ans ou moins, il est nécessaire de préciser
que depuis le mouvement de grève de novembre et décembre
1995, la question de la coordination des luttes des salariés
se pose de façon récurrente en France. Quelques tentatives
pour prendre en main la question par en bas, indépendamment
de l'évidente mauvaise volonté des chefs syndicaux, ont été
tentées comme lors de la grande manifestation parisienne du
9 juin 2001 à l'appel de salariés de Lu-Danone, Marks et
Spencer, AOM, etc. A chaque fois que nous avons eu
l'illusion qu'une interpellation vigoureuse ou une pression
sur les directions syndicales pourrait les obliger à
coordonner les grèves et à développer le potentiel des
luttes en cours pour leur donner le maximum d'efficacité,
cela s'est traduit par un fiasco et beaucoup d'amertume.
Les grévistes de 2003 l'ont encore en mémoire.

Quelques collectifs et comités locaux de grévistes ont
réussi à se mettre en place et à se coordonner depuis
l'appel des ouvriers de New Fabris à manifester le 30
juillet dernier à Chatellerault. Ce sont eux qui ont assuré
le succès relatif de la manifestation du 17 septembre
dernier à la Bourse de Paris d'environ 3 000 salariés
essentiellement du secteur de l'automobile et de la CGT.

Renouer avec la démarche de coordination par en bas n'a rien
de facile. Certains militants craignent de trop braquer
contre eux certains appareils syndicaux. De plus, bien des
luttes actuelles concernent des travailleurs qui après avoir
lutté avec acharnement se retrouvent le plus souvent
dispersés après avoir été licenciés. A ce propos il y a un
problème général important à affronter et à résoudre. Depuis
des années des milliers de salariés ont acquis une
expérience forte et précieuse au travers de leurs luttes.
Mais comme un grand nombre d'entre eux n'ont pas retrouvé de
travail ou s'est retrouvé à la retraite, tout se passe comme
si ces expériences n'avaient pas existé et ne pouvaient
servir à personne. D'où aussi une discontinuité dommageable
de l'expérience collective qui pèse négativement sur les
salariés qui s'engagent aujourd'hui dans la lutte.

Il serait important pour tout le monde de trouver les moyens
de transmettre ces expériences et de favoriser la
multiplication de structures démocratiques établissant des
liens solides entre elles. Car face à nous il y a des gens,
les gouvernants et les principaux dirigeants syndicaux en
contact téléphonique permanent, qui savent se coordonner
efficacement pour fractionner les luttes et éviter toute
explosion sociale.


PAYSAGES DÉCROISSANTS
On peut d'ores et déjà porter à l'actif du XXIe siècle la
disparition définitive des paysages. Les campagnes étant
très sérieusement ratatinées et polluées, bien des espèces
animales et végétales ne se s'y sont pas trompées et ont
commencé à chercher refuge dans les parcs, sur les terrasses
des immeubles et dans les jardins des villes. Mais les États
et certaines instances régionales et locales ont envoyé
d'autres signaux forts pour détruire les paysages
campagnards qui se vident de leurs occupants. Sous couvert
de développer les énergies renouvelables, des bosquets et
bientôt des forêts d'éoliennes poussent un peu partout, des
côtes danoises à la Provence, de la Californie à la Chine en
passant par le Nicaragua.

Sous prétexte qu'à première vue on ne peut pas être contre
le principe des éoliennes produisant une énergie non fossile
ni contre leur implantation mesurée dans certains endroits,
quelques gros entrepreneurs surfent allègrement sur
« la vague verte » pour caser leurs structures dans le monde
entier ce qui uniformise étrangement les paysages.

Économies d'énergie ? Certains analystes ont fait des
objections sur le peu de gain en la matière si l'on
considère le nombre de tonnes de béton nécessaires pour les
fabriquer. Sans parler du fait que les riverains, les
oiseaux et les chauves-souris n'ont pas l'air d'adorer les
éoliennes. Tout ce petit monde ne va pas tarder à être
montré du doigt comme une bande d'égoïstes qui ne veulent
pas se sacrifier pour que triomphe « l'écologie » à la sauce
capitaliste.


TEMPS SAUVAGES
Les nouvelles qui tombent nous renvoient constamment à un
passé éclairant notre présent à condition d'y porter une
attention suffisante. Ainsi on vient d'apprendre qu'un
officier argentin de l'armée de l'air s'est fait pincer en
Italie où il coulait des jours tranquilles. Il était un de
ces individus qui jetaient de leur avion des prisonniers
politiques dans la mer ou dans le Rio de la Plata. Dans son
livre « La stratégie du choc », Naomi Klein a remis en
perspective tous les épisodes ignobles de la
contre-révolution néo-libérale dans les années 70 et 80, de
la dictature de Pinochet en 1973 au massacre de Tiananmen en
1989.

Concernant la dictature des militaires argentins de 1976 à
1983, la lecture du roman d'Elsa Osorio, « Luz ou le temps
sauvage », s'impose (éditions Métailié, réédition en 2008).
Inutile de cacher que sa lecture est éprouvante mais
nécessaire car, lorsqu'on a tourné la dernière page, on a
compris de l'intérieur, avec sa propre sensibilité, ce
qu'ont signifié ces années de « temps sauvage » pour le
peuple argentin.

Les tortionnaires avaient pour habitude de tuer les jeunes
mères prisonnières après leur accouchement et de placer ces
enfants dans des familles de militaires ou de bourgeois
menant une guerre abominable contre les opposants à leur
dictature. Dans ce roman Luz est une de ces enfants placées
dans une « bonne famille » qui à l'âge adulte éprouve le
besoin impératif d'enquêter sur son origine et sur ses vrais
parents.

Ce roman est poignant mais aussi paradoxalement
enthousiasmant car il montre des hommes et des femmes qui
s'aiment et qui vont jusqu'au bout de leur combat personnel.
Malgré leurs faiblesses et leurs peurs, ils et elles sont
portés par une exigence de vérité. Dans cette lutte
incroyablement difficile intervient dans la dernière partie
l'action obstinée et admirable des Grands-Mères de la place
de Mai à Buenos-Aires.


RIEN DE PERSONNEL
Le film original et sensible de Nassim Amaouche, « Adieu
Gary », montrait la zone d'ennui, de dégoût et de
désespérance quotidienne qui se trouve à la périphérie du
monde des entreprises encore en activité.

Le film « Rien de personnel » de Mathias Gokalp nous plonge
au cœur des relations qui régissent une entreprise
pharmaceutique apparemment en pleine activité débridée. Le
groupe Muller organise un raout de ses cadres avec abondance
de petits fours, champagne et intermèdes musicaux dans un
château style XIXe siècle à l'occasion du lancement d'un
nouveau produit. Rapidement il apparaît que cette agréable
soirée informelle a pour but d'évaluer les compétences de
chaque individu afin de rendre l'entreprise encore plus
rentable. Soudain le soupçon s'insinue que l'objectif réel
des exercices de coaching est peut-être tout autre. Et s'il
s'agissait de repérer les éléments à virer lors du rachat
imminent de l'entreprise par un autre groupe ? Les cadres
mercenaires qui s'imaginaient dans la position solide de
partenaires du boss chargés de booster le personnel
découvrent au fil de la soirée qu'ils seraient
éventuellement du nombre dans une charrette de
licenciements. Le responsable syndical du CE est bien
embarrassé. Que faire, balancer l'information secrète,
organiser la lutte ou sauver sa peau comme lui suggère le
patron ?

Le réalisateur multiplie les angles d'observation du
processus de décomposition des individus, des couples et des
amitiés en reprenant certaines séquences pour que notre
regard soit de plus en plus acéré. Un film grinçant sans
avoir l'air d'y toucher, avec une pléiade d'acteurs parfaits
dans ce jeu de rôles où ils ne font pas leur numéro mais
font ressortir le caractère pathétique et humain de leur
personnage (Jean-Pierre Darroussin, Mélanie Doutey, Denis
Podalydès et Zabou Breitman).


ROSA, LA VIE
La révolutionnaire internationaliste Rosa Luxemburg qui fut
assassinée en janvier 1919 à l'instigation du gouvernement
social-démocrate de Ebert et Noske revient dans l'actualité
avec ses lettres de prison écrites pendant la Première
guerre mondiale. L'actrice Anouk Grinberg avait déjà lu
quelques unes de ces lettres en 2006. Elle renouvelle cette
lecture actuellement au Théâtre de la Commune
d'Aubervilliers jusqu'au 9 octobre.

Parallèlement l'actrice avec la collaboration de Laure
Bernardi a travaillé à la traduction de ces lettres qui
paraissent aux éditions de L'Atelier avec un cahier photo et
un CD.

La voix d'Anouk Grinberg a des intonations étranges et
complexes qui peuvent déranger ou déconcerter mais
qu'importe. C'est une voix d'une telle sincérité qu'elle
balaye toutes les réticences et nous conduit à écouter ces
textes si puissants et si délicats avec une attention
étonnante.

Dans un entretien donné récemment à la fête de l'Humanité,
Anouk Grinberg a apporté son propre regard sur ces lettres
en mettant en lumière leur actualité inaltérable pour qui ne
se soumet pas à la barbarie dans ses formes brutales ou
insidieuses :

« Depuis son cachot où elle était emmurée, elle était bien
plus libre que tous ceux de ses camarades socialistes qui
avaient vendu leur âme et étaient mille fois plus
prisonniers qu'elle ne l'était, derrière ses barreaux. Elle
a communiqué la joie. Elle était intelligente et radieuse.
Nous, qui sommes soi-disant en liberté, à la lire, il y a de
quoi se poser des questions sur les prisons que nous
portons. Quand on mesure sa façon de résister au mal, à la
barbarie, à la bêtise, c'est une splendeur. Alors, que ces
textes ne soient pas connus du grand public, c'est comme si
les gens n'avaient pas accès à l'eau… ».

Anouk Grinberg a également mis en relief le rapport que la
révolutionnaire spartakiste établissait entre la culture et
l'émancipation humaine :

« Rosa Luxemburg est lumineuse d'affranchissement. Elle
s'est échappée de son enfermement peut-être parce qu'elle a
un usage de la culture qui est un modèle de ce que devrait
être la culture. Rosa connaissait la poésie, elle
connaissait par coeur Shakespeare, elle connaissait la
peinture, elle était passionnée d'ornithologie, elle
connaissait et aimait les plantes… Elle avait une façon
d'être au monde… Il faudrait inventer un mot pour qualifier
sa façon d'être au monde. Si nous étions adossés à la beauté
comme elle, nous vivrions mieux. Elle était aimantée par la
vie, la vie sous toutes ses formes : une image qui passe, un
paysage, un oiseau qui chante, la silhouette d'un homme.
C'est une grande leçon et on a juste envie de se lever et de
continuer ce qu'elle faisait. Qu'est-ce qu'on attend pour
être vivant ? Seul, c'est dur, avec ses textes, ça l'est
beaucoup moins. »


CRÉATION UTOPIQUE
Si diverses calamités n'avaient laissé comme partitions de
Haydn que son oratorio « la Création », il faudrait le tenir
encore pour ce qu'il est, un des grands génies de l'histoire
de la musique. La célébration cette année du bicentenaire de
la mort de Haydn offrira l'occasion de découvrir bien de ses
œuvres majeures dont celle-là.

Disons au préalable quelques mots du livret inspiré de
« la Genèse » au début de la Bible et du « Paradis perdu »
du grand poète anglais John Milton. C'est une belle histoire
imaginaire et divertissante comme celles de la mythologie
grecque ou des mythes fondateurs des Indiens. L'adéquation
entre la langue allemande du librettiste van Swieten et la
musique de Haydn est totale. Tout est beau et tout le monde
est joyeux : le lion rugissant, le tigre bondissant,
l'alouette, l'agneau, le poisson et même le ver de terre.

Et Dieu dans tout cela ? Eh bien Dieu est un sacré cabotin !
Car non content d'avoir créé les éléments et tout ce qui
pousse et s'agite sur terre ou dans les airs, les louanges
des « citoyens du ciel » (Himmelbürger), c'est-à-dire les
anges, ne lui suffisent pas. Il faut qu'il invente une
bestiole à son image qui lui rende hommage et l'applaudisse
bien fort. Bonjour le narcissisme. C'est donc le début de la
société du spectacle avec la création d'Adam puis d'Ève
louant sans mesure les œuvres de Dieu qui n'a travaillé que
six jours (ou si l'on préfère du grand Architecte puisque
Haydn était franc-maçon comme Mozart).

Mais n'ironisons pas trop car dans cette œuvre la joie est
là, tour à tour suave, éclatante, légère, rayonnante et elle
s'impose à l'auditeur. Nous sommes dans une Création
utopique où tout est harmonieux dans les rapports entre
l'homme et la femme et dans leurs rapports avec la nature.
L'histoire se termine bien et on repart heureux car ce
satané Dieu n'a pas encore inventé le péché originel. Comme
quoi il n'est pas si originel que cela puisque sa création
est terminée ; ce qui introduit un doute sur l'existence de
ce dieu assez pervers pour tout gâcher et ce qui incite à
penser que le péché originel est un sale truc inventé par
des prêtres tordus pour que les gens culpabilisent.

C'est une œuvre qui à tous les points de vue est en
équilibre entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Elle porte
notre regard et notre écoute dans ces deux directions, vers
Mozart (ses grandes messes et « La Flûte enchantée ») et
vers les œuvres futures de Beethoven, son opéra « Fidelio »,
sa « Missa Solemnis » et sa 6e symphonie dite pastorale.

L'oratorio de Haydn a été créé en 1798 à Vienne et devint un
succès international en 1800. L'enthousiasme fut unanime en
Europe à un moment où les guerres déchiraient ce continent.
Quelle version choisir au disque ? Question de goût mais
celle de Herbert von Karajan avec l'orchestre philharmonique
de Berlin et les chœurs de Vienne est merveilleuse (2 CD
Deutsche Grammophon). Elle n'a pas pris une ride bien
qu'elle date de 1969. Les chanteurs solistes sont la sublime
soprano Gundula Janowitz, le ténor angélique Friz
Wunderlich, le baryton chaleureux Dietrich Fischer-Diskau et
la basse tellurique Walter Berry.


IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne sur notre
site un texte sur les luttes actuelles des Indiens en
Amérique Latine, un texte à propos d'un livre sur l'art
contemporain et enfin un article sur Oskar Negt paru dans la
revue Carré rouge.


CITATION
Pour finir, je me fais un agréable devoir de transmettre à
tout le monde une citation de Sigmund Freud que m'a envoyée
un ami : « les poètes et les romanciers sont de précieux
alliés, et leur témoignage doit être estimé très haut, car
ils connaissent, entre ciel et terre, bien des choses que
notre sagesse scolaire ne saurait encore rêver. Ils sont,
dans la connaissance de l'âme, nos maîtres à nous, hommes du
commun, car ils s'abreuvent à des sources que nous n'avons
pas encore rendues accessibles à la science. ».

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder
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