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Journal de notre bord

Lettre n°107 (le 29 juin 2009)

Bonsoir à toutes et à tous,

Nous nous croyons suffisamment informés, voire trop
informés. En fait nous sommes mal informés, nos opinions
sont bancales et la marche du monde ne cesse de nous
surprendre. Qui aurait pu prévoir il y a un mois que dans
les rues de Téhéran et aussi de différentes grandes villes
d’Iran, des centaines de milliers de personnes, de nombreux
jeunes mais aussi des travailleurs, descendraient dans les
rues à plusieurs reprises pour contester le régime
dictatorial islamique en place ? Qui pouvait imaginer qu’en
dépit d’une répression dont l’ampleur est impossible à
évaluer, certains et certaines persisteraient à manifester
en criant comme cela a été le cas le 23 juin : « À bas la
République islamique ! », « À bas les bassijis ! », « Gare à
vous le jour où on prendra les armes », « Cette nuit c’est
la nuit de la révolution ! ». Et enfin qui aurait pu
imaginer que des femmes se montreraient sans voile dans les
rues de Téhéran ? Qui savait qu’un millier de salariés
avaient manifesté à Téhéran le 1er mai, bien avant l’épisode
de trucage électoral qui a été l’occasion pour beaucoup
d’exprimer leur colère, leur aspiration à une société
démocratique et à une vie meilleure ?

Ces faits balaient la perception intellectuelle odieusement
confortable d’une population iranienne qui serait
fanatiquement islamique et dans l’ensemble soudée derrière
ses dirigeants. Comme souvent dans l’histoire des régimes
d’oppression, ce sont des minorités courageuses d’étudiants
et de travailleurs qui ont ouverts la brèche. Des grèves ont
eu lieu dans certaines entreprises. Le fil rouge des
traditions de lutte et des idées d’émancipation s’est
maintenu. Aucune nouvelle vague de répression ne pourra le
briser. Trop d’épisodes ont été vécus, vus dans tous les
pays et compris par leurs acteurs pour qu’un tel régime s’en
sorte durablement.

La crise économique aura eu aussi en Iran le rôle
d’accélérateur des prises de conscience et des
déterminations à agir. Chacun voit que l’horizon social est
bouché. Chacun ressent les difficultés croissantes à vivre
décemment et assiste au spectacle écoeurant de la richesse
et de la corruption des couches dirigeantes. Les questions
de dignité, de droit à s’exprimer et de droit à bien vivre
se relient entre elles tout naturellement en Iran comme dans
beaucoup d’autres pays.

En Chine deux mille personnes, essentiellement des jeunes,
ont mis en déroute les forces de police à Shishou dans la
province du Hubei. A l’origine la mort d’un jeune
restaurateur que la police a déclaré « suicidé » mais qui
aurait plutôt été assassiné par ses soins. Toujours en
Chine, une jeune serveuse agressée par un groupe de notables
a tué l’un d’entre eux. Après une formidable campagne de
soutien relayée sur internet (il y a 300 millions
d’internautes dans ce pays), la jeune femme a finalement été
acquittée « pour légitime défense. » Dans tous les pays
ayant des concentrations importantes d’étudiants et de
travailleurs, on peut s’attendre dans les prochains mois à
des mouvements importants. Des millions de jeunes diplômés
qui vont chercher du travail à la fin de l’été ne vont pas
en trouver. Les patrons ont déjà annoncé pour cet automne
des vagues de licenciements inédites par leur ampleur. Les
rouages de la machine capitaliste et des régimes qui la
servent vont être mis à rude épreuve. Warren Buffet et ses
semblables n’ont pas encore définitivement gagné la lutte
des classes.
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Prévention des pandémies
Au zénith
Lectures d’été
Perdre la face
Mondialement inconnu
Musique venue d’Iran
In situ
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PRÉVENTION DES PANDÉMIES
Nous ne savons pas combien de techniciens, d’ingénieurs et
de pilotes dans le monde s’affairent pour bichonner et
améliorer les performances des avions militaires destinés à
massacrer des populations civiles. On peut supposer qu’ils
sont plus de cent qui est le nombre de médecins qui sur le
terrain s’occupe de la prévention des pandémies. Un article
très clair de Nathan Wolfe dans « Pour la Science » de
juillet nous informe incidemment qu’ils ne sont donc que 100
dans les régions tropicales et subtropicales d’Amérique
latine, Afrique et Asie à étudier comment les virus de
certains animaux sauvages peuvent se transmettre à l’homme.
Pour repérer le processus en amont et parer au risque de
futures pandémies, ces scientifiques étudient le mode de vie
des chasseurs au Cameroun par exemple et de vendeurs sur les
marchés où des animaux sont vendus comme en Chine.
Le programme en anglais se trouve sur www.gvfi.org .

La propagation du virus du sida aurait été beaucoup plus
limitée si de tels travaux et observations avaient été menés
avec des moyens suffisants nous dit l’auteur de cette étude.
Ce qui ne laisse pas d’inquiéter sur les pandémies à venir
car il y a plus d’argent consacré aux armes de destruction
massives des pays riches qu’à la protection des vies
humaines.

Dans ce même numéro de « Pour la Science », on découvrira le
portrait d’une femme scientifique du début du XIXe siècle,
Mary Anning, qui a contribué à l’essor de la paléontologie
en exhumant les restes de reptiles marins.


AU ZÉNITH
« Au zénith » de la romancière vietnamienne Duong Thu Huong
est une œuvre de combat, âpre et rageuse qui possède les
mêmes qualités que « Terre des oublis » dont nous avons
rendu compte sur notre site (éd Sabine Wespieser, janvier
2009, 786 pages). Au cœur de l’intrigue il y a un épisode de
la vie de Ho Chi Minh que les dirigeants du régime
vietnamien ont cherché à cacher par tous les moyens pour
préserver son image de père de la patrie au-dessus des
contingences humaines. Le vieux leader était tombé amoureux
d’une jeune paysanne dont il a eu un fils. Les dirigeants
s’opposèrent à l’officialisation de cette union et firent
assassiner son épouse en maquillant sa mort en un accident
de la route.

En contrepoint de cette histoire dramatique où le Président
est le prisonnier du régime qu’il a contribué à instaurer,
Duong Thu Huong, développe d’autres histoires dont une ayant
pour cadre un village de montagnards. Son pouvoir
d’évocation des lieux, de la cuisine, de la végétation, des
sentiments et pulsions diverses est presque vertigineux.

Elle force un peu le trait à la fin dans sa préoccupation
constante de dénoncer les gens au pouvoir mais il est
certain que ces gens-là inspirent légitimement le plus grand
mépris. Après tant de sacrifices, il y a une injustice
majeure à ce que les peuples du Vietnam ne connaissent ni la
démocratie, ni de bonnes conditions de vie.

Le roman est dédié « à Luu Quang Vu et tous les innocents
qui sont morts dans ce silence noir ». Luu Quang Vu, auteur
de pièces de théâtre était un ami proche de Duong Thu Huong
qui critiquait comme elle le régime. Il est mort écrasé par
un camion en compagnie de sa femme et de leur fils de 12
ans. Son roman leur rend un bel hommage.


LECTURE D’ÉTÉ
Il est bien difficile de caractériser une lecture d’été.
Nombre d’entre vous s’attaquerons aussi bien à de gros
romans plein de sève qu’à des lectures exigeantes qu’on a
gardé pour son temps de loisir. Dans cette catégorie nous
pouvons recommander « La nouvelle raison du monde, essai sur
la société néolibérale » de Pierre Dardot et Christian Laval
(éd La Découverte, janvier 2009, 498 pages). Si la première
partie vous semble trop aride, votre intérêt sera
certainement accroché par la deuxième et la troisième
partie. Une lecture demandant des efforts mais d’un intérêt
indiscutable pour mieux comprendre ce type de rationalité
inhumaine propre au capitalisme contemporain pénétrant tous
les domaines de la vie individuelle ou collective.

Si vos neurones trop fatigués ne sont pas en état d’entrée
de jeu d’aborder un gros livre d’analyse ou un gros roman,
laissez-vous entraîner par quelques petits récits au charme
doucement pénétrant.

Un petit tour en Sardaigne vous dirait ? Milena Agus est
native de cette île. Autant dire que son regard sur les
habitants n’a rien de touristique. Mais surtout elle a un
ton bien à elle. Ses nouvelles ou romans très courts sont
légers et sensuels, ce qui ne veut pas dire superficiels,
ses personnages décalés, touchants ou intrigants. «
Battement d’ailes » (éd Liana Levi/piccolo, mai 2009)
s’organise autour de Madame, une propriétaire désargentée,
non-conformiste sans le savoir, qui se refuse à vendre sa
maison en front de mer au grand désespoir d’une meute de
promoteurs insistants.

Pour dénicher les livres d’Elisabeth von Arnim née en
Australie en 1866, morte aux États-Unis en 1941 après avoir
passée sa vie entre l’Allemagne, l’Angleterre et le sud de
la France, il vous faudra peut-être faire quelques
incursions chez les bouquinistes. [J’ai conscience d’être en
train de renforcer l’addiction de certains pour cette
activité.] Pourquoi pas commencer par son dernier livre ?
C’est une sorte d’autobiographie originale d’un humour
délicieux, « Tous les chiens de ma vie » (éd Salvy, 1993,
publié pour la première fois en 1936). Chaque chapitre, avec
photos rigolotes à l’appui, est consacré à la personnalité
des chiens qu’elle a eu au cours de son existence. Elisabeth
von Arnim était une moqueuse et cela fait du bien. Elle
écrit par exemple : « Si ce livre n’était pas entièrement
consacré aux chiens, je ferais bien ici une digression à
propos d’un grand-oncle et d’une grand-tante, qui moururent
exactement comme lui après un dîner exquis. Dans leur cas,
on n’avait pas eu besoin de vétérinaire ; le dîner avait
suffi. » Du même écrivain, on pourra bien se distraire avec
« En caravane » (éd 10/18).

Continuons sur cette pente agréable des livres pas trop
sérieux. Les livres de Richard Jorif, « Le burelain » et
« Les persistants lilas » (Folio) sont dans la veine de ceux
de Raymond Queneau et Boris Vian. Bien que d’origine
martiniquaise par sa mère et indienne par son père, Jorif
préfère Paris et sa banlieue. Mais son domaine de
prédilection est la langue française, raison pour laquelle
il effectue avec rigueur et délice des plongées fréquentes
dans le dictionnaire Littré. « Je prends la langue dans son
plus grand état possible. » déclarait-il dans un entretien.
À conseiller à ceux qui dégustent les mots et leurs
associations les plus déconcertantes comme on déguste des
mets recherchés, le sourire aux lèvres. Puisque vous êtes
déjà dans les starting-blocks pour aller chez les
bouquinistes, bonne chance également pour trouver « Platero
et moi » du poète espagnol Juan Ramon Jimenez (éd 10/18,
avec une belle préface de Jean Giono). Ces récits miniatures
en prose datent du début du XXe siècle. Ils mettent en scène
un petit âne andalou qui a séduit plusieurs générations de
lecteurs hispaniques. Avec « Platero et moi », c’est une
brise de poésie très particulière qui touche le lecteur.


PERDRE LA FACE
Michael Jackson avait réussi à assimiler certains pas de
Fred Astaire, lequel avait copié avec un talent indiscutable
les pas inventés par les Nicholas Brothers. Ensuite conformément
aux tendances propres aux années 90, sa danse devint de plus en
plus mécanique, robotique et de fait répétitive comme ses
chansons.

La vitalité et la sincérité de la « soul music » incarnées
par exemple par Aretha Franklin, Otis Redding et Ray Charles
étaient en train de décliner lorsque le jeune Michael
Jackson vit sa carrière décoller grâce à Quincy Jones (très
bon compositeur de jazz dans sa jeunesse). Après « Thriller»,
j’avoue ne pas avoir suivi avec beaucoup d’attention son
parcours.

Or donc, telle ne fut pas ma stupéfaction d’apprendre par
Claire Chazal sur TF1 que Michael Jackson était « un
musicien vraiment génial », « absolument génial », et ainsi
de suite pendant les 48 minutes de journal télévisé qui lui
furent consacrées.


MONDIALEMENT INCONNU
Après avoir évoqué Michael Jackson, il est temps à présent
de parler d’un musicien mondialement inconnu ou presque.

Que l’on soit amateur de jazz ou de musique contemporaine,
on peut aisément ignorer l’existence du pianiste et
compositeur afro-américain Anthony Davis. A l’époque du free
jazz, il était encore relativement connu en particulier pour
avoir dialogué en beauté avec le flûtiste James Newton. Il
n’aura pas cessé depuis de développer ses ressources
créatives dans diverses directions, la composition d’opéras
(notamment l’un inspiré par la vie de Malcolm X), un
concerto pour violon et un pour piano (The Ghost Factory,
CD Gramavision ) ou des pièces en soliste.

Un de ses plus remarquables albums en soliste réédité en
1991 est « Lady of the Mirrors » (CD India Navigation). Il y
a là tout un univers musical raffiné dont on ne se lasse
pas.


MUSIQUE VENUE D’IRAN
La culture en Iran est riche. La poésie y est le plus
souvent indissociable de la musique. Une amie iranienne nous
invite à ne pas nous limiter à la tragédie qui se déroule
dans ce pays et à connaître mieux ce peuple en écoutant un
extrait d'un ensemble de musique traditionnelle : l'Ensemble
MASTAN (http://en.wikipedia.org/wiki/Mastan_Ensemble). Voici
la traduction qu’elle nous propose des paroles. Nous l’en
remercions infiniment :

Avec les damnés

Lorsque vous m'enterrerez
Mettez une amphore de vin sous mon linceul
Pour que je puisse boire de ce vin lors de mon voyage pour l'enfer
Plantez un pied de vigne sur ma tombe
Au moment où je rencontrerai les damnés
Je leur porterai comme présent une amphore de vin pourpre
Je m'assiérai avec les damnés et rattraperai le temps perdu
en buvant tout le vin que je n'ai pas pu boire sur cette terre
Je ne connais rien d'autre que coupe de vin auberge et saghi*
Ma vie est basée sur la coupe de vin et la joie
Même si je brûle de soif d'amour comme le phoenix
Je n'ai pas peur du feu de l'enfer... je n'en ai pas peur...

* désigne la belle femme qui sert le vin (traductrice)

« Ça me rappelle un peu Don Juan ... » commente notre amie.

Voici un lien pour écouter :
http://www.youtube.com/watch?v=7IjkJ5z1z8c


IN SITU
Depuis la dernière lettre nous avons mis en ligne deux
textes. L’un d’eux est une analyse importante, très sentie
et très pensée, d’une amie iranienne. L’autre texte revient
sur la révolte des jeunes en Moldavie au printemps dernier
et fournit des données nombreuses sur l’histoire peu connue
de ce pays.

Bien fraternellement à toutes et à tous,

Samuel Holder
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