Journal de notre bordLettre n°109 (7 septembre 2009)Bonsoir à toutes et à tous, La crise financière patente et avérée fête son premier anniversaire. Cela méritait bien un nouveau G20 à Pittsburgh qui sera aussi vide de tout contenu que le précédant à Londres. Il aura l'utilité de mettre à nu l'impuissance des gouvernements à gérer et à freiner même à la marge la machine infernale qu'on appelle communément le capitalisme. Les puissants de ce monde dansent sur un volcan et se contentent de jouer la montre face aux inquiétudes des habitants de la planète et face aux menaces d'effondrement de la nature, de l'économie et finalement de l'humanité. Les discours pour noyer le poisson et détourner l'attention pour sauver les profits d'une mince couche d'individus se densifient à mesure que les catastrophes de toutes sortes se précisent. La conférence de Copenhague en décembre prochain devrait à cet égard être édifiante. À l'époque de l'affrontement entre les deux blocs, l'occidental et le bureaucratique de l'Est, on parlait de propagande ou d'intox. Aujourd'hui on ne parle plus que de com'. A défaut de résoudre un problème, on « communique » dessus. Le gouvernement communique donc à tout va. Il communique à outrance sur la grippe A et en profite pour faire passer en douce l'augmentation du forfait hospitalier et la baisse des remboursements de médicaments. Il faut « responsabiliser » les malades et les mourants mais surtout pas l'Etat et les grandes entreprises qui n'ont pas versé toutes leurs cotisations à la Sécurité sociale ! Les individus au pouvoir s'agitent et communiquent sur la taxe carbone tandis que leur chef Nicolas Sarkozy s'échine à vendre 36 avions de combat « rafale » à l'État brésilien. Pourrait-on nous préciser quelle quantité de gaz polluant vont rejeter ces avions ? Est-ce bon pour l'Amazonie ? Quelle est leur efficacité pour massacrer des populations civiles ? Pour quelle guerre Lula a-t-il besoin de ces avions ? En quoi ces engins dispendieux vont-il réduire la pauvreté au Brésil ? Les « autorités » françaises, allemandes, britanniques et américaines « communiquent » également beaucoup sur les bonus « excessifs » des traders et bien sûr ne prennent aucune mesure. Les financiers, gros actionnaires et gros industriels de tous les pays poursuivent en toute quiétude leurs activités prédatrices sur le dos des populations du monde entier et sur le dos de notre environnement. Dans ces conditions, est-il absolument nécessaire de discourir sur les prochaines élections régionales (et présidentielles de 2012 pendant qu'on y est) ou encore de gloser sur la prochaine « journée syndicale d'action » en octobre ou sur celle de fin janvier 2010 ? (On peut conjecturer qu'il n'y en aura pas en mars à cause des élections régionales). A mon avis tout personnel, cela a un caractère dérisoire qui relève du rideau de fumée pour nous cacher à nous-mêmes l'ampleur des dégâts. Oui, mais quoi faire d'autres que de se replier sur ces rites traditionnels auxquels nous sommes bien rodés ? La réponse et l'espoir sont du côté de toutes les révoltes individuelles et collectives contre les injustices et les arnaques des classes dirigeantes. Des révoltes travaillent toutes les sociétés comme on l'a vu en Iran avec la jeunesse, au Pérou avec les Indiens, au Gabon avec la population pauvre ou en Chine avec des mobilisations contre des patrons pollueurs ou des exactions policières. Il nous faut penser et écouter ces révoltes multiformes en cours et en préparation, les aider à vivre et à converger ne serait-ce déjà que dans notre tête, tourner le dos aux faux-semblants et neutraliser toutes les com' anesthésiantes. ______________________________________ À Melbourne comme si on y était Pain, amour et fantaisie Haikus Les sons et les parfums ______________________________________ À MELBOURNE COMME SI ON Y ÉTAIT Certains romans actuels nous donnent des indications précieuses sur la façon dont les mesures néolibérales de précarité et de destruction des emplois ont percuté les destins personnels. En 1998 Elliot Perlman, un écrivain australien né en 1964, publiait un premier roman intitulé « Trois dollars ». Ce roman a été traduit en français et publié en 2006 chez Robert Laffont - Pavillons. Tout se déroule à Melbourne mais il n'y a rien d'exotique dans cette histoire. Les éléments sociaux et humains nous sont tellement proches que sa lecture en est troublante. Les principaux personnages sont une jeune universitaire pleine d'allant mais qui va être « cassée » par l'institution et son mari, un ingénieur chimiste qui lui aussi sera « cassé » par son entreprise parce qu'il refuse de couvrir une pollution minière très grave. Ajoutez à cela que ces jeunes sont menacés par leur banque d'être expulsés de leur habitation à cause de prélèvements à taux variables toujours plus lourds pour leur budget. Le roman est émaillé de réflexions cinglantes ou perfides contre tous les dispositifs qui poussent les gens vers la dépression ou à devenir des sans abris ou des sans travail, éléments qui parfois s'additionnent rapidement. Le narrateur se retrouve un jour devant le panneau d'affichage donnant le règlement d'une maison pour sans abris où il est précisé en conclusion : « Veuillez prendre note : dormir dans les rues de Melbourne est un délit ». Commentaire du narrateur : « Qu'est-ce que disait Voltaire, ou bien était-ce Anatole France ? Une formule sur la majestueuse impartialité de la loi, qui interdit aux riches autant qu'aux pauvres de dormir sous les ponts ? » Elliot Perlman est un de ces romanciers d'aujourd'hui qui ont « mauvais esprit » et qui comprennent les gens de l'intérieur, comme le romancier américain Russell Banks par exemple. PAIN, AMOUR ET FANTAISIE Parmi les joyaux de la comédie italienne des années cinquante et soixante, il est très agréable de découvrir ou de redécouvrir dans une version excellemment restaurée, un film de 1953 de Luigi Comencini, « Pain, amour et fantaisie » avec Vittorio de Sica, Gina Lollobrigida et Marisa Merlini (DVD Titanus de 90 minutes avec 19 minutes de bonus). Antonio est maréchal des logis. Il vient d'être nommé à la tête des deux carabiniers qui assurent l'ordre dans un village perdu de l'Italie montagneuse. La tâche n'a rien d'écrasante car comme le curé l'en assure, il n'y a jamais ici « ni grèves, ni émeutes », rien qu'une pauvreté accablante et quelques animosités personnelles. Ainsi, en pensant au maire usurier, les pauvres villageois prient avec beaucoup de ferveur « Mon Dieu, faite qu'il crève, qu'il crève ! ». Le maréchal au sourire enjôleur et aux tempes argentées a donc tout loisir pour envisager de séduire la jeune et fière paysanne Maria ou à défaut, Annarella, une célibataire très respectée et de belle allure, sage-femme de son état. Luigi Comencini sait rendre l'élégance des sentiments des protagonistes et exprimer avec finesse sa sympathie et sa connaissance des villageois dont la curiosité pour les faits et gestes de tout un chacun est insatiable. Les effets comiques sont nombreux mais jamais appuyés. L'histoire vive, drôle et touchante est servie par des acteurs au meilleur de leur talent. HAÏKUS L'écrivain Sôseki Natsume (1867-1916) est extrêmement connu au Japon car son visage mélancolique figure sur les billets de banque les plus usuels, ceux de 1 000 yens. Ce n'est pas la seule raison bien sûr. Ses romans ironiques et originaux comme « Je suis un chat » sont connus de nombreux Japonais qui ont un petit sourire entendu quand on évoque Sôseki. En France tout du moins, ses incursions dans un genre poétique très particulier, le haiku, sont moins connues. Le haiku a toujours les faveurs du public japonais puisque certains quotidiens y consacrent une rubrique. C'est ainsi que des lecteurs ont été émus il y a quelques mois par des haikus composés par un sans abri qui a d'ailleurs refusé de se faire connaître et de se faire rémunérer. Le haïku est une forme de poésie très courte : trois vers ne dépassant pas en tout dix-sept syllabes. Chaque haïku correspond à une saison déterminée. Le sens peut être apparent ou crypté. Autant dire que cela relève du grand art où se conjuguent spontanéité et préméditation. Les éditions Picquier viennent de publier en poche un choix de 135 haikus de Sôseki sur les 2500 qu'il a composés ! C'est un très beau livre sur tous les plans, avec une introduction à la fois savante et très accessible. Les poèmes sont illustrés par des dessins, des calligraphies ou des aquarelles en couleur de Sôseki. Voici un haiku d'automne : « Traversant le ciel nocturne Une oie sauvage s'est posée Sur la lune » Et pour finir un haïku de printemps : « Jeunes pousses de fougère Ouvrant leurs petits poings Enfin le printemps » LES SONS ET LES PARFUMS Le compositeur Debussy (1862-1918) est un contemporain de Sôseki. Même si les deux hommes ne se sont pas connus, ils ne sont pas dépourvus d'affinités. Chacun dans leur domaine, ils se situaient dans une zone de tension entre tradition et modernité. Ils s'affranchissaient à leur gré des conventions sans tourner le dos au passé. L'un et l'autre ont été de fins connaisseurs de la culture anglaise et en particulier de sa littérature. Comme tous les artistes français de son époque, Debussy a été marqué par l'art et la musique d'extrême orient. Sa fascination pour le gamelan de Java est avérée. On ne peut s'empêcher de trouver dans ses pièces pour piano une fluidité, des effets de ruptures étranges et des émotions rares devant le spectacle de la nature qui l'apparente aux peintres et poètes aussi bien japonais que français. Debussy a d'ailleurs fréquenté Mallarmé, Pierre Louÿs et Claude Monet. Les tout premiers échos de la musique de jazz ne l'ont pas laissé indifférent comme en attestent deux de ses pièces pour piano, « Minstrels » et « Golliwogg's Cake-Walk ». Le pianiste brésilien Nelson Freire vient d'aborder au disque ce répertoire après en avoir souvent joué quelques pages en concert. Son album (CD Decca) se compose des douze pièces du premier livre des « Préludes », « D'un cahier d'esquisses », des six pièces de « Children's Corner » dédiées par Debussy à sa petite-fille Chouchou et de « Clair de lune », extrait de la suite bergamasque. De longs commentaires seraient superflus. Le jeu du pianiste a tout le relief et la douceur impalpable requise pour exprimer les contrastes poétiques, le caractère tour à tour aérien et aquatique de cette musique. Sous les doigts de Nelson Freire le « Children's Corner » de Debussy est plutôt le coin des enfants sages et méditatifs. On imagine que le pianiste devait être ainsi lorsqu'il était enfant. Tout le contraire de son amie la pianiste argentine Martha Argerich qu'on imagine volontiers en enfant rebelle, ce qu'elle semble toujours être à plus de soixante ans. Le soir du 30 août dernier, France Musique retransmettait en direct des Proms de Londres son interprétation ébouriffante du concerto en sol de Ravel. Malgré ses efforts méritoires, l'orchestre philharmonique Royal de Londres avec Charles Dutoit à la baguette n'a pas réussi à rattraper Martha Argerich dans sa course intrépide, surtout dans le troisième mouvement. Cette interprétation aurait sans doute bien diverti le facétieux Maurice Ravel. Il s'en est suivi en bis une interprétation survoltée et jubilatoire d'une sonate en ré mineur de Scarlatti. Certains soirs la musique en direct est beaucoup plus divertissante que tout ce qu'on peut tenter de voir à la télévision. Bien fraternellement à toutes et à tous, Samuel Holder _______________________________________ Pour recevoir ou ne plus recevoir cette lettre, écrivez-nous: mél : Culture.Revolution@free.fr http://culture.revolution.free.fr/ _______________________________________ |
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